Cécile Ottogalli, travaille sur les questions d’égalité entre les sexes et les sexualités dans le monde sportif et en EPS. A l’aune des données produites en sciences de l’éducation, en sociologie de l’éducation ou en STAPS, elle propose une grille de lecture des conduites des élèves en acrosport. Cecile Ottogalli est maitresse de conférence au STAPS-Université de Lyon 1
Depuis une dizaine d’années, des publications se multiplient pour attirer l’attention des enseignant·es, au-delà des prescriptions institutionnelles et de l’universalité des savoirs, sur les mécanismes informels de socialisation, le fameux « curriculum caché », qui contribuent, souvent inconsciemment, à la division sexuée des pratiques physiques et sportives de nos élèves.
Passer de l’égalité de droits à l’égalité de faits nécessite une vigilance constante de la part des enseignant·es.
Une consultation de vidéos d’acrosport disponibles sur internet nous laisse penser que cette activité n’échappe pas aux stéréotypes qui, sournoisement, façonnent nos comportements, nos pratiques, pour progressivement, faire le lit des inégalités que les sociologues mesurent toujours dans le champ sportif.
Une première étape : apprendre les différents rôles
Travailler l’égalité en acrosport, consiste en premier lieu à ce que chacun·e s’éprouve et acquiert des savoirs relatifs aux différents rôles structurant l’activité : porter, voltiger, parer. Assurer les conditions permettant la réversibilité des rôles est sans aucun doute indispensable, d’autant plus que les vidéos étudiées donnent à voir, dans les cas de mixité, une sur-représentation des filles dans les rôles de voltigeuse versus des garçons dans les rôles de porteur.
Or imposer les apprentissages liés à tous les rôles, aux garçons comme aux filles, offre l’occasion de contrecarrer cette bi-partition dans laquelle se joue une représentation stéréotypée, des qualités physiques attribuées à chaque sexe : aux filles, la souplesse, la légèreté, l’agilité, le gainage, la prise de risque guidée ; aux garçons, la force, la protection, la maîtrise du risque… et autorise à voir et à développer la diversité des qualités et capacités chez nos élèves.
Sans y prêter gare, se contrecarre une appropriation différenciée des savoirs gymniques et des pouvoirs d’agir qui viendraient conforter les stéréotypes sur la division sexuée.
Sans y prêter gare, se contrecarre une appropriation différenciée des savoirs gymniques et des pouvoirs d’agir qui viendraient conforter les stéréotypes sur la division sexuée.
Sans y prêter gare, se déjoue aussi sans doute, une domination du masculin attribuée au porteur dans les productions didactiques : celui qui fait tourner et se renverser devient celle, celle qui crée la rotation, celle qui donne des appuis efficaces, celle qui bloque ou aide la fixation, celle qui contribue à « envoyer en l’air » !
Construire la mixité pour éviter l’entre soi
D’autre part, les vidéos donnent à voir des modalités de regroupement privilégiant l’entre-soi sexué où souvent, et quel que soit l’âge des élèves, les filles pratiquent entre elles, de même pour les garçons. Illustrant ce qu’Annick Davisse, puis Cathy Patinet nommaient une stratégie de l’ensemble-séparé, cette organisation s’imposerait-elle implicitement pour autoriser la réversibilité des rôles de nos élèves ?
Or ces regroupements sont porteurs de représentations à partir desquelles nos élèves se construisent : celle du tabou sexuel que constituerait le rapprochement et le contact physique entre un garçon et une fille ; celle du sexe qui, plus que n’importe quelle autre distinction physique, serait un obstacle irrémédiable au faire ensemble, celle d’une division des qualités physiques qui serait le fait du sexe plus que de l’entraînement ; celle d’une prétendue vulnérabilité intrinsèque des filles par opposition à une supposée invulnérabilité des garçons. Ces représentations, ces croyances révèlent et renforcent les imaginaires autour des distinctions plus que des ressemblances.
Offrir à chacun et chacune les moyens de s’émanciper des assignations sexuées en découvrant de nouveaux espaces de possibles
Il ne s’agit pas d’imposer de facto la mixité de tous les groupes, ni de nier les difficultés liées aux données scolaires, sociales, ethniques et religieuses de nos élèves, mais de ne pas céder sur l’objectif de mixité/parité comme une étape de celui d’égalité. Avec la prise de conscience de la face cachée de nos apprentissages, les enseignant·es peuvent innover avec des « petits riens » comme la réversibilité des situations, la sollicitation non stéréotypée des démonstrateur/ses, l’usage du masculin ET du féminin pour nommer les rôles, etc. et offrir à chacun et chacune les moyens de s’émanciper des assignations sexuées en découvrant de nouveaux espaces de possibles.
Article de Cécile Ottogalli, Maîtresse de conférences en histoire de l’EPS à l’UFR STAPS de Lyon1, paru dans la revue Contrepied Acrosport