Un enjeu fondamental pour l’EPS : l’apprentissage du « beau » risque !

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Alexandre Majewski, professeur d’EPS au collège Jean Ferrat de Salaise-sur-Sanne (38)

Quelle école dans une société qui entre dans l’ère des incertitudes?
La pandémie liée au Covid-19 est inédite et inquiétante car elle est à l’origine d’une crise systémique planétaire, faite de la combinaison de crises politiques, économiques, sociales, écologiques, démocratiques…
L’après-coronavirus est tout aussi inquiétant que la crise elle-même. Il pourrait autant être apocalyptique que porteur d’espoir. Nombreux·ses sont les intellectuel·les ou les décideurs politiques qui partagent la certitude que le monde de demain ne sera pascelui d’hier.

Mais quel sera-t-il ?

L’ensemble des crises générées par ce minuscule virus aboutiront-elles à la dislocation de nos sociétés ? Saurons-nous tirer les leçons de cette pandémie qui a mis en exergue les inégalités sociales, le besoin de solidarité et l’indispensable protection de notre planète ? Nous voici donc entrés dans l’ère des incertitudes.
Pour reprendre une idée forte développée par le philosophe Edgar Morin, le probable serait l’apocalypse mais l’histoire nous enseigne que l’improbable peut advenir et modifier la situation. Encore faut-il avoir conscience des dangers, les analyser, et s’engager collectivement sur une autre voie.

L’école de la République a alors un rôle fondamental. Mais, elle doit commencer par rompre avec son orientation « utilitariste » qui vise à former des citoyens qui s’adapteront à la société telle qu’elle est ou pour le dire autrement qui chercheront à mieux la faire fonctionner. Elle doit en effet prendre le contre-pied de cette apparente évidence en contribuant à l’éducation d’un citoyen éclairé, autonome et cultivé qui s’engagera pour transformer la société. La lutte pour une école démocratique et émancipatrice prend alors tout son sens !

Une précision s’impose avant de poursuivre mon développement. Les enseignants d’EPS peuvent utiliser différentes entrées pour répondre à la problématique sociétale développée. J’ai ainsi fait un choix, celui de l’éducation au risque comme l’un des enjeux de l’école.

Un enjeu éducatif fondamental : l’apprentissage de la prise de risques

L’école moderne a comme mission essentielle de préparer les jeunes à un avenir imprévisible, changeant à un rythme de plus en plus accéléré, demandant un engagement et une prise de responsabilité de toutes et tous. Cet avenir imposera aux citoyens de percevoir et d’analyser les dangers, de réfléchir à des alternatives et d’en proposer, d’argumenter sur des possibles et de décider. La prise de risque est alors dans la décision.
Cependant, dans notre société actuelle, le maître mot n’est plus risque mais sécurité et maintien de l’ordre.

Cependant, dans notre société actuelle, le maître mot n’est plus risque mais sécurité et maintien de l’ordre.

La sécurité devient l’enveloppe de toute entreprise qu’elle soit financière, économique, éducative, sportive… La question de la prise de risque est ainsi reléguée au second plan voire abandonnée. P. Goirand nous avertit pourtant que « le déni de la prise de risque, dans une société verrouillée, aliène les individus et de ce fait engendre la violence » et l’insécurité.
Mettre de l’ordre et changer de paradigme s’imposent alors. Pour commencer, nous devons avoir à l’esprit que les apprentissages et donc les progrès nécessitent de prendre des risques pour passer d’un état d’équilibre à un déséquilibre pour se construire un nouvel « équilibre de luxe » (M. Serres- 2000). D. Le Breton nous enseigne également que « Ontologiquement, le risque est notre statut ». C’est parce que l’homme prend des risques qu’il se développe et devient plus homme. A l’école, la confrontation au risque permet donc aux jeunes d’évoluer, de se développer et de prendre le chemin de leur émancipation.

L’intérêt de l’enseignement des APPN en EPS.

L’étude des APPN que nous pouvons définir comme des activités « à risque » parce qu’elles remettent en cause l’équilibre de terrien, se déroulent dans un milieu incertain et instable, placent le pratiquant dans une situation d’épreuve et génèrent de la peur, fondamentale pour éviter les pièges, apparaît dès lors intéressante.
Deux écueils sont toutefois à éviter dans le cadre scolaire: celui, extrêmement rare, de mettre les jeunes dans des situations de risques inacceptables et celui, plus fréquent, de dénaturer ou d’aseptiser les activités. Se limiter à une animation hyper-sécurisée serait préjudiciable au regard des défis à relever !
Dès lors, nous concevons que c’est par la confrontation à des risques réels « préparée par l’apprentissage de comportements de sécurité progressivement adaptés aux risques encourus au fur et à mesure que le degré d’engagement s’accroît » (D. Delignières) que l’enseignant d’EPS permettra aux jeunes d’agir en sécurité et de construire leur émancipation. La sécurité devient ainsi consubstantielle des apprentissages.
Faisons l’éloge du « beau » risque. Un risque réduit et maîtrisé, c’est la condition et le moyen de vivre pleinement l’expérience d’une aventure ou d’une épreuve. Et « quand on en revient, on est un autre Homme » (B. Jeu) outillé pour agir dans un monde incertain. Une autre dimension éducative apparaît essentielle dans l’étude des APPN, c’est celle de l’indispensable protection de la planète. Faisons le pari que le pratiquant qui se déplace en harmonie avec la nature sera en effet plus sensible à la préservation de son terrain de jeu !