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La question de la programmation en EPS est éminemment complexe. Elle est souvent le résultat d’un compromis entre les contraintes matérielles, les besoins des élèves, nos conceptions, mais aussi bien souvent notre niveau de compétence.

Quelles activités programmer ? À quel niveau les programmer ? Sont-elles complémentaires ? Quelle doit être la durée des cycles et faut-il programmer la même activité plusieurs fois ? Quelles sont les compétences minimales exigibles ?

Florian Deboucq rend compte de l’évolution de la programmation d’EPS en montrant ce qui changé,pour quelles raisons et comment ces changements ont pu s’opérer.

Le contexte d’enseignement

L’établissement : Un établissement ZEP et EP2 dans le département de Seine-Saint-Denis (93) qui accueille 750 élèves.
Les résultats au diplôme national du brevet varient entre 46 et 63 %. Beaucoup d’élèves sont en difficultés sociales et scolaires (70 % de catégories socioprofessionnelles défavorisées, cette proportion risque d’augmenter avec la réforme de la carte scolaire). Le niveau des élèves et leurs difficultés sont des sujets récurrents de la salle des professeurs.

Notre équipe d’EPS comporte sept enseignants dont l’ancienneté varie de un à vingt ans, un noyau de trois collègues est présent depuis plus de sept ans.
Nos conditions d’enseignement sont correctes bien que depuis les émeutes de 2005, un incendie ait eu raison de la salle de gymnastique.
Le projet d’EPS a été rénové trois fois depuis 2000.

L’organisation de l’EPS avant 2004

Sur le plan structurel, l’organisation était classique :

  • Les classes de 6e avaient quatre heures réparties en deux séances de deux heures.
  • Les 5e, 4e, 3e avaient trois heures réparties en deux séances, l’une de deux heures, l’autre d’une heure.

Nous avions déjà une volonté d’approfondir les apprentissages. Ainsi, le choix avait été fait de diviser l’année en trois cycles longs d’un trimestre chacun et de reprendre certaines APSA d’une année sur l’autre.
Une activité différente était pratiquée sur les cours de 1 h et ceux de 2 h. Cela correspondait à 6 APSA par niveau et 12 APSA sur l’ensemble du cursus (doublement des activités).

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Ce qui a impulsé les réflexions et les changements

Si notre réflexion fut impulsée par la demande institutionnelle, elle s’est alimentée rapidement d’un ressenti général des collègues lors des conseils d’enseignement : nous constations un écart entre notre volonté d’approfondir les apprentissages (travail sur des cycles longs et reprise des mêmes activités sur plusieurs niveaux) et les résultats obtenus (surtout pour les sports collectifs qui occupaient 50 % de la programmation).
Nous étions confrontés à une contradiction entre les résultats obtenus par nos élèves et nos ambitions. Certains élèves nous donnaient l’impression d’éternels débutants tant du point de vue culturel que méthodologique.
Ce constat était exacerbé sur les séances d’une heure, posant de fait la question du temps d’apprentissage.
Puis, c’est le terrain qui a concrétisé cette question cruciale du temps de pratique.

Prenons l’exemple d’un cycle VTT avec les élèves de SEGPA :
Un seul des 14 élèves avait acquis toutes les compétences spécifiques jugées incontournables : vérification et réglage du VTT, freinage d’urgence, rouler en sécurité, compréhension et utilisation des vitesses à bon escient. Le niveau de maniabilité restait très hétérogène.
Après 22 heures de pratique, seule la première compétence spécifique était acquise par tous les élèves. Les compétences générales (donner un statut positif à l’erreur, amener les élèves à des attributions causales internes ; montrer par la pratique qu’ils sont capables de réussir) n’étaient pas atteintes.

J’étais conscient que ces objectifs comportementaux s’atteignent sur le long terme. Néanmoins, l’idée était ici de passer d’une motivation liée à la nouveauté (pratique du VTT) à une motivation due aux apprentissages et la réussite avec des exigences fortes.
J’ai alors décidé de poursuivre la même activité sur un second cycle de durée équivalente malgré l’opposition des élèves.
Les résultats ont été très positifs : les trois premières compétences ont été atteintes par tous les élèves et les 2/3 des élèves ont atteint la dernière.
De plus, il y eu une réelle transformation comportementale notamment sur leur rapport à l’erreur et sur leur attitude face aux apprentissages. Quand on dit que l’apprentissage est structurant…

Bien qu’il faille rester très prudent avec les généralisations d’exemples isolés et sachant qu’un temps de pratique important (avec des contenus précis et hiérarchisés) est essentiel, l’idée de chercher à hausser le niveau d’exigence nous semble alors une piste à explorer.

Notre réflexion de terrain aura permis de donner corps à cette remarque de bon sens, chercher à organiser au mieux et de manière la plus cohérente le temps d’apprentissage en EPS, notamment par une nouvelle programmation des APSA.

Mais cette réflexion pose immanquablement la question de préciser ce que nous voulons atteindre en fin de chaque cycle mais aussi à la fin collège en classe de 3e.

Mais pourquoi ne pas avoir agi plus tôt ?

Une de nos difficultés résidait sans doute dans la réticence à parler librement et facilement de ce qui n’a pas fonctionné, la peur d’être jugé sur ses contenus.

Une autre était de pouvoir prendre le temps collectivement d’analyser ses difficultés et trouver des réponses. Ces réticences semblent avoir été dépassées par la dynamique du groupe (l’ensemble des collègues aborde des problèmes de même ordre au même moment) et peut-être qu’un seuil d’insatisfaction avait été franchi.

Ainsi, les éléments déclencheurs de la réflexion ont été un espace de débats (le conseil d’enseignement) impulsés par la demande institutionnelle et une envie des collègues de sortir de l’éternel débutant associée à quelques expériences concluantes.

La réorganisation de l’EPS et de la programmation

La logique habituelle voudrait que les choix soient faits à partir des problèmes fondamentaux et des caractéristiques des élèves. Toutefois cette approche idéale n’a pas été retenue, sans doute considérée comme trop floue et trop théorique. Comment se sont alors opérés nos choix ?

Augmenter le temps de pratique

Notre première préoccupation a été d’augmenter le temps de pratique de nos élèves. La réorganisation des créneaux horaires nous semblait une priorité : supprimer les cours d’une heure qui, de l’avis de tous, ne donnaient pas de satisfaction en terme d’apprentissage.
Nous avons choisi d’attribuer quatre heures hebdomadaires en 6e et 5e, deux heures en 4e, trois heures en 3e sous forme de deux heures hebdomadaires annuelles et deux heures hebdomadaires par semestre.

Ce choix nous met dans l’illégalité au regard des horaires définis par les programmes, mais il a été validé par notre direction et jusqu’à présent par l’inspection.

Si tout choix est le résultat de compromis, certains points ont orienté nos décisions :
● les heures quinzaines nous paraissent moins pertinentes que le travail sur semestre.
● Les problèmes d’emploi du temps ne permettent pas de généraliser les deux heures hebdomadaires semestrielles aux trois niveaux 5e, 4e et 3e.
● Les élèves de 5e sont plus proches de l’âge d’or des apprentissages moteurs et il nous paraissait plus pertinent d’aborder certaines APSA telles que la gymnastique avant les grands changements physiologiques de l’adolescence. Cela ne veut pas dire que 2 h d’EPS suffisent en classe de 4e. Néanmoins la répartition 2 fois 2 h en classe de 5e et une fois 2 h en 4e nous semble plus pertinente au regard des apprentissages que le fonctionnement sur des cours d’une heure (avec nos contraintes d’installations).
● Un stage de ski concerne 1/3 des élèves de 4e.

Conséquence : moins d’APSA

Le principe de cycles d’un trimestre est conservé, mais cette nouvelle répartition des horaires réduit le nombre de cycles : on passe de six à trois en 4e et de six à quatre en 3e.
Se pose alors le problème du choix des activités.

L’heure des choix

Dans un premier temps, nous avons convenu d’un temps de réflexion pour faire des propositions.
Sept propositions différentes ont été faites, plus ou moins formalisées.

Nos choix ont été guidés par le vœu de conserver un temps maximal d’apprentissage dans chaque activité : préférer moins d’activités pour aller plus loin dans les contenus d’enseignement et élever le niveau d’exigences en fin de 3e.

Construire une logique et une cohérence entre les différents niveaux en balayant de manière plus équilibrée les huit groupements d’activités des programmes (12 cycles sur 24 de sports collectifs, pas d’activités artistiques ni de pleine nature pour l’ancienne programmation).

Nos choix de programmation devaient refléter l’image que nous avons de l’école de la République : trouver un compromis qui permette l’accès à une culture diversifiée des APSA et des apprentissages de haut niveau.
Sans oublier de prendre en compte les caractéristiques de notre population scolaire pour laquelle il existe des déficits culturels (arts et des activités de pleine nature). Enfin, les choix des APSA se sont faits aussi par l’envie des collègues de partager les valeurs, les connaissances, les compétences de l’activité dont ils sont spécialistes et pour laquelle, souvent, ils militent. D’ailleurs le sentiment de compétence pesait lourd dans les décisions finales.

Des priorités sont apparues d’emblée

Nous sommes partis de la 6e, en conservant les priorités.

La natation : 40 % des élèves arrivant au collège ne réussissent pas le test du savoir nager.
Le projet natation regroupe deux classes pour trois professeurs afin de fonctionner par groupe de besoins : les nageurs, les moyens nageurs et les non-nageurs.

Un stage d’une semaine est organisé pour les élèves de 5e n’ayant pas réussi le test suite au cycle de 6e et de 5e.

Cohérence, enjeux de formation, élévation du niveau d’exigence

Nous souhaitons la présence de six groupements (pour 6 cycles) en 6e. L’introduction de la course d’orientation posait problème car il fallait forcément supprimer une APSA. La CO et la course de durée entraient alors en concurrence.

Les arguments échangés ont été nombreux (et souvent passionnés), mais ce sont les enjeux de formation qui l’ont emporté.

En résumé, la gestion des ressources énergétiques peut être menée à travers les deux APSA, cependant la CO offre des apprentissages supplémentaires : la lecture de la carte, la liaison carte/terrain, savoir s’orienter, savoir faire des choix dans la dialectique vitesse/précision, travailler de manière très précise, (chose difficile pour nos élèves qui font souvent de l’à peu près).

Enfin, peut être développer chez eux le goût du plein air.

Nous avons également décidé de doubler le plus possible les APSA de manière consécutive, avec en arrière plan l’hypothèse que les apprentissages seraient plus importants.

Les choix : fruits de compromis

Ainsi toutes les activités programmées en 6e sont reconduites en 5e à l’exception de la gymnastique et de la danse.

Toute l’équipe était convaincue de l’introduction de la danse dans la programmation : nous souhaitions vraiment que nos élèves découvrent la danse contemporaine. Mais passer de rien à 48 h de danse, l’appréhension a été trop forte, le sentiment de compétence et les manques de contenus étant les motifs essentiels.
Nous avons donc décidé de programmer danse en 6e, gymnastique aux agrès en 5e, mini trampoline en 4e et cirque en 3e.
Mais c’était sans compter avec les aléas !
Le gymnase équipé pour la gymnastique a été détruit en 2005. La gymnastique aux agrès n’étant plus possible, deux cycles de danse ont finalement été programmés en 6e puis en 5e, l’acrosport en 4e et le cirque en 3e (tous deux abordés de manière artistique).

Certes la gymnastique fait aujourd’hui défaut mais les progrès de nos élèves en danse et les réinvestissements de la démarche créative en acrosport et cirque ne nous feraient pas revenir en arrière.

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Dépasser les divergences et les oppositions

Créer un espace de débats

De nombreux échanges ont eu lieu, les personnalités se sont révélées, certains ont « lâché » plus que d’autres. Il fallait aussi rassurer : l’introduction de la danse était source d’inquiétude, le doublement du cycle de judo aussi. Bref, pendant un mois, un vrai espace de débats s’est créé entre nous.

Transformer les obstacles en ressources par la mutualisation des compétences

Certains d’entre nous avaient besoin d’être rassurés pour oser s’engager dans l’enseignement de certaines APSA, la pression était d’autant plus forte que nous nous devions de dépasser la simple découverte.

La question des contenus se pose alors de manière cruciale et très concrète.
Le contrat entre nous était le suivant : OK pour cette activité, mais donnons-nous les moyens d’être tous compétents.
C’est ainsi que s’est mise en place une sorte de co-formation. De la sorte, si nos compétences ont dans un premier temps influencé nos choix personnels et ont pu être des obstacles à l’introduction et au développement de certaines APSA, elles sont devenues au fil du temps une ressource : à sept enseignants, en mutualisant nos compétences, nous avons réussi à couvrir la quasi-totalité des activités.

Une nouvelle dynamique pour l’équipe

La co-formation
Au départ, les échanges étaient plus ou moins informels.
Un collègue plus expert dans une APSA, approfondit, expérimente, essaie et fait part de son expérience. Un autre a constaté que ses élèves avaient bien progressé, il partage ce qui a bien fonctionné.

Pour reprendre l’exemple du judo, nous devions aborder le judo debout. Nous sommes tous allés sur le tatami et avons pratiqué ensemble.

En danse, nous avons procédé de la même façon.

En relais et course de haies, c’est la forme de pratique qui a changé : au lieu de travailler sur une distance fixe nous travaillons sur un temps fixe de 6’’, la performance étant la distance parcourue.
C’est concret, la connaissance du résultat est immédiate, les élèves peuvent se situer et cherchent les critères de réalisation qui permettent de faire mieux que leur copain mais surtout de battre leur propre record et finalement mieux réussir.

Dans d’autres activités, les collègues, ont présenté des cycles tout prêts. Cela a été fait en CO, cirque et danse.
Ce document a joué le rôle d’un prêt- à-porter qui a permis à tous de se lancer.

Parfois, nous sommes allés assister aux cours des uns et des autres.

Nous tentons de construire des documents propres à notre établissement dans lesquels nous essayons de formaliser notre pratique : les contenus détaillés et hiérarchisés sont précisés, les comportements attendus des élèves sont décrits, analysés et des remédiations proposées.

Ce ne sont pas des productions à exécuter à la lettre ; chacun garde son initiative, chacun peut s’en inspirer mais aussi les transformer.

Cette base de travail est un catalyseur des échanges et de l’évolution des pratiques.

La formation continue

Nous nous appuyons aussi sur la FPC.

En fonction des besoins de l’équipe. Nous nous sommes inscrits collectivement à des stages. Les contenus, nouveaux, relancent l’activité. Un bref exemple en volley : dans cette activité le problème essentiel des élèves est la contrainte de temps (temps d’intervention sur la balle, temps moteur et temps de répétition).

Nous avons alors proposé de nouvelles règles : il est possible pour toutes les touches qui conservent la balle dans son propre camp d’arrêter la balle et de la relancer (de type passe collée ou manchette collée).

Cette forme de pratique accompagnée d’une programmation de deux fois 22 h nous permet de sortir de l’éternel débutant pour quasi tous les élèves.

L’idée en arrière plan est de s’autoriser à des pratiques scolaires (en aménageant les règles) pour mieux revenir vers une pratique sociale de référence.

Une programmation en cohérence avec l’AS

Aujourd’hui, nous proposons à l’AS : danse, cirque, VTT/escalade, football et handball.

La danse, le cirque et le handball prolongent les cours et sont la continuité de ce qui se fait en EPS. L’AS fonctionne, comme souvent, avec des collègues passionnés par leur activité. De plus, il existe une dynamique particulière autour de la section sportive handball et la classe cirque qui bénéficie de 2,5 h hebdomadaires supplémentaires.

Nous avons volontairement supprimé le football de la programmation EPS ; en effet cette activité est pratiquée par une très grande majorité des élèves parfois en club mais souvent de manière informelle.
Notre choix est de faire découvrir d’autres APSA.
Néanmoins les élèves qui ne peuvent s’inscrire en club de la ville, pour des raisons financières ou d’effectifs, peuvent pratiquer à l’AS du collège.

Bientôt quatre ans se seront écoulés. Nous pourrions faire le bilan de ce que nous avons mis en place depuis 2004.
Notre choix a été de ne rien changer avant qu’une cohorte entière ait vécu la formation sur l’ensemble du cursus, afin d’évaluer les effets produits.

D’une manière générale, le bilan semble positif. Même si nous procéderons sans doute à des réajustements.
Au vu de la diversité des résultats en termes d’apprentissages, nous nous interrogeons actuellement sur l’existence ou non d’activités plus scolaires au regard des contraintes scolaires (nombre d’élèves important et temps de pratique encore insuffisant) sans brader l’accès à la culture sous prétexte de difficultés d’enseignement de certaines APSA.

Nous tentons ainsi de trouver des solutions à notre problématique de terrain : sortir de l’éternel débutant, hausser le niveau d’exigence sur les trois types de transformations attendues : motrices, méthodologiques et sociales.

Partir du terrain (ce que les élèves apprennent) pour remonter vers les choix des APSA, leur traitement, leurs contenus, et enfin ce que nous voulons au regard des caractéristiques de nos élèves est la démarche qui nous a permis de fédérer l’équipe.

(Cet article est paru dans Contrepied n°21 – EPS, des choix politiques quotidiens.)