Enseigner ce qu’il y a d’éducatif dans la motricité

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Nicolas Terré, professeur agrégé d’EPS et maître de conférence à l’Institut de formation en éducation physique et en sport à Angers.

Le cours d’EPS est la vie en miniature. Comme dans leur quotidien, les élèves transportent des objets, économisent des ressources, s’orientent dans des déplacements, gèrent leur temps, combinent avec la météo, communiquent avec un public, négocient avec des partenaires, déstabilisent des concurrents, expriment leur ressenti, surmontent des situations éprouvantes, etc. Les pratiques physiques sportives et artistiques donnent à toutes ces scènes de vie une coloration particulière en ce qu’elles impliquent de façon prépondérante le corps et sont finalisées par une recherche d’efficacité. Toute l’intelligence des élèves y est sollicitée. Les enjeux éducatifs de la discipline sont donc vastes. L’EPS peut éduquer à la sécurité, la santé, l’écologie, le civisme, la prise de responsabilité, la prise de parole, la créativité, l’empathie, l’usage du numérique, l’autonomie, au respect des différences, aux modes vie actifs, etc.

Selon les besoins de la société, l’accent est mis sur certaines de ces « éducations à ».
Mais, à force de justifier la portée de ce qui s’apprend en EPS, le risque est d’enseigner ces justifications pour elles-mêmes, en substitution des techniques corporelles.

À force de justifier la portée de ce qui s’apprend en EPS, le risque est d’enseigner ces justifications pour elles-mêmes, en substitution des techniques corporelles.

Ce n’est pas parce qu’un élève doit faire preuve d’empathie lorsqu’il joue en double en tennis de table (pour éviter par exemple de mettre son partenaire dans une situation inconfortable après avoir servi) que l’enseignant doit « éduquer à » l’empathie indépendamment de l’apprentissage du service. Ce n’est pas non plus parce qu’un élève peut tirer profit de la variété de la végétation lorsqu’il s’oriente en course d’orientation (pour repérer par exemple une ligne d’arrêt) que l’enseignant doit « éduquer à » l’environnement indépendamment de l’apprentissage de la conduite d’un itinéraire.

Lorsqu’il est question d’expliciter ce qui s’apprend, la tendance est d’avoir recours à des découpages qui mutilent l’activité des élèves en autant de catégories qu’il y a d’ « éducations à »

Tout le monde s’accorde généralement autour de l’idée que la motricité constitue le fondement des acquisitions visées en EPS et que l’activité de l’élève est une totalité articulant de manière indissociable des dimensions corporelles, sociales, cognitives, affectives, environnementales, etc. Pourtant, lorsqu’il est question d’expliciter ce qui s’apprend, la tendance est d’avoir recours à des découpages qui mutilent l’activité des élèves en autant de catégories qu’il y a d’ « éducations à », de théories de l’apprentissage, de parties dans une dissertation, d’objectifs généraux, de domaines du socle, etc. La juxtaposition artificielle d’acquisitions motrices, méthodologiques et sociales en est un exemple. Ce faisant, nous matérialisons des dualismes entre le corps et l’esprit, le corps et l’environnement, le corps et les autres, etc. À vouloir si bien nous occuper de l’esprit des élèves pendant le temps scolaire, nous ouvrons la voie pour que les élèves soient confiés à des spécialistes du corps en dehors du temps scolaire.

À vouloir si bien nous occuper de l’esprit des élèves pendant le temps scolaire, nous ouvrons la voie pour que les élèves soient confiés à des spécialistes du corps en dehors du temps scolaire.

La particularité de l’enseignant d’EPS est de savoir déceler ce qu’il y a de profondément éducatif dans les techniques corporelles qu’il décide, pour ces raisons, d’enseigner aux élèves. Évidemment, il y a des rôles confiés aux élèves pour lesquels la motricité est moins prépondérante et qui n’en sont pas moins éducatifs. Les élèves peuvent apprendre à vérifier leur matériel avant de se lancer dans une voie en escalade comme ils préparent leur cartable avant une évaluation, justifier une décision lorsqu’ils arbitrent comme lorsqu’ils argumentent dans un oral, gérer un planning pour organiser des rencontres comme ils gèrent l’ordre des exercices pour terminer une évaluation dans les temps, etc. Mais toutes ces petites contributions à l’éducation des élèves ne doivent pas faire oublier l’essentiel. C’est par l’acquisition de techniques corporelles que les élèves apprennent à prendre des responsabilités dans un groupe (par exemple en conservant le ballon pour fixer des adversaires et libérer de l’espace pour un partenaire), sentir l’environnement (par exemple en offrant un maximum de surface de flottaison pour se laisser porter par l’eau), estimer un niveau d’effort ou de fatigue (par exemple en faisant varier volontairement le rythme des contractions en musculation), s’ouvrir des accès à un mode de vie actif (par exemple, en apprenant à nager afin d’avoir la liberté de pratiquer des activités nautiques), etc. C’est là que se situe la spécificité de l’enseignement de l’EPS : contribuer à un projet global d’éducation par l’enrichissement de la motricité.

C’est là que se situe la spécificité de l’enseignement de l’EPS : contribuer à un projet global d’éducation par l’enrichissement de la motricité.

À titre d’illustration, c’est dans cet esprit que nous proposons de penser la contribution de l’EPS à l’éducation à l’environnement 1

Comme pour d’autres défis éducatifs, les enseignants d’EPS ont un rôle à jouer. Mais, plutôt que d’oublier la motricité en se lançant dans la course aux gestes écocitoyens – qui viennent combler l’ignorance progressive du monde dans lequel nous habitons, et dont l’école est en partie responsable en faisant disparaître progressivement les enseignements pratiques –, nous proposons de valoriser la complicité qui peut se construire entre l’élève et le monde au cours des apprentissages. Par l’acquisition de techniques corporelles, les élèves développent, affinent et transforment leurs perceptions. Ils adoptent l’environnement autant qu’ils se laissent adopter. Ils le perçoivent de moins en moins comme une résistance à laquelle opposer un plan dressé à l’avance, et de plus en plus comme un réseau d’opportunités sur lequel ils apprennent à surfer. C’est là que l’enseignement de l’EPS peut apporter une contribution singulière au projet de l’école, non pas via une éducation à côté, mais par la motricité !

  1. Terré, N. & Gottsmann, L. (sous presse). Le potentiel écologique de l’EPS : pour une décroissance pédagogique. Les Cahiers Pédagogiques.