EPS en lycée professionnel – Ce que nous voulons garder pour demain

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Aurélia Wavelet – Lycée professionnel Alain Savary à Wattrelos (59)


J’ignore ce que sera l’EPS de demain mais j’ai expérimenté l’EPS d’aujourd’hui en lycée professionnel. Le portrait que j’en dresse n’a pas vocation à la comparer à l’EPS en collège ou en lycée
technologique ou général. C’est une photographie de ce qui existe aujourd’hui dans un établissement parmi d’autres.
J’ai le sentiment d’avoir passé mon temps à défendre l’EPS depuis que je suis arrivée au lycée Alain Savary de Wattrelos. Pourtant, je constate chaque jour sur le terrain que notre discipline constitue une précieuse voie de réussite pour beaucoup de nos élèves.

Je constate chaque jour sur le terrain que notre discipline constitue une précieuse voie de réussite pour beaucoup de nos élèves.

C’est d’abord un espace de liberté pour des élèves qui vivent parfois douloureusement les contraintes physiques scolaires (immobilité forcée, maintien d’une posture, déplacements limités et encadrés…).
Le cours d’EPS est un cours durant lequel ils peuvent se déplacer, bouger tout leur corps, interagir avec les autres dans des espaces différents, assez vastes et dont souvent ils participent à l’aménagement. Ils peuvent toucher le matériel, en expérimenter les différentes utilisations possibles ; eux qui pour la plupart apprennent justement un métier qu’on qualifie de « manuel ». Nos élèves apprécient beaucoup le fait de pouvoir manipuler le matériel en autonomie, non pas pour le plaisir de perdre du temps de cours et pas toujours pour en détourner l’utilisation… comprendre comment fonctionne un odomètre, une montre équipée d’un cardiofréquencemètre, comment s’installe un starting-block et comment l’on se positionne dessus… Ils/elles aiment saisir les subtilités techniques en manipulant, en testant, et beaucoup moins en m’écoutant en faire des descriptions détaillées.

Comprendre comment fonctionne un odomètre… Ils/elles aiment saisir les subtilités techniques en manipulant, en testant, et beaucoup moins en m’écoutant en faire des descriptions détaillées.

L’EPS d’aujourd’hui en lycée professionnel offre aussi aux jeunes les plus éloignés de la culture scolaire l’accès à des pratiques physiques qu’on pourrait qualifier d’élitistes au regard du coût d’une licence en club, du matériel nécessaire ou de l’éloignement des espaces de pratique. Avec les moyens nécessaires, elle a même le pouvoir de réveiller une curiosité parfois écrasée sous des représentations
sociales oppressantes. J’ai eu la chance de pouvoir expérimenter différents styles de danses et différentes activités gymniques avec mes lycéens/lycéennes. Dans un milieu socio-affectif sécurisant, la plupart des élèves acceptent assez facilement de s’engager ; la difficulté est réellement de créer cet environnement, notamment parce qu’il ne dépend pas que de l’enseignant d’EPS mais de l’ensemble de la communauté éducative.

L’EPS d’aujourd’hui en lycée professionnel, c’est donc aussi un espace d’expression privilégié où celles et ceux qui s’expriment avec difficulté à l’oral ou à l’écrit, dans une langue ou une autre, peuvent le faire différemment.

L’EPS d’aujourd’hui en lycée professionnel, c’est donc aussi un espace d’expression privilégié où celles et ceux qui s’expriment avec difficulté à l’oral ou à l’écrit, dans une langue ou une autre, peuvent le faire différemment.
C’est également là où l’individuel peut encore s’effacer au profit du collectif, au service de la progression de chacun.

Les mots peuvent être durs, mais les attitudes montrent autre chose !

Les lycées professionnels concentrent parfois beaucoup de profils d’élèves différents, beaucoup de parcours de vie divers malgré une orientation commune vers une filière précise, toutefois j’ai observé beaucoup de solidarité et d’entraide dans la plupart des classes. Les mots peuvent être durs, mais les attitudes montrent autre chose. Dans les activités de performance individuelle, des élèves se
proposent toujours pour réaliser plusieurs fois le travail donné, simplement pour accompagner dans l’effort des camarades qui rechignaient jusque-là à s’engager ou qui avaient abandonné avant d’avoir terminé l’exercice. En natation, l’engagement des élèves est souvent spectaculaire.
Le changement de lieu, le partage de l’espace sportif avec du public, le milieu différent permet là encore aux élèves d’oublier en quelque sorte le cadre scolaire. Ayant souvent pratiqué la natation pour la dernière fois en classe de sixième, ils/elles se découvrent de nouveaux pouvoirs moteurs et sont régulièrement en demande de retours et de précisions techniques pour devenir plus performant.e.s. L’individualisation permise par des effectifs limités favorise aussi une relation de confiance avec l’enseignant.e et une progression efficace de tout le groupe. Très motivé.e.s par la compétition entre pairs, nos élèves investissent également avec beaucoup de sérieux les temps de travail en coopération, qui les responsabilisent et les mettent en valeur. Depuis que j’enseigne au lycée Savary, j’ai eu chaque année un ou plusieurs élèves non nageur(s)/nageuse(s), parfois aquaphobe(s). Le comportement de leurs camarades à son/leur égard est souvent tout à fait remarquable. Tous le ou les encouragent, y vont chacun de leur conseil personnalisé, fruit de leur expérience personnelle. Certains proposent de réaliser les exercices aux côtés de l’élève pour le/la rassurer, de le/la manipuler avec son accord pour lui faire sentir une posture ou la sensation de flottaison en fonction de l’exercice donné par l’enseignant.e…

L’EPS d’aujourd’hui en lycée professionnel est tout cela à la fois. Le goût de l’effort partagé, l’entraide vers un objectif commun, la solidarité, l’ouverture aux autres, l’ouverture culturelle ; ce sont toutes ces
valeurs que nous souhaitons retrouver dans l’EPS de demain, en lycée professionnel comme ailleurs !

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