Avec deux barèmes différents filles-garçons, l’institution valide l’idée que les filles sont moins bonnes en course d’orientation. Elle naturalise le décalage physiologique et le renforce même dans les représentations. Or au haut niveau, les écarts de performances sont faibles : entre 10% et 14% et dans certaines épreuves mixtes, quelques femmes sont même devant les hommes ! Fabienne Gillonnier, enseignante au STAPS de Chambéry, ne se résout pas à rajouter des points aux filles. Ce serait pour elle un renoncement. Pour viser l’égalité, elle questionne la discrimination sexuée des barèmes.
Le problème posé en course d’orientation est donc le suivant : comment penser mon activité d’enseignante pour qu’elle réduise les décalages entre les performances des filles et celles des garçons et concevoir une seule et même évaluation (épreuve et barème) .
Je pars de deux constats :
– Plus l’évaluation prend en compte la vitesse de course, plus elle prend en compte des données physiologiques et plus elle valorise les différences entre les filles et les garçons. Si l’évaluation valorisait la dimension technique (le repérage), les filles réussiraient mieux.
– Plus le site est connu, moins l’évaluation valorise le repérage.
Les textes précisent que le terrain devrait être semi connu, sollicitant l’activité de repérage.
Même inconnu au départ, le site l’est de moins en moins si le cycle entier s’y déroule en raison du travail de lecture de carte. Et si l’épreuve se fait aussi sur le même lieu, l’activité de repérage lors de l’évaluation n’est plus beaucoup sollicitée, l’épreuve valorise alors l’activité de course.
Mais changer juste pour l’évaluation après avoir travaillé sur un même site le long du cycle revient à évaluer ce que les élèves n’ont pas appris puisqu’ils-elles auront travaillé sur un terrain de plus en plus connu.
Des principes pour construire les situations et l’évaluation en course d’orientation
Une fois sur le terrain, on ne peut plus modifier les problèmes que l’on pose aux élèves. La course d’orientation est une des rares activités où tout ce qui se passe est directement lié à ce qu’on a prévu AVANT la séance, les cartes sont prêtes, les balises sont posées. Cela nécessite donc beaucoup d’anticipation et un travail de conception rigoureux. Les principes qui suivent m’aident à être vigilante vis à vis de l’égalité entre les filles et les garçons.
Le barème
Rien ne justifie la discrimination des filles, donc le point de départ c’est un seul barème. En valorisant toutes les dimensions de la course d’orientation, la course et l’activité de repérage, les filles peuvent arriver aux mêmes résultats que les garçons.
Le parcours de l’épreuve
Pour que l’épreuve équilibre course et repérage, la conception du parcours est déterminante :
- Minimiser les dénivelés quand le site le permet : prévoir le tracé de la course comme une grosse « patate » plate autour d’une courbe de niveau.
- Diminuer les distances entre les postes pour les circuits les plus faciles : inférieures à 100m.
- Choisir un espace peu chaotique : pas trop encombré de branches, pas trop caillouteux, peu acrobatique, peu dense, avec peu de rochers, de clôtures…
- Veiller à travailler pendant le cycle sur un espace semi connu : changer d’espace si on peut à chaque séance, de points de départ, n’explorer qu’une partie du site à chaque séance, ne pas explorer tout le site pendant les séances d’apprentissage pour préserver une partie d’espace semi connu lors de l’évaluation.
- Varier les espaces : forêt, ville, parc.
Je diversifie les parcours pendant le cycle : plus difficiles physiquement mais plus faciles dans le repérage, plus difficiles dans le repérage mais plus faciles physiquement.
Alterner les situations repérage/course et les rôles sociaux
Contrairement à ce que les élèves peuvent penser initialement, les élèves sont sensibles à la diversité des situations :
- celles très chargées émotionnellement quand l’élève doit, seul-e, aller chercher une balise.
- celles qui exigent une activité réflexive dans le cadre d’un travail de verbalisation, de confrontation de points de vue, de collaboration au sein d’un groupe.
- celles qui privilégient des moments de contemplation où on apprécie le paysage et son environnement.
Et à la diversité des rôles sociaux :
chacun-e doit courir, tracer, poser, guider, être guidé-e, cartographier.
à vivre des statuts différents : il faut faire confiance à l’autre, assumer ses choix, la responsabilité de l’erreur éventuelle, prendre des décisions…
Faire vivre cette diversité est indispensable aux apprentissages et à une véritable expérience de la CO.
Des exemples de situations
Ces situations sont connues. Elles peuvent cependant renforcer les stéréotypes féminin-masculin et produire des inégalités si on n’y prend pas garde. L’enjeu est au contraire de viser l’égalité, en partant de ce que les élèves font pour les amener vers une culture commune.
Apprendre à lire, dire pour se repérer
Ce type de situation comporte une tonalité plutôt relative à des stéréotypes « filles ».
Pour contrecarrer cela, tout le monde, fille comme garçon, est obligé de lire, de donner une consigne et d’accepter de se faire guider par les consignes de l’autre. Il s’agit là d’un vrai travail de collaboration. Tout le monde est contraint d’y passer.
Les duos sont affinitaires, le lieu connu, semi connu, dans l’enceinte de l’établissement, le parc qui entoure les installations sportives, etc. Les balises sont posées par l’enseignant-e, un plan pour 2.
But du jeu
Seul l’élève guide détient la carte et explique à son/sa camarade comment se rendre à la balise.
L’élève guide garde la carte et le coureur ou la coureuse doit aller à la balise, seul-e. Et comme souvent l’espace est connu, il est interdit de dire le nom des bâtiments, il faut les caractériser. Si la balise n’est pas trouvée en 5mn, retour sans balise.
Remédiations
Le duo peut alors repartir ensemble avec la carte ou bien inverser les rôles, ce qui permet de confronter à la pratique les informations transmises, de vérifier qui s’est trompé.
Ce que les garçons et les filles apprennent
Dans la lecture, les élèves apprennent à orienter la carte dans le bon sens, repérer les éléments remarquables :
- les endroits où il y a prise de décision, changement de direction : « à la deuxième porte du bâtiment carré, tu tournes à droite. »
- fixer la ligne d’arrêt : « si tu arrives au terrain de basket, c’est que tu es allé-e trop loin, fais ½ tour. »
- confirmer l’endroit où l’on se trouve ou que l’on est dans la bonne direction : « tu dois passer devant la fontaine. »
Dans la course il faut apprendre à se projeter dans un espace sans y être. Cela nécessite de mémoriser des consignes et de construire un espace mental en anticipation pour pouvoir se déplacer. Il peut y avoir une phase collective pour élucider les éléments remarquables.
Faire un plan efficace pour aller vite
Dans cette situation, le travail se fait en solo. Souvent, les garçons s’y investissent plus aisément. Chacun-e est responsable de ce qu’il-elle fait et prend ses décisions.
Cette situation associe se repérer ET courir vite.
1er temps : dessiner un plan
Au départ, seul moment en duo, les binômes vont poser une balise dans l’endroit de leur choix et reviennent au point de départ. Le duo est la garantie d’une pose correcte. L’espace est connu. Les balises sont posées dans des secteurs différents à des distances inférieures à 200m.
Ensuite, chaque élève doit écrire son nom et dessiner un plan sur une feuille de papier vierge : placer la balise (son code et ce sur quoi elle est posée) et les éléments remarquables qui séparent la balise du point de départ. Chaque élève le fait sur place, sauf ceux qui, en difficulté, ont le droit de se déplacer pour vérifier. Tous les plans sont alors mélangés dans une boite.
2e temps : une course, seul-e
But du jeu : poinçonner le plus grand nombre de balises en 15mn. Chaque élève prend un plan dans la boite et la course démarre : le point de départ est identique pour tout le monde.
Après avoir poinçonné la première balise, chaque élève revient et reprend un plan ou un autre support déposé par l’enseignant avant la séance (photos, narrations) de façon à avoir suffisamment de supports pour que les premiers puissent repartir.
Ce que les élèves apprennent
- mémoriser un parcours, donc avoir pris des repères pendant le déplacement.
- Courir seul-e le plus vite possible, lire le plan et lier les informations du plan aux repères sur le site.
Chaque élève passe par les rôles de cartographe, coureur/coureuse, lecteur/lectrice.
Remédiations
Si un élève ne trouve pas la balise, un deuxième vérifie. Ou bien, celui/celle qui a dessiné le plan l’aide, ou va chercher la balise pour vérifier la conformité de son plan.
Souvent les cartographes veulent aller vérifier si leur plan est bon : la performance est déplacée, elle devient : faire le plan le plus efficace !
Là encore, garçons et filles s’impliquent autant puisque les deux aspects de la C.O. (course/repérage) sont imbriquées dans la situation.
Contexte de l’évaluation
Deux parcours de niveaux différents
Le coureur ou la coureuse doivent réaliser deux ou trois circuits en moins de 30 mn et peuvent choisir des circuits de même niveau ou de niveau différent.
Départ toutes les 6mn pour qu’ils-elles restent toujours seul-e-s.
– Le parcours de niveau 1 permet un déplacement sur des lignes comme des sentiers principaux, clôtures. Il comporte des carrefours, les postes sont sur les mains courantes et aux points de décision (changement de direction).
– Le parcours de niveau 2 oblige le coureur ou la coureuse à observer les éléments situés de part et d’autres des mains courantes, à utiliser des éléments d’attaque et d’arrêt. Les postes sont situés sur des points caractéristiques et à proximité des mains courantes et du point d’attaque.
Si les distances (1,6km) et le dénivelé sont quasi identiques pour les 2 parcours, la difficulté de repérage est homogène dans chacun des parcours.
L’élève est donc confronté à une véritable alternative : soit aller vite mais gagner moins de points par poste (1pt), soit gagner plus de points par poste (2pts) au risque de perdre du temps.
Des exemples concrets
Du départ à la balise 1, orienter la carte et suivre le chemin, le poste est à l’intersection et au changement de direction (point de décision).
De B1 à B2, il faut suivre un sentier et passer une intersection. Le poste est sur la clôture, là où le chemin retrouve la clôture.
De B5 à B6, il faut suivre le sentier, mais il y a un changement de direction au cours de l’itinéraire, donc un point de décision sans balise. B6 est à l’intersection de deux sentiers à un point de décision.
L’emplacement de la balise 1 permet aux élèves d’étalonner le déplacement entre le départ et la balise 1 pour avoir une bonne estimation de la distance parcourue. Les postes aident au déplacement au début du circuit car ils sont placés sur les points de décision.
B1 à B2 : choix : couper/suivre sentier. Sur le sentier, 2 intersections.
De B2 à B3 : longue distance, cela rassure peu. P3 exige de définir le point d’attaque (quand quitter le sentier pour se diriger vers le poste) : en bas de la pente là où le chemin dévie un peu.
De B4 à B5, le poste à poste est proche mais demande de la précision. Le poste est sur un élément de terrain (dépression). Il faut savoir lire les éléments de reliefs et les courbes de niveau.
De B5 à B6 : saut (traversée d’un espace sans ligne directrice)
Ce parcours exige une lecture de carte et un repérage plus fins, les points de décision ne se confondent pas avec les postes.
En proposant des situations qui les sollicitent de manière variée, des rôles diversifiés « significatifs de l’activité », des parcours d’épreuve équilibrant course et repérage et… un seul barème, je permets aux garçons et aux filles de progresser en CO. Il me semble qu’ainsi, je combats une idéologie naturaliste (les filles seraient moins bonnes) pour au contraire m’inscrire dans une dynamique en faveur de l’égalité.
Notre enseignement et nos évaluations peuvent produire des effets sur la construction sociale sexuée des élèves. Je trouve donc important de questionner le type d’apprentissage et d’évaluation en EPS. Pour exercer cette vigilance, il faut maîtriser les savoirs et savoir-faire liés à toutes les dimensions de l’APSA.
Cet article est paru dans Contrepied – Égalité ! Hors-Série n°7 – Septembre 2013