La « Mort subite ! », pour un volley plein d’émotions

Temps de lecture : 13 mn.

Annabelle Contin, enseignante en Bretagne dans ce compte rendu de pratique de 2017, souhaite que ses élèves de 6ème cherchent à « attaquer le terrain adverse le plus vite possible pour prendre le moins de risques ». Ce qui la guide : apprendre à faire des choix en fonction de la situation, faire vivre une grande quantité de pratique et des émotions fortes grâce au respect de la logique du jeu. 

Article paru dans la revue Contrepied  HS n° 18, juin 2017.

Attaquer le plus vite possible

Pourquoi le plus vite possible ? Parce qu’au volley, dès que je suis bien placé pour attaquer (que je sois le premier à intervenir sur le ballon ou le second), j’ai tout intérêt renvoyer directement le ballon chez l’adversaire plutôt que de le conserver dans mon camp. Plus je le garde, plus j’augmente le risque de faire une faute et donc de perdre l’échange. C’est comme au handball où faire une passe à un partenaire quand je suis seul devant le but n’a pas de sens. Au volley, c’est pareil et je prends un risque inutile. 

Former un joueur efficace en volley, c’est donc lui apprendre à gérer la prise de risque en choisissant entre : 

  • renvoyer pour mettre l’adversaire en difficulté en visant une zone fragile ou renvoyer pour sauver une balle quand je suis en mauvaise posture (se donner ainsi une chance de se replacer pour pouvoir défendre/attaquer collectivement la balle suivante).
  • conserver la balle pour qu’un partenaire l’attaque si j’estime que je ne suis pas dangereux tout seul ou qu’il sera mieux placé que moi. 

Et donc contrairement à des idées reçues, préserver la logique du jeu de volley aboutit à garder la forte contrainte réglementaire de ne pas bloquer la balle mais d’attaquer le plus vite possible pour prendre le moins de risque possible. Avec des débutant.es, le renvoi direct est une des réponses adaptées même s’ils peuvent utiliser plusieurs touches de balle quand celui-ci n’est pas possible ou quand ils le jugent nécessaire. 

Dans un premier temps, jouer avec un partenaire augmente considérablement le risque de faire tomber la balle dans son terrain, c’est pourquoi je propose aux élèves beaucoup de 1 contre 1. 

Le 1 contre 1 a plusieurs avantages. Outre le grand volume de touches de balle, le 1 contre 1 permet de régler un grand nombre de problèmes. Au volley, le partenaire n’est pas forcément une aide mais souvent une incertitude : soit la balle tombe entre les deux (on pensait tous les deux que l’autre allait la prendre), soit on perd du temps à décider qui va la prendre et par conséquent, on est en moins bonne posture pour renvoyer. C’est pourquoi je n’intègre pas le partenaire directement dans un duo mais progressivement du « 1+1 » contre « 1+1 », puis du « 1 et 1 » contre « 1 et 1 », et enfin du 2 contre 2 (tout en continuant à faire à chaque séance du 1c1 pour que les plus faibles aient un grand volume de touches de balles pendant la séance).

Les élèves jouent sans blocage de balle en privilégiant les touches en passe haute, même s’ils ont le droit de sauver des ballons en frappant la balle comme ils le peuvent : une main, manchette, un bras…. Je ne suis pas regardante sur les éventuels « collés ». 

Dans un 2e cycle, en classe de 4e ou 3e, les élèves sont amenés à jouer en 3 contre 3 ou 4 contre 4. Les règles évoluent en fonction du niveau de jeu et du rapport attaque-défense.

La touche de balle : un maximum de petites jongles 

En 6e, à chaque séance, l’échauffement commence par de la manipulation de balle, un ballon léger (pas gonflé au maximum) chacun, environ 10 minutes. Je ne travaille que la passe haute grâce à des « petites jongles » seul ou à deux afin de ressentir ce qu’est un « contact frappé », intermédiaire entre le contact « tenu » et le contact « tapé » (avec force).

Je propose également des défis, en duo, sans filet, où ils doivent faire le maximum d’échanges, puis, avec des dyades homogènes ou hétérogènes (fort/faible). Les débrouillés arrivent assez vite à faire une vingtaine de petites jongles. 

1ère étape : Le 1 contre 1 avec « Mort subite ! » si je laisse tomber la balle sans la toucher

But : faire tomber la balle chez l’adversaire ou l’empêcher de la renvoyer.

Engagement : le « ballon-tête » (prendre la balle en pleine main, sur le haut du front, pouces en direction des yeux) est un service facilitant. On ne marque pas de point, ce qui évite d’avoir les (rares) petits stratèges qui visent juste derrière le filet.

Le terrain est petit pour obliger à frapper doucement, donc à contrôler le ballon, pour qu’en retour la trajectoire soit plus facile à lire et à frapper pour l’adversaire. 

Ainsi, les plus faibles n’ont plus de réflexe d’évitement du ballon comme c’est le cas avec de longs terrains qui permettent des balles longues et plus fortes. 

Le filet n’est pas trop haut (éviter les ballons « hauts et forts » qui risquent de sortir du terrain), ni trop bas (éviter les balles trop tendues). 

Touche de balle illimitée : la frappe haute est privilégiée. La multitouche est autorisée, y compris avec des balles tapées avec le plat de la main de haut vers le bas. 

Le sens du jeu grâce à la Mort subite !

La Mort subite ! est la règle qui donne le sens du jeu, et le frisson aussi : il faut se battre jusqu’au bout pour empêcher la balle de tomber au sol directement. Si on ne donne pas cette règle, il y a toujours des élèves qui vont considérer que ça ne vaut pas le coup d’aller chercher une balle, qu’elle est perdue d’avance. Or, je veux qu’ils essaient tous d’y aller, y compris si la balle est touchée d’un bout d’ongle ! Et au final, on admire celui ou celle qui a sauvé une balle a priori impossible à rattraper ! Et ils trouvent tous rageant de se dire qu’ils auraient pu gagner sans cette balle qu’ils ne sont pas allés chercher !

Dès la 2e séance, pour éviter les grosses frustrations, j’assouplis un peu la règle en donnant un joker (un droit à l’erreur) et ce n’est qu’à la 2e balle par terre qu’il y a Mort subite !

Par la suite, ils doivent annoncer à voix haute « joker » s’ils voient qu’ils ne pourront pas toucher la balle. S’ils la touchent malgré tout, un joker annoncé est quand même consommé. 

Travailler cette anticipation est important, parce qu’en VB, avant d’être offensif, il faut savoir évaluer la prise de risque pour soi, et savoir ce que l’on est capable de faire. 

Ce que font les élèves pendant 3 à 4 séances

Dès la première séance, tous les élèves jouent beaucoup. Les échanges sont plus ou moins longs. Les élèves sont tous amenés à utiliser plus d’une touche de balle pour renvoyer chez l’adversaire. J’observe environ 80% de renvois directs, réponse adaptée à cette étape.

La compréhension de la cible/terrain n’est pas évidente. Pour certains, la ligne est une barrière. Il faut comprendre le dedans/dehors, mais aussi que dès que j’ai touché la balle, je dois tout récupérer, y compris les balles qui sont dehors des lignes, car si la cible est limitée, le terrain de jeu est lui, sans limite. C’est pour cela qu’au départ, ils ont tout intérêt à renvoyer directement. Si je renvoie directement, j’ai un petit espace à défendre, mais une fois que je l’ai touchée, j’ai potentiellement tout le gymnase à défendre ! 

Sur le plan tactique, au début, j’observe, mais ne verbalise rien avec eux. Au fur et à mesure, nous revenons sur les différents cas de figures : quand y a-t-il mort subite ? 

« Quand la balle ” dégouline” dans le filet (pas de chance »).

« Quand je pensais qu’elle était dehors, mais qu’elle ne l’est pas ».

« Quand je suis en crise de temps et que je n’arrive pas à me replacer après avoir envoyé et que l’autre en profite pour viser où je ne suis pas ». (à ce moment-là précis, la tactique pour l’adversaire la plus efficace est alors le renvoi direct, parce que garder la balle donne du temps au joueur qui peut se replacer). 

Vers la 3ème/4ème séance, les échanges commencent à durer plus longtemps pour les meilleurs. La défense est efficace, certains se jettent par terre pour rattraper la balle (même s’ils ont ensuite du mal à la renvoyer), ils la renvoient directement quand ils sont bien placés. Mais, vu la taille du terrain, ils n’ont pas vraiment la possibilité d’attaquer en visant des zones libres, sauf lorsque l’adversaire a été décentré par le renvoi précédent. A cette étape, pour eux, plus les échanges durent plus la victoire est « belle ». Ils marquent des points plus sur les fautes de l’adversaire que sur de réelles attaques gagnantes. Il faut donc revaloriser l’attaque (ou re-handicaper la défense). 

2e étape : 1+ 1 contre 1 + 1 (comme un double au tennis)

Il s’agit d’intégrer le partenaire dans son espace de jeu. 

Le « 1+1 » est comme un double au tennis de table, on frappe chacun son tour, mais avec un seul joueur à la fois sur le terrain. 

Le 2e joueur est sur le côté au milieu du terrain (à 1,50m du filet). Il rentre dès qu’il voit son partenaire renvoyer le ballon chez l’adversaire (après un renvoi direct ou en plusieurs touches de balle). Le 1e joueur sort dès que son ballon part chez l’adversaire, et rentrera à nouveau dès que son partenaire aura à son tour renvoyé le ballon et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’échange. La règle de la Mort subite ! est conservée, ainsi que le joker (deux jokers par match et par équipe, utilisés par les deux joueurs ou par un seul).

Ce que font les élèves

Il n’y a pas d’incertitude sur qui va prendre la balle, mais chaque joueur doit se pousser pour laisser l’autre jouer. Chacun doit entrer et sortir vite. Des espaces libres se créent, à cause du retard crée par les déplacements, ce qui ravive les intentions offensives. La défense se trouve alors plus en difficulté. Les joueurs doivent s’organiser, s’ils sont en retard et/ou mal placés, pour lever une balle et l’attaquer en plusieurs touches si besoin. La conservation de la balle devient une solution qui parait plus efficace que de chercher le renvoi direct (notamment après un déplacement qui n’est pas en direction du filet). Les élèves s’aperçoivent qu’ils feront moins de faute en cherchant à garder la balle au-dessus d’eux sur leur première touche que de la renvoyer directement. Mais cette intention tactique n’arrive pas d’un coup et ce n’est que quand ils arrivent à évaluer le contexte dans lequel ils sont (je suis en position favorable pour attaquer directement ou je ne le suis pas) qu’ils commencent à « jouer tactiquement ».

Quand on observe à nouveau des défenses efficaces (les joueurs, même après leur entrée sur le terrain, arrivent à renvoyer directement ou indirectement le ballon chez l’adversaire), on va modifier une nouvelle fois les règles. 

3e étape : Le 1 et 1 contre 1 et 1

Le jeu précédent étant devenu trop facile pour la défense, une seule règle est modifiée : les touches de balle. Le 1er joueur qui défend n’a le droit qu’à une seule touche de balle, le 2e a toujours droit à un nombre illimité de touches.

Si le 1e joueur à intervenir sur le ballon n’a pas renvoyé la balle chez l’adversaire, le 2e joueur prend le relais, il devient une aide pour renvoyer la balle chez l’adversaire puis sort du terrain dès que le ballon repart chez l’adversaire. (On change de rôle seulement à la moitié du match (et non à chaque balle), sinon c’est trop compliqué au niveau cognitif). 

Il est important que le 2e joueur ne se « poste » pas au filet. Cela évite de stéréotyper un placement de type « passeur » auquel le réceptionneur chercherait à envoyer tout le temps (même quand un retour direct serait efficace). Cela provoquerait soit une balle trop tendue (le « passeur » devenant la cible), soit trop courte avec un « passeur » se dirigeant dans le sens opposé du filet. 

Situation d’apprentissage

Pour les centrer sur ce qu’il y a à apprendre, je propose une situation décontextualisée, avec l’intention de mettre le réceptionneur en difficulté (pour éviter la possibilité de renvoi direct).

10 balles à jouer, pas de match. 

Les élèves doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus faire les mêmes touches qu’auparavant s’ils conservent la balle. 

Sur 10 engagements, combien de fois le 1e joueur arrive à remonter la balle pour que son partenaire réussisse à bloquer la balle comme il peut (niveau 1), au-dessus de la tête (niveau 2)? On observe, et on en déduit : « si je conserve dans le camp, je dois donc lever une balle vers le centre du terrain et non plus sur moi » ; « si je lève la balle, il faut que je me décale pour que mon partenaire puisse jouer sinon, il a peur de me rentrer dedans ».

S’ils réussissent trop facilement, on peut agrandir le terrain à 4x4m afin d’amener le 1e joueur à avoir plus souvent besoin de son partenaire. 

Lorsque je vois les élèves qui commencent à joueur de façon quasi systématique en 2 touches de balle juste pour « jouer avec le partenaire » (et non pas parce que c’est plus efficace, ou lorsque de nouveau des échanges durent), c’est le signe que c’est devenu trop facile pour la défense. Je passe alors au 2 contre 2. 

Le 2 contre 2

Le 2 contre 2 va ajouter en défense des problèmes d’anticipation et de décision collective (qui prend la balle et que fait l’autre ?), ce qui va à nouveau créer de l’incertitude, donc du retard et des difficultés à renvoyer correctement le ballon.

Mon intention est tout de même de valoriser la défense dans un système de jeu où elle est à nouveau « handicapée » au regard des nouvelles modalités d’action plutôt que rechercher explicitement une attaque placée. 

La Mort subite devient trop difficile et évolue vers une bonification : 2 points pour l’adversaire si la balle tombe directement au sol sans être touchée.

L’engagement se fait maintenant de la ligne de fond. A chaque service, le joueur peut choisir de servir de derrière la ligne de fond de façon réglementaire (service une main) ou en « auto-lancer » (frappe en passe haute), auxquels cas, il peut marquer le point sur son service. Il peut aussi continuer à servir « ballon tête » du centre du terrain mais n’a pas le droit de marquer dès la mise en jeu.

Au départ les deux joueurs sont l’un à côté de l’autre dans le terrain sans poste déterminé. C’est à la fois plus simple et plus riche. « Si c’est moi qui défends en premier, toi tu vas m’aider, mais on ne sait pas a priori qui va avoir la balle ». Quand les élèves se placent l’un derrière l’autre, ça crée une zone de conflit ou cela amène les élèves à jouer de façon stéréotypée (le joueur avant attendant la balle du joueur arrière). Stratégiquement parlant, le jeu « un à côté de l’autre » est plus intéressant que « si je reçois derrière, je conserve, et si je reçois devant, je renvoie directement », parce qu’on ne sait pas qui sera réceptionneur et qu’il devient alors nécessaire de lire le jeu et de décider rapidement (dire « j’ai »). 

Pour développer cette intelligence tactique (attaquer directement /prendre le risque de conserver), je joue sur les points marqués : 

  • 2 points si on gagne en ayant fait un renvoi direct gagnant. 
  • 1 point si on gagne en ayant fait plus d’une touche de balle (2 ou 3). 

Je valorise ainsi l’attaque rapide, à l’opposé d’une reproduction de schémas « classiques » valorisant 3 touches de balle, voire pénalisant le renvoi direct.

Il ne s’agit pas de valoriser le renvoi direct pour voir du renvoi direct et encore moins un renvoi direct du type « une fois ça passe, une fois ça casse », mais à gagner au plus vite, toujours pour éviter de perdre l’échange sur maladresse technique. 

Dans le même esprit, je peux aussi proposer ponctuellement : 2 points si renvoi en 1 ou 2 touches / 1 point si 3 touches. 

Les élèves repèrent vite les zones fragiles avant de jouer (juste derrière le filet, au fond, entre les deux), et en 2 touches, ils peuvent être très efficaces, sans avoir besoin de prendre de l’information en jeu. Les 3 touches sont utilisées plutôt pour les situations de sauvetage (1ère touche compliquée qui amène une 2eet 3e touche de « sauvegarde »). 

Dans ces matches en 2 contre 2, on peut aussi bien faire des duos de même niveau ou hétérogènes. Les doublettes hétérogènes permettent aux meilleurs de sauver des ballons compliqués (qui arrivent de l’adversaire ou qui proviennent du partenaire) et favorisent un minimum de continuité de jeu. Les règles différenciées sur l’engagement sont conservées. 

En fin de cycle, j’observe un jeu où les élèves ne jouent ni systématiquement en renvoi direct, ni systématiquement avec leur partenaire. Il n’y a quasiment plus de ballons qui tombent au sol sans qu’un joueur n’ait essayé de le toucher. Tous prennent plaisir à jouer. Les échanges où l’on voit le plus d’émotions chez les élèves sont les ceux où les joueurs courent partout pour sauver la balle et où, au final, c’est l’équipe malmenée qui gagne le point !! Cet aspect du volley où, c’est moins l’attaquant qui conclut le point qui est encensé, que le ou les défenseurs qui se sont « arrachés » pour « sauver le ballon », est assez enthousiasmant ! Si j’observe encore du jeu qui peut être en renvoi direct de temps en temps, c’est parce qu’ils ont compris à quoi sert le partenaire et qu’ils le reconnaissent comme tel, qu’ils décident de l’utiliser ou pas ! Cela correspond à l’idée que je me fais du jeu collectif à savoir, pas seulement « jouer avec l’autre » mais « être efficace grâce à l’autre » ! 

Annabelle Contin, 2017

Article paru dans la revue ContrePied HS n° 18 de juin 2017.

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