Ce texte d’Alain Catteau1 a pour objet la détermination des objet d’étude en EPS, en natation. En proposant d’emblée le plongeon de départ et le crawl, il fait un choix explicite et argumenté qui ne correspond sans doute pas aux pratiques majoritaires. En tout cas il provoque un débat qui devrait avoir lieu dans toutes les APSA sur la culture commune.
Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 _21 EPS et Culturalisme (2018)
Dans cette discipline scolaire qu’est l’EPS, quand nous programmons la natation quels objets d’étude choisissons nous de présenter aux élèves et quelles sont les raisons qui fondent ces choix ?
Disons-le d’emblée, notre choix se tourne vers l’étude du plongeon de départ et l’étude du crawl. D’après nos observations empiriques, ce n’est pas le choix des collègues en général. Y a-t-il une alternative, laquelle ? Une contradiction entre une finalité « sécurité » et une finalité d’appropriation de contenus culturels ?
La brasse ou le crawl ?
Quand on parle de brasse, à l’école, de quelle brasse s’agit-il ? Ce que l’on enseigne de la brasse se réfère t’il à la brasse nagée actuellement en 2017 dans les épreuves sportives en fonction des règles actuelles ? Se réfère-t-on à la technique telle qu’historiquement et culturellement élaborée et construite sur plus d’un siècle ? Ou bien sur une brasse « spontanément » nagée qualifiée de brasse « utilitaire » pour préserver des caractéristiques d’une motricité terrienne dans l’eau ?
Sous une même dénomination, se cachent des réalités bien différentes. Dans le contexte sportif, la brasse est organisée pour rechercher la performance en fonction de contraintes réglementaires, elle a un caractère ondulatoire et suppose un haut degré de maîtrise ; dans un contexte de loisir la brasse spontanément utilisée répond aux contraintes internes au sujet : se maintenir équilibré latéralement à la surface pour respirer et voir devant soi, se pousser par l’action des jambes. Ces brasses obéissent à des attitudes bien différentes dans le rapport à l’eau.
Hélas, c’est plutôt cette dernière que l’on voit nagée par les élèves et parfois encouragée par les enseignants. Il y aurait donc une natation scolaire, intemporelle, celle-là même qui était enseignée par Beulque dans les années 1920 et qui continue de faire école, et qui serait sans relation aux productions culturelles de la natation sportive. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il n’y a pas deux natations mais une seule parce que toute locomotion aquatique humaine obéit à une seule logique, et des principes générés par les propriétés du milieu en interaction avec les propriétés du corps humain se mouvant.
R. Catteau2 identifie six niveaux de structuration fonctionnelle de l’action du nageur, significatifs du processus d’adaptation imposé par le passage d’une organisation terrienne acquise préalablement (l’être terrien) à une organisation aquatique (l’être aquatique) à conquérir. Au niveau 1, le nageur entre dans l’eau par les pieds et conserve en permanence la tête hors de l’eau pour se situer dans l’espace et respirer. Il en résulte une obliquité de son corps le freinant considérablement dans son déplacement. Un grand nombre d’élèves relève de ce niveau. Quels objets d’étude proposer à ces élèves pour qu’ils deviennent meilleurs nageurs ?
L’apprentissage du plongeon de départ
Il est pertinent lorsque le « corps flottant » est suffisamment construit. Les élèves acceptent de se laisser flotter passivement en ne faisant rien dans l’eau une dizaine de secondes, de se laisser équilibrer par l’eau, puis enfin choisissent une forme du corps leur permettant de s’orienter dans l’eau. La réussite de ces actions suppose l’appropriation par l’élève de contenus d’apprentissage relatifs aux propriétés du milieu fluide et de son corps immergé. L’intégration de l’ensemble de ces nouvelles propriétés conduit à un changement de représentation fonctionnelle de son corps dans l’eau, appuyé sur les expériences vécues. L’enjeu de cette étape est crucial, on ne se comporte pas de la même manière dans l’eau si l’on pense qu’on risque d’être englouti dans les profondeurs ou si l’on sait, par expériences répétées, qu’il est plus difficile de descendre toucher le fond de la piscine que de remonter à la surface.
L’enjeu de l’apprentissage du plongeon de départ est de construire la capacité à passer à travers l’eau avec un minimum de freinage, de construire un « corps projectile ». Le plongeon de départ est une organisation posturale aquatique prise sur terre, maintenue en l’air, puis dans l’eau après la pénétration. L’impulsion initiale prise au sol communique au corps une vitesse horizontale bien supérieure à celle de la nage, lui permettant d’entrer loin dans l’eau et selon une orientation favorable pour prolonger loin vers l’avant sa trajectoire aquatique et reprendre la nage à la surface. Lors du plongeon, le changement d’orientation du corps en partant de la verticale dépasse les 120° pour permettre une entrée dans l’eau indolore et transformer l’énergie de chute en déplacement horizontal. Cette modalité d’entrée dans l’eau rompt nettement avec le simple saut dans l’eau et libère de la nécessité du maintien d’une orientation verticale du corps. Fondamentalement, plonger c’est coordonner deux actions : changer l’orientation de l’axe du corps en basculant ; communiquer au corps une grande vitesse. Les contenus d’apprentissage essentiels sont de nature posturale : faire coïncider axe du corps et trajectoire aérienne puis aquatique, prendre une posture où la tête est sous les bras grâce à une hyper flexion du cou et une hyperextension des épaules ; ne pas laisser cette posture se déformer au moment de la pénétration dans l’eau en tonifiant le corps le rendant indéformable ; se servir non pas de la tête pour gouverner la trajectoire aquatique mais des membres supérieurs. Le plongeon de départ réussi est une technique efficiente pour se déplacer loin dans l’eau à partir d’une unique impulsion initiale prise sur le monde solide.
Il devient alors possible d’aborder dans de bonnes conditions la construction du corps propulseur soit la capacité d’accélérer périodiquement la masse de son corps en utilisant ses propulseurs avec le meilleur rendement.
L’objet d’étude privilégié sera le crawl. Pourquoi ?
– La technique humaine de nage ventrale avec mouvements alternés des bras et retour aérien vers l’avant de ceux-ci est ancienne et sans aucun doute plusieurs fois millénaire (comme en atteste le hiéroglyphe égyptien) et bien antérieure à son utilisation dans les épreuves sportives datant du début du XXème. Le terme anglais « crawl » adopté pour la nommer date de cette époque. Je retiens de l’histoire de la natation sportive que la technique du crawl va progressivement s’imposer dans les épreuves de nage libre (en 1902, Cavill gagne un 100 yard en utilisant le crawl ; en 1926 Ederlé traverse le Pas de Calais en crawl). Dès lors le crawl est utilisé dans toutes les épreuves de nage libre du 50m au 1500m. Elle est également utilisée dans les épreuves de longue distance en eau libre, ainsi que dans la partie nagée du triathlon. Il démontre ainsi son efficacité.
– Sur un siècle, les nageurs, dans le contexte compétitif, ont fait évoluer cette technique sportive. Avec le recul du temps, à partir d’un système de repères nous observons des transformations en profondeur significatives d’une adaptation plus juste aux contraintes de la locomotion aquatique : l’immersion et la fixation de la tête de plus en plus prononcées ; un roulis des épaules autour de l’axe longitudinal autorisant une mobilité accrue des épaules en avant, en profondeur et en arrière, gage d’une amplitude gestuelle augmentée ; des actions plus différenciées des membres supérieurs qui s’affirment comme propulseurs (nager en crawl c’est devenir une «traction avant ») ; pour inspirer une action de rotation simple de la tête autour de l’axe longitudinal subordonnée aux actions locomotrices des membres supérieurs ; des phases d’immersion totale du corps après départ et virage allongées ; pour une distance et une vitesse déterminées un nombre de cycles de nage qui diminue témoignant d’une meilleure gestion des phases d’accélérations et de freinages à l’intérieur d’un cycle de nage.
– Non seulement efficace, nage la plus rapide quelle que soit la distance à franchir ; le crawl est le plus efficient : pour une vitesse de déplacement déterminée il a le moindre coût énergétique. Ce n’est pas la nage qui utilise le plus de puissance mais c’est elle qui gère au mieux l’utilisation des forces du nageur en relation avec les forces de freinage. Les variations de vitesse instantanée à l’intérieur d’un cycle de nage sont les plus faibles.
– La locomotion humaine sur terre est la marche ou la course et non le saut, le crawl par sa structure alternée se trouve dans la continuité de ces modes terrestres de locomotion. Spontanément certains élèves utilisent cette structure alternée de nage que l’on nomme parfois « nage en chien ».
– L’étude du crawl permet à l’élève d’être confronté à l’ensemble des problèmes fondamentaux de la locomotion humaine dans l’eau, notamment à inspirer sans utiliser l’appui vers le bas d’un ou des deux bras.
Les arguments que nous venons de développer renvoient :
1) à l’activité technique du nageur sportif, le processus adaptatif individuel de l’homme confronté à la recherche de performance améliorée dans un contexte social à la fois coopératif et compétitif.
2) à l’activité du pédagogue dégageant à partir des productions de la haute performance les principes organisateurs du haut niveau de l’organisation locomotrice aquatique.
3) au projet éducatif s’appuyant sur – la « plasticité » définie comme la capacité que possède un système de modifier durablement sa propre structure en acquérant une possibilité nouvelle de fonctionnement non prévue initialement, – la volonté d’engager les élèves dans un processus de construction jamais achevée de pouvoirs d’agir nouveaux plus efficients, devenant ainsi à chaque étape meilleur nageur, leur permettant ainsi de s’émanciper des déterminismes liés à leur fonctionnement spontané, – l’intention de donner accès aux élèves au plus haut niveau d’adaptation de la locomotion aux contraintes du milieu aquatique.
La construction de « l’être aquatique autonome et mobile », est essentiellement de nature posturale et perceptivo-motrice et doit se développer en prenant en considération l’ensemble des forces s’exerçant sur un corps mobile dans l’eau, et des contraintes informationnelles. Les choix énoncés se comprennent dans un cadre didactique cohérent et des options didactiques exigeantes ne supportant aucun errement. La pédagogie du mouvement est incompatible avec ce cadre. Une pédagogie de l’action est requise, les mouvements et postures des élèves sont observés comme significatifs d’un niveau d’activité et d’adaptation mais ce ne sont pas les mouvements que les élèves apprennent mais un ensemble de propriétés du milieu et de leurs actions dans ce milieu, ce qui leur permet de générer des actions efficaces. Ainsi faisant, on peut espérer que tous les élèves atteignent le niveau 4 dans lequel « ayant acquis des solutions ventilatoires qu’il coordonne à ses actions propulsives, le nageur accroît les distances nagées en crawl sans interruption ».
Article paru dans le Contrepied HS 20 _21 EPS et Culturalisme