L’EPS de demain, c’est celle d’aujourd’hui, en mieux !

Temps de lecture : 6 mn.

Contribution signée Christian COUTURIER, Centre EPS et Société

On peut s’étonner du décalage abyssal entre les efforts et les moyens mis par le SNEP et le Centre EPS & Société pour instruire un débat pluriel sur l’EPS et le démocratiser auprès de la profession, et l’omerta de l’institution et de ses soutiens sur cette production. Il en est de même pour la revue Contrepied. Certes on peut le comprendre, la politique Blanquérienne ne souffre aucune contradiction ou critique. Le Ministre a mis tout le monde au pas, à commencer par son institution qui doit le servir sans état d’âme, et qui se doit d’asservir celles et ceux qui, au bas de l’échelle, font tourner la boutique. Mais il faut quand même oser répéter à longueur de texte officiel qu’il faut former des « citoyens critiques » quand on récuse à ses enseignants le droit de l’être. Comment agir pour l’émancipation de tous et toutes dans un milieu où, réforme après réforme, le gouvernement actuel, abusant de coercition, vise à produire l’inverse ?

Votre crise n’est pas la nôtre

Au cours des nombreuses rencontres et lectures que nous faisons, le terme de crise d’identité de l’EPS s’échappe de nombreuses bouches. Parler de crise est en soi un véritable problème : de mémoire d’enseignant ou de syndicaliste, y a-t-il eu des périodes où on n’a pas entendu parler de crise d’identité ? Lorsqu’un état est plus ou moins permanent, est-il alors judicieux de parler de crise ? Quant à l’identité, est-ce vraiment là que se situe de problème ?
S’il y a une crise, c’est parce qu’il y a des enseignant·es, de plus en plus nombreu·ses, qui ne peuvent plus faire leur travail correctement. Manque de moyens, manque de soutien de la hiérarchie, manque de reconnaissance, manque d’installations sportives, manque de temps dû à l’accumulation de tâches administratives… sans compter les discours institutionnels flatteurs, qui sont à l’opposé de que nous vivons quotidiennement. Le cas les plus flagrants, suite aux derniers textes officiels (programmes et certification), est le grand écart entre les annonces : il est affirmé que chacun·e est enfin concepteur des programmes et de l’évaluation, alors qu’en réalité concrète, toutes et tous sont sous surveillance permanente, sous contrôle plus ou moins violent (selon les académies). S’il y a une crise, c’est celle de l’activité professionnelle. Activité empêchée d’un côté, activité non reconnue d’un autre…
La crise d’identité n’est pas une crise « de terrain ».

La crise d’identité n’est pas une crise « de terrain ».

L’EPS reste une unité d’enseignement basée sur le triptyque : un·e prof, une classe ou un groupe d’élève, une APSA. Et le projet éducatif tourne, globalement, autour du progrès de chacun·e dans l’APSA considérée. Et lorsque l’institution, pour des raisons souvent confuses, cherche à imposer autre chose comme c’est le cas aujourd’hui, une résistance, passive ou active, se développe massivement. L’exemple de la certification au Bac est malheureusement là pour nous le montrer, et provoque bel et bien au bout du compte une crise d’identité.
On se demande alors si cette crise, provoquée et revendiquée, n’a pas comme principale fonction de masquer la crise « de terrain », évoquée plus haut, alors même que l’institution devrait avoir, comme fonction principale, d’optimiser ce qui se fait, pourrait se faire, au présent, et en masse dans les établissements ? C’est-à-dire donner les moyens aux enseignant·es de bien faire leur travail. Mais les politiques en cours ne peuvent y répondre. Alors le problème est déplacé en créant une crise de perspective qui contourne les investissements nécessaires, voire peut conduire à faire faire des économies : en Europe par exemple, une EPS a-sportive, c’est en moyenne 2h par semaine, pas plus !

La complexité, ça devrait être simple

Parmi les problèmes rencontrés par l’EPS au cours de son histoire, son complexe d’infériorité continue à lui jouer des tours. Globalement, la volonté de se légitimer dans l’école est une obsession endogène.

La volonté de l’EPS de se légitimer dans l’école est une obsession endogène.

Les parents d’élèves, le public, en règle générale (voir les réactions positives des médias sur la demande des 4h d’EPS du SNEP) comprennent très bien la nécessité de faire du sport ou des pratiques artistiques, d’apprendre des techniques, de nage par exemple, pour acquérir de nouveaux pouvoirs d’agir, de jouer avec et contre, etc. Mais lorsqu’on regarde ces 40 dernières années, cette reconnaissance, s’est traduite, soit par une sorte d’intellectualisation qui a pu prendre différentes formes, soit par une éducation comportementale. En lieu et place d’un renforcement de ce pourquoi la discipline est justement à l’école : parce qu’elle fait ce que d’autres ne font pas, la culture sportive et artistique des jeunes.
L’explication, pour partie, tient à une déconsidération de la pratique physique sportive et artistique. Certes la tradition de l’école en France a tendance à sous-estimer la « pratique » et a fortiori sa composante corporelle. Tout le combat de la profession des années 60 à aujourd’hui a pourtant consisté à faire comprendre que l’activité sportive ou artistique est une activité complexe, riche et d’une portée éducative grandement incontestée. L’EPS en France est toujours et à ce jour sportive et artistique, où l’enjeu n’est pas simplement de participer mais d’y apprendre. Apprendre quoi ? Des morceaux choisis du fantastique patrimoine de techniques corporelles qui montre que, oui, un individu peut traverser un milieu hostile comme l’eau, voler, jouer avec la gravité, jouer contre les autres avec des règles de plus en plus contraignantes. Pourquoi dénigrer cet extraordinaire pouvoir que procurent les capacités de faire un ATR, manipuler une balle avec le pied dont la fonction initiale n’est pas de faire ça… L’accès à ces pratiques, aujourd’hui, est largement inégalitaire.

Une des missions de l’école est d’en donner le goût aux élèves, ce que traduisait Jean Pierre Astolfi en parlant de la saveur des savoirs. C’est sa fonction démocratique qui fait, de chacun et chacune, un acteur et actrice du monde.
A la place, on nous pousse à inventer des situations « complexes » et autres formes de pratiques qui seraient plus puissantes. Plus puissantes qu’apprendre à nager, tout simplement ? Il n’est nul besoin de complexifier des choses qui le sont déjà.

On nous pousse à inventer des situations « complexes » et autres formes de pratiques qui seraient plus puissantes. Plus puissantes qu’apprendre à nager, tout simplement ? Il n’est nul besoin de complexifier des choses qui le sont déjà.

Renoncer n’est pas un verbe d’action

Comment ne pas être touché, affecté, par le texte de Severine Bertrand et Eric Véra ? Face aux calculs froids des DHG, aux injonctions institutionnelles, l’émotion est parfois nécessaire pour rendre les choses tangibles et concrètes. Lorsqu’un établissement qui a pu résister, au nom de l’intérêt des élèves, et surmonter toutes les réformes jusqu’à présent se trouve contraint de plier boutique, on mesure la bagarre féroce que livrent les classes dirigeantes contre une école démocratique et émancipatrice. C’est comme lorsqu’un fleuron industriel français est démantelé, ou qu’un artisanat de qualité est abandonné, on se sent dépossédé, amputé de sa propre histoire. Car l’histoire du lycée de Corbeil, ce n’est pas simplement l’histoire de celles et ceux qui y ont travaillé. C’est une partie de l’histoire de la discipline. C’est notre histoire. Parce qu’il porte des valeurs largement partagées par la profession : un collectif de travail, des ambitions pour tous les élèves… Nul doute que certains voient cette mise au pas d’un bon œil. La politique Blanquérienne est une entreprise de nettoyage.
Ne devra rester après son passage qu’une école strictement capitaliste : le minimum pour tous, le meilleur pour… toujours les mêmes. L’EPS du lycée de Corbeil c’était l’inverse, le meilleur pour tous et toutes !
Tout nous porte à baisser les bras, par lassitude de devoir se battre pour empêcher la destruction. Mais renoncer n’est pas dans notre ADN. Jusqu’à présent nous avons toujours su déjouer les vents mauvais qui soufflent sur notre discipline. Pour cela il faut aujourd’hui garder à l’esprit qu’un match n’est jamais perdu tant qu’on ne l’a pas joué. Tout le monde perçoit-il que ce match il faut le jouer, maintenant ? Il faut prendre le lycée de Corbeil comme étendard. Maintenant !

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