Sonia Lajaumont, professeure EPS en lycée, a travaillé à la prise de conscience de la place que tient le genre en EPS au sein de son équipe d’établissement, en vue de mettre en œuvre des pratiques plus égalitaires en danse, course de durée et tennis de table. Le cas du Tennis de Table est relaté ici.
Article paru dans le ContrePied HS n°28 « Tennis de table », 2021. Entretien réalisé par Claire Pontais
Pourquoi une recherche sur l’égalité ?
Comme beaucoup de professeurs d’EPS, nous pensions dans notre équipe, avoir des pratiques égalitaires. Mais en mettant des « lunettes de genre » on peut s’apercevoir que ce n’est pas le cas ! On constate : une mixité ensemble/séparée (la classe est mixte, mais garçons et filles travaillent peu ensemble) qui tient lieu d’égalité ; des garçons qui absorbent l’attention des enseignant·es, des rôles sociaux très stéréotypés… Les enseignant.es, qui voient peu ces stéréotypes, invoquent parfois une nature masculine ou féminine pour les justifier (« c’est normal que les garçons rangent puisqu’ils sont plus costauds, ce n’est pas la peine de les mettre au secrétariat, ils ne tiennent pas en place »). Et quand les stéréotypes sont identifiés, elles et ils ne savent quoi faire de ce constat. J’ai donc choisi de travailler avec mon équipe EPS dans le but de rendre explicite ce qui était implicite, notamment les stéréotypes de genre à l’œuvre dans nos pratiques, d’analyser les tensions et les résistances. L’objectif était de co-construire des actions plus égalitaires. Ce travail a duré 2 ans.
Pour trouver collectivement des solutions plus égalitaires, il fallait d’abord prendre conscience de pratiques inégalitaires. J’ai alors choisi 3 APSA qui posent des problèmes différents du point de vue du genre : la danse pour les stéréotypes qu’elle véhicule, l’athlétisme pour interroger la question de l’équité/égalité à travers les barèmes différenciés et le tennis de table (TT) activité qualifiée de masculine par mes collègues par la recherche de performance et la compétition. Avec le TT, mon objectif était, entre autres d’aborder l’idée qu’il n’y a pas d’APSA féminine ou masculine.
Comment as-tu procédé pour mettre à jour les implicites ?
J’ai utilisé des scénarios où l’objectif était de réfléchir collectivement à une solution commune au problème posé 1. Pour le TT, le scénario était le suivant : En première évaluation diagnostique, pour gagner des points des garçons cherchent à marquer en jouant fort et des filles jouent en régularité sans chercher la rupture. Comment en tenez-vous compte dans votre cycle ?
Nous avons eu des débats du type : « les garçons jouent sur la rupture par du jeu fort, c’est bien, c’est la logique du jeu » «et le jeu placé alors ?», « on n’a pas le temps de tout travailler ». « Oui, mais ils font beaucoup de fautes, on n’a qu’à limiter la frappe … » (aucune proposition pour les filles à cette étape). J’ai aussi utilisé des photos prises dans les classes, comme preuve par l’image, avec mise en avant notamment d’une occupation de l’espace importante, centrale et sur la table n°1 des garçons, et des filles à la périphérie…
L’ensemble de ce travail a été l’occasion d’apporter des connaissances sur différents concepts : la socialisation sexuée, le genre/le sexe, la bi-catégorisation, la menace du stéréotype, la dépendance /indépendance à l’égard du genre, égalité/équité, etc.
Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Des enseignements valables pour l’ensemble des 3 APSA :
La définition de l’égalité a évolué. Au départ, pour certain·es collègues elle s’apparentait à de l’équité, avec l’idée de tenir compte des différences supposées naturelles filles-garçons avec le risque de les figer. Nous avons alors recherché une égalité qui ne discriminerait pas sur la base du sexe : se donner l’objectif de travailler le jeu placé et le jeu fort pour tous et toutes.
- La prise de conscience d’une lecture souvent stéréotypée des pratiques des élèves par une bi-catégorisation garçons-filles qui rend peu visible l’hétérogénéité intra-sexe, pourtant plus importante qu’inter-sexe.
- L’idée que le temps d’apprentissage devait être plus important pour développer des compétences égales pour tou·tes. C’est bien de « partir des représentations des élèves, mais il faut aussi travailler à en partir ».
- Le constat d’une attention importante portée aux garçons, et du peu de propositions prenant en compte les filles.
- La prise de conscience que le travail en groupe de niveaux fait que la mixité n’est jamais vécue comme un outil pour faire progresser les élèves.
- La prise de conscience d’une non-attention aux répartitions stéréotypées des rôles sociaux (un tiers des collègues de mon équipe), ou le constat qu’on ne cherche pas à les déconstruire.
- La prise de conscience de propos sexistes sans s’en rendre compte (ex : appeler les filles « les princesses », « les pipelettes », « garçon manqué », « faire des pompes de filles », etc.)
Au final, les collègues ont commencé à faire un lien entre nos pratiques et un renforcement des inégalités.
Quelles solutions avez-vous trouvé pour le TT ?
Des outils ont été construits ensemble comme « feuille de route de l’égalité », avec en premier lieu l’enjeu d’essayer de ne plus être dans le jugement « bi-catégorisé » (sur la base du sexe) a priori, mais dans le fait de « lire » l’activité des élèves filles ou garçons :
Allonger les cycles
Pour se donner du temps pour devenir compétent·e : passer de 7 à 10 séances en TT, au moins sur deux niveaux : pour permettre à tous les élèves de travailler les différentes intentions : jeu vite, fort, placé et à effet ; pour prendre le temps d’observer les élèves invisibilisées et d’augmenter leur sentiment de compétence.
Des formes de pratiques mixtes plus réfléchies
Il ne s’agit pas de rendre la mixité systématique, mais de devenir vigilant.e pour assurer un brassage plus important des élèves en montrant que chacun.e peut apprendre à l’autre dans des situations qui nécessitent coopération et/ou observation.
L’enseignant.e, compose des duos, trios par une mixité réfléchie pour travailler un thème commun à tous-tes. Ces groupes pourront être évolutifs en fonction du projet.
Mais pour faire des groupes d’élèves de niveaux différents (sans trop d’écart tout de même), avoir une lecture didactique des comportements d’élèves est un préalable.
Exemple pour le jeu fort (attaque) : Si un élève fait beaucoup de fautes parce qu’il frappe tout le temps, l’élève qui coopère peut distribuer des balles variées en hauteur, l’attaquant apprend à choisir la bonne balle à attaquer. Si un autre élève ne frappe pas du tout de balle, comment l’expliquer ? ne faut-il pas qu’il ré-oriente ses appuis ? La situation ne pourra pas être la même.
Dans les matches, on a adopté l’idée d’un contrat individuel au sein d’un contrat d’équipe. Ex : dans une ronde italienne à 2 contre 2 (rapport de force équilibré), le score de chacun.e compte et si on marque 3 fois en jouant fort, cela ramène x points de plus pour l’équipe.
Des supports, des propos et des rôles non discriminants
Sensibiliser aussi les élèves à déceler les stéréotypes, sources de discrimination est un objectif. Nous avons par exemple travaillé sur une affiche de promotion de la FFTT de pratique pour les filles, naturalisante, qui met en avant LA femme qui doit être belle en toute circonstance, et en talons pour pratiquer !
Nous utilisons l’écriture non discriminante sur nos supports écrits (fiches de travail, d’examen, courriers…), portons une vigilance aux propos sexistes et à nos façons de nous adresser à tout le monde (« avez-vous tous et toutes vos raquettes ? »). Pour les rôles sociaux, chacun.e· doit être au moins une fois secrétaire et arbitre (avec du co-tutorat si nécessaire) pendant le cycle. Une vigilance est aussi de mise pour les démonstrations, afin qu’elles ne reviennent pas toujours aux garçons.
Varier la composition des groupes et légitimer tous les espaces
Sachant que les groupes de niveaux restent l’organisation de base pour que les élèves progressent quel que soit leur niveau, il faut trouver des solutions pour éviter d’« oublier » les filles qui ne font pas de bruit (ce qui contribue à ce qu’elles-mêmes se sentent invisibles et constitue une « menace du stéréotype »). Par exemple : le/la prof essaie de se déplacer au cours de la séance pour légitimer tous les espaces de travail. On peut aussi modifier la composition des groupes lors des exercices comme vu précédemment, pour que les élèves changent d’espace plus régulièrement.
Que retiens-tu de cette expérience ?
D’abord une grande satisfaction personnelle et professionnelle ! Prendre conscience du lien entre le système de genre et les inégalités peut être déstabilisant et provoquer des résistances, dans un premier temps. Cependant on peut mettre des « lunettes de genre » et s’interroger sur le comment faire pour concevoir et mettre en action des pratiques scolaires plus égalitaires. Le but est de permettre à chaque élève d’entrer sur le terrain…non pas en tant que fille ou garçon mais en tant que semblable. C’est comme ça que les choses avanceront vers plus d’égalité !
Article paru dans le ContrePied HS n°28 « Tennis de table », 2021. Entretien réalisé par Claire Pontais
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- Ce travail a été effectué dans le cadre d’un master Egal’APS à Lyon↩