Priorités et enjeux autour de l’éducation artistique : un défi qui reste à relever

Temps de lecture : 5 mn.

Contribution signée Perrine Grandclément, Professeure d’EPS, artiste-interprète en compagnie (danse, théâtre et cirque)


Si notre discipline doit encore relever de nombreux défis autour de thèmes variés (place de la motricité, égalité, stéréotypes, référence ou « révérence » culturelle,…), c’est sur la question plus particulière de la place des arts corporels et de ses enjeux que j’apporterai une contribution.
Aussi, il reste à mon sens le défi suivant à relever et à poursuivre en EPS : une contribution affirmée à l’éducation artistique de tous les élèves à travers les arts corporels.
Affirmée parce qu’on ne peut pas dire qu’on parte de zéro…

Faisons un bref détour historique : si les enseignantes instruisent des formes de gymnastiques dansées exclusivement aux jeunes filles à la fin du 19ème siècle (rythmique de Dalcroze, harmonique de Popart), depuis la rentrée 2016 il s’agit d’engager tous les élèves sur un parcours éducatif artistique et culturel (PEAC) à travers la danse ou les arts du cirque en EPS.

Depuis 1996, l’ajout du « A » d’APSA appuie le fait que l’EPS amène les élèves à explorer également l’univers des arts et non plus seulement l’univers sportif. Désormais, et en lien avec la mise en place du PEAC tout au long de la scolarité obligatoire, les programmes actuels de la discipline nous conduisent à programmer au moins une fois par cycle de trois ans une activité physique artistique (APA)[[

Les attendus de fin de cycle au collège et de fin de lycées nous y conduisent (AFC1 du cycle 3, AFC2 du cycle 4, AFL1bis du LGT avec en classe de seconde un passage obligé par « un processus de création artistique » et en lycée professionnel « exprimer ses talents avec le chef d’œuvre »).
Nb : l’acrosport ne permet pas de valider de tels attendus si on se réfère à l’activité culturelle de référence (gymnastique acrobatique) puisque le but est de gagner un nombre maximal de points sans en perdre dans l’exécution (logique gymnique, non artistique).]]

La place des arts corporels a donc indéniablement gagné en importance mais davantage sur le papier que dans les faits.

La place des arts corporels a donc indéniablement gagné en importance mais davantage sur le papier que dans les faits.
Si l’étude des programmations permet d’apprécier une évolution en faveur de la danse et du cirque depuis une vingtaine d’année, la corporation des enseignants d’EPS semble toujours rencontrer des réticences et/ou faire face à un manque de moyens en termes de formation. Au niveau des programmations, en 2000 une étude de Nelly Lacince[[Nelly Lacince, « Danse scolaire, objet de transgression en éducation », Corps et culture, Numéro 5 | 2000]] montrait que seulement 2% de la corporation des enseignants d’EPS enseignent la danse. Dans le même sens, Cécile Vigneron affirme que le cirque est resté aux portes de l’école jusqu’en 2000[[Cécile Vigneron, « Entrées Clownesque » ?, Contre Pied, Hors série Numéro 3, pp 36-39 | 2012]]. Vingt ans plus tard, après plusieurs réformes (notamment celles relatives au baccalauréat)[[BO spécial n°5 du 19 juillet 2012 qui impose l’évaluation certificative en EPS sur 3 APSA de 3 compétences propres différentes (aujourd’hui on parle de champs d’apprentissage, mais cette règle reste en vigueur)]] et une évolution progressive (pas encore aboutie) de la formation initiale, l’Observatoire National de l’IGEN EPS indique en 2016 qu’au collège « un élève passe environ 70% de son temps dans des activités de performance ou de confrontation » et estime à 4% le taux d’activités physiques artistiques programmées, soit deux fois plus qu’en 2000, mais ce taux reste bas.

Au collège « un élève passe environ 70% de son temps dans des activités de performance ou de confrontation » et estime à 4% le taux d’activités physiques artistiques programmées, soit deux fois plus qu’en 2000, mais ce taux reste bas.

Si le curriculum formel cherche à impacter une véritable évolution dans les pratiques enseignantes, la corporation rencontre toujours des réticences et peut-être encore un certain manque de moyens, notamment en formation.
Voilà pourquoi l’éducation artistique par l’EPS reste un défi à relever et qui soulève plusieurs enjeux [[Perrine Grandclément, « Qu’apprend un élève dans l’étude des arts corporels en EPS ? », Colloque national SNEP « l’EPS et l’école de demain », novembre 2018]].

D’abord, la place de l’art à l’école et en EPS en particulier

Se référer à l’œuvre contemporaine à travers les pratiques culturelles de référence constitue un moyen incontournable pour engager les élèves dans les arts corporels et en saisir la finalité. Dans ce cadre, le processus de création se situe au cœur de toute intervention pour véritablement faire vivre une tranche de vie artistique à nos élèves.
Avec cet enjeu se pose notamment la question de l’écart à la norme qui a pu freiner l’institution et pourrait expliquer pourquoi l’introduction d’une danse plus libre puis du cirque à l’école a tant été freinée. D’après Daniel Denis, les pratiques sociales ne peuvent être intégrées en EPS qu’en respectant le dogme fondateur de l’école qui est « le silence et l’immobilité »[[Daniel Denis, Du mouvement dans l’école, histoire d’une lutte sourde et implacable, Tréma, Hors-série n°1 pp 89-106 | 1997]]

Or, les activités de création peuvent être porteuses d’irrévérence, surtout le cirque qui bouscule voire dérange à travers son anormalité. Comme l’a exprimé Cécile Vigneron, c’est « un rond qui ne rentre pas dans les cases… » (op cit). C’est donc tout un bagage que porte la profession qui peut expliquer qu’aujourd’hui il existe encore des réticences.
Agir de manière originale, créer collectivement en référence à l’œuvre contemporaine en allant voir au moins un spectacle, voilà une orientation sur laquelle engager plus largement nos élèves !

Le deuxième enjeu concerne le statut du corps : sensible et augmenté de supers-pouvoirs

Les arts corporels constituent la seule occasion de faire vivre un rapport au corps inédit à l’école. À travers les rôles d’interprète-compositeur et spectateur, les élèves sont amenés à se mettre en jeu, en scène, donc en risque[[A ce sujet, des retours d’expériences professionnels montrent leur efficacité en demi-fond par exemple. (Zombie Race de Matthieu Dejean, Mario Cartes de Lucie Dal)]]. Il est alors incontournable de leur donner les moyens de développer ce que j’aime appeller de nouveaux supers pouvoirs : se mouvoir de façon inhabituelle voire extraordinaire, de façon singulière et expressive, entrer en contact avec l’autre, créer de la nouveauté, explorer de nouveaux possibles, faire de sa bizarrerie une force, dépasser les stéréotypes, provoquer un impact sur le spectateur, partager un projet de création…

Amenons nos élèves dans une véritable mise en « Je » singulière à fort impact émotionnel !

Un troisième enjeu enfin revient à questionner l’équilibre de l’offre de formation

Malgré les récents progrès de la place des arts corporels à l’école, qui, comme nous l’avons vu semblent davantage porteurs sur le papier que dans nos pratiques enseignantes, pointons le manque de moyens alloués à la formation continue, engageons-nous à ouvrir tous nos élèves à ces pratiques en se mobilisant auprès d’instances de formation, en allant toquer à la porte des médiateurs culturels de nos régions ou des représentants de la DRAC/DAAC[[Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) ou Délégation académique à l’éducation artistique et à l’action culturelle (DAAC)]] et en nous rapprochant d’artistes de compagnie pour débloquer des moyens auxquels on a droit. Ainsi, peu à peu et grâce à un véritable accompagnement, chaque enseignant d’EPS devrait parvenir à relever ce défi et poursuivre son action au sein de son équipe pédagogique de façon de plus en plus autonome

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