Apprendre en volley : résoudre et créer des problèmes technico-tactiques

Temps de lecture : 6 mn.

Très souvent au volley, la passe, la manchette, le déplacement, sont considérés comme des objets techniques. Pour Samuel Lepuissant, enseignant au SIUAPS de Rennes dans cet article de 2017, il n’y pas de gestes techniques désincarnés d’une intention tactique. Il nous livre ici des clés de compréhension de l’évolution de ces objets technico-tactiques.

Les objets technico-tactiques (TT)1 dont on vise l’acquisition chez les élèves sont des objets vivants. Leur naissance est datée. Certains objets sont décédés (la réception à dix doigts en roulade arrière), d’autres ne se sont pas développés (le jeu avec le pied) et d’autres perdurent et continuent d’évoluer. Leur vie est consubstantielle à l’existence et à la persistance d’un problème technique pour répondre à un problème tactique. Sans problème TT il n’y a aucune nécessité d’élaborer des outils TT. Dialectiquement il n’y pas d’intérêt à déployer un outil TT en dehors d’un problème qui lui donne sens. 

Que nous enseigne l’histoire du volley sur ce rapport problème/solution TT et quelles conséquences pour l’enseignement ? 

Évolution de la pratique sociale : entre création et résolution de problèmes technico-tactiques. 

Depuis la création du volley, les règles, techniques et tactiques ont sans cesse évolué pour préserver l’égalité des chances entre l’attaque et la défense. Lorsque l’attaque prend l’ascendant sur la défense, le jeu perd de son intérêt. Les commissions réglementaires tentent alors de redonner des moyens à la défense et/ou de diminuer ceux dont dispose l’attaque. L’attaque est alors confrontée à de nouveaux problèmes. Ces périodes sont riches en inventions techniques, en réflexions stratégiques, en recherches de développement physique. 

Au milieu des années 60, le volley connait alors une crise d’intérêt les attaques qui ont lieu systématiquement aux ailes sont indéfendables. Trois règles apparaissent alors pour rééquilibrer le rapport A/D en faveur de la défense : 

– L’autorisation pour les contreurs de franchir les mains de l’autre côté du filet (1964). 

– La mise en place d’une ligne d’attaque pour les arrières à 3 mètres du filet (1968), pour réduire le nombre d’attaquants aux seuls avants2

– La mise en place de mires sur le filet au-dessus des lignes du terrain (1970) 

Ces trois règles limitent spatialement la zone de tir, éloignent les attaquants de la cible (attaques aux ailes moins efficaces) et donc, rééquilibrent le rapport A/D en faveur de la défense. 

Les joueurs développent des savoir-faire techniques nouveaux : la passe courte à proximité du passeur pour retenir un contreur adverse (contreurs en crise de temps aux ailes). On perçoit ainsi qu’une évolution du règlement se traduit par une solution TT, (franchir les mains au contre) qui va dialectiquement poser un problème TT aux attaquants qui y répondent en inventant une nouvelle réponse (attaques rapides) qui, à son tour, devient un problème à résoudre pour les contreurs adverses…  

L’évolution même d’un objet TT constitue donc, en lui-même, un nouveau problème à résoudre. Cette dynamique historique de résolution/création technico-tactique peut-elle servir de cadre de propositions de contenus en volleyball scolaire ?

Débutant·es : créer un cadre réglementaire qui pose des problèmes technico-tactiques progressivement complexes

Le contexte de jeu est fondamental. Les variables (dimensions terrain, filet, nombre de touches et de joueurs-euses.) structurent les problèmes technico-tactiques auxquels l’enseignant-e confronte les élèves. Leur dosage engendre des situations qui peuvent aller de l’ennui à la griserie.

Prenons une situation de 2 c 2 avec les contraintes et règles suivantes : 

Un filet à 2,25m (assez haut) afin de produire des trajectoires paraboliques facilitant le renvoi du ballon et introduisant le placement sous le ballon en basculant la tête. 

Un ballon très soft afin d’éviter les craintes et évitements. 

Une touche de balle obligatoirement en touche haute3 au-dessus des épaules permet d’atteindre précisément l’espace adverse. Cette solution TT nécessite de tonifier les mains autour du ballon et à être pro-actif.

En 2 c 2 car cela nécessite de savoir qui intervient, et oblige à parler (balle in/out), préplanifier qui va jouer le ballon arrivant dans l’intervalle. 

Une mise en jeu, balle lancée à deux mains par en dessous depuis la ligne des 3 m (et non un service fort) pour favoriser le renvoi. 

Un départ des réceptionneurs en dehors du terrain, en arrière, oblige une vigilance posturale et informationnelle pour protéger son terrain

En termes d’objets TT, ce règlement provoque un jeu qui pose des problèmes et permet de construire des solutions. 

Etape1 : renvoyer directement en une touche haute. 

Pour débuter, le terrain est petit : 3m de profondeur pour 4,5m de large. Il permet de renvoyer le ballon seul.

L’équipe a droit à une unique touche de balle parce que cela suffit pour protéger sa cible. 

A la fin de cette étape les élèves ont résolu le problème d’une défense de leur terrain en renvoyant directement le ballon vers le terrain adverse (franchissements du filet en « ping-pong »). Il n’y a aucun échange entre joueurs, mais, il y a nécessité de s’organiser à 2 pour se déterminer intervenant ou non intervenant sur le ballon.

Cependant la solution TT du renvoi direct ne permet plus d’atteindre la cible (on marque uniquement sur faute adverse). Comment redonner du pouvoir à l’attaque ? Réponse : en proposant un terrain plus long qui nécessitera de construire un outil technico-tactique et rendra obsolète le renvoi direct. 

Etape 2 : Tirer directement en une touche haute.

Le terrain étant plus long (5m de profondeur x 4,5m de large) le problème est d’atteindre la zone du fond en touche haute. Il faut donc bonifier la solution technique du renvoi court pour augmenter la distance de tir. La tonification des mains autour du ballon et la dissociation des poussées sont donc les nouvelles acquisitions permettant de résoudre le problème.

À la fin de cette étape, les élèves tirent directement vers le fond du terrain adverse. Se pose alors un nouveau problème : comment renvoyer un ballon reçu en zone arrière? Réponse : en accordant une seconde touche de balle au sein de l’équipe (nouvel outil technico-tactique) rendant utile et nécessaire le partenaire. 

Ces deux étapes sont fondamentales pour montrer aux élèves à la fois l’utilité et la limite du renvoi direct, pour construire des déplacements par rapport à des trajectoires variées de ballon, objets TT fondamentaux. 

Etape 3 : Renvoyer à deux en touches hautes.

Nous autorisons donc maintenant 2 touches maximum de balle au-dessus des épaules. Celles-ci suffisent pour renvoyer le ballon depuis la zone arrière du terrain.

De nouveaux problèmes TT se posent : quand et comment utiliser le relai ? Les solutions TT à construire sont : se différencier intervenant-non intervenant ; relayer haut vers l’avant ; s’orienter pour relayer par l’oblique

À la fin de cette étape :  lorsque que les élèves réussissent à renvoyer, à deux, 6 ballons sur 10 reçus en zone arrière, se pose la question d’attaquer plus fort. Pour que cela soit possible, il faut baisser le filet : il faut alors construire un outil technico-tactique adapté au nouveau contexte : l’attaque smashée.

Et ainsi de suite..

Pour répondre au problème posé par des trajectoires descendantes de smashs on a besoin de la manchette de défense.

La réalisation de la manchette va permettre de contre-attaquer, mais avec seulement 2 touches de balles c’est impossible. L’autorisation d’une 3è touche devient donc nécessaire pour construire la touche dite de transition.

Les nouvelles attaques se rapprochant du filet font apparaître le besoin du contre individuel.

La présence du contre individuel fait apparaître le besoin de créer collectivement des temps et des zones d’attaque différenciés.  

Pour s’opposer au problème posé par les choix multiples du passeur il devient nécessaire de créer un service qui déstructure la réception et éloigne la seconde touche de la zone favorable de passe. Ainsi, pour moi, à l’école, le service est une des dernières acquisitions.

On voit ainsi la logique des étapes : les outils TT apparaissent sous forme de réponses, à un moment donné, à un problème rencontré, et dialectiquement sont créateurs d’autres problèmes. Leur acquisition a un sens. Pour les élèves, les acquisitions technico-tactiques répondent, sans être plaquées, au même moteur que les apparitions historiques. Elles sont contextualisées et les élèves sont en capacité de mettre en relation création et résolution de problèmes technico-tactiques. 

Cette dynamique représente la vie des pratiques culturelles. Elle est révélatrice de la capacité des humains à construire des réponses de plus en plus poussées par rapport à des problèmes de plus en plus complexes.

Article signé Samuel Lepuissant et paru dans la revue ContrePied HS n° 18, juin 2017.

  1. ou objets tactico-techniques, il n’y a pas de priorités dans les deux termes, leur relation est réellement dialectique
  2. L’attaque aux 3m ne sera systématisée que plus tard pour ouvrir d’autres solutions offensives
  3. Cette règle n’interdit pas les frappes à une main de type smash.

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