Pour Martine Le Ferrand1, une EPS axée sur l’appropriation critique des APSA, nécessite des espaces sportifs repensés. L’engagement total des élèves et un apprentissage approfondi passent par des équipements accueillants, modulables, adaptés à tous les élèves, offrant une fonctionnalité maximale et des conditions matérielles optimales.
Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme, 2018
Défendre une EPS ancrée sur l’appropriation critique du patrimoine des APSA, nécessite une réflexion approfondie sur la nature des espaces de pratique favorisant cette entrée en culture et son développement optimal. En effet l’EPS est encore trop souvent « assignée à résidence » soit dans des lieux sans « âme sportive » identifiable, soit dans des équipements sportifs conçus pour une pratique compétitive fédérale d’adultes…masculins. Décliner les exigences fonctionnelles d’une EPS riche et variée, en cohérence avec la conception culturaliste que nous défendons, conduit à repenser impérativement la structure des espaces sportifs et artistiques nécessaires et à prendre en compte certaines exigences liées aux rencontres et compétitions du sport scolaire.
Un public spécifique dans un temps contraint
De l’école primaire à la fin du lycée, ce sont 1250 heures d’enseignement d’EPS obligatoire que reçoit tout jeune scolarisé (550 h dans le 1er degré et 700 h dans le 2nd degré). Filles et garçons y pratiquent ensemble ; les effectifs sont souvent lourds – jusqu’à 35 élèves voire plus – et constitués de jeunes à compétences initiales et motivations très hétérogènes ; l’évolution morphologique des unes et des autres tout au long de la scolarité est considérable ; la construction des personnalités respectives de chacune et chacun a des incidences importantes sur leur goût plus ou moins prononcé pour l’engagement physique … Les conditions matérielles qui leur sont offertes ont donc un rôle d’autant plus essentiel à jouer qu’on est dans le cadre d’une obligation scolaire et que les temps d’apprentissages, que nous voulons maximaux pour une véritable entrée en culture dans les APSA, s’inscrivent dans des créneaux horaires précis car bornés par le temps dévolu aux autres disciplines.
Avant tout des équipements accueillants et qui soient sportifs
Évoluer en EPS dans un espace sportif accueillant c’est avant tout permettre au jeune de construire, quel que soit son appétence initiale et son niveau de pratique, son propre imaginaire sportif et artistique. C’est aussi mettre en cohérence les éléments les plus essentiels des connaissances produites par l’humanité dans le domaine des APSA avec la dénomination scolaire de l’APSA enseignée et la pratique socialement constituée hors de l’école. Faire évoluer les jeunes dans des équipements dont la conception s’apparente à celle qui permet de créer les formes les plus abouties de ces productions que sont les performances sportives de haut et très haut niveau, est un moteur essentiel à l’envie de chacune et chacun de créer sa propre performance, de la retravailler sans cesse, de l’évaluer, de la dépasser à l’infini. Des installations sportives qui font « rêver » l’élève et offrent une fonctionnalité maximale à chaque étape de la scolarité conditionnent notre exigence que le jeune acquiert un haut niveau de connaissance. Il doit être en situation de pouvoir s’approprier réellement les savoirs spécifiques dans plusieurs familles d’APSA, collectivement comme individuellement, de pouvoir progresser tout au long de la scolarité et d’articuler avec le maximum d’appétence et de plaisir, découverte, stabilisation, approfondissement des habiletés motrices. Toutes et tous capables et donc en mesure de réussir oui, mais encore faut-il disposer de conditions matérielles optimales !
Des installations sportives qui doivent permettent un temps de pratique maximum
Cela nécessite une augmentation conséquente des surfaces d’évolution pour répondre à la mise en activité simultanée de tout le groupe, quelle que soit son importance numérique. Elle doit donc se traduire par des gymnases, des salles spécialisées ou semi-spécialisées, des aires de pratiques extérieures beaucoup plus grandes : il faut pousser les « murs » !
Ces augmentations de surfaces permettent en outre de configurer les espaces de telles sorte à pouvoir accueillir de manière optimale, dans un même équipement, plusieurs APSA telles que : volley-ball, hand-ball, basket-ball, badminton, tennis de table, tennis, gymnastique rythmique, escalade dans un gymnase ; tennis de table, combat, danse, escalade dans une salle semi-spécialisée…
Cela veut dire aussi des espaces divisibles en sous-espaces de dimensions variées, permettant à la fois de moduler l’espace en fonction de l’âge et des habiletés des pratiquants et d’organiser des ateliers en petits groupes de plus ou moins grande importance. C’est donner le temps et la possibilité à chaque jeune de s’investir pleinement dans son rapport aux autres qu’ils soient partenaires, adversaires ou concurrents et d’identifier ses propres possibilités comme ses manques. C’est lui permettre d’adapter à tout moment son comportement moteur fait de courses, blocages, élans, sauts, suspensions, accélérations, évitements, tours, chutes contrôlées, envols …Concrètement, c’est équiper les espaces sportifs et artistiques : de multi-terrains de jeux de sports collectifs de dimensions variées ; de couloirs d’élans et fosses de réceptions multiples pour les sauts ; d’aires de lancers démultipliées ; de possibilités de varier les profondeurs de bassins de natation ; de possibilités infinies d’agencements d’une SAE ; d’ateliers de gymnastique sportive modulables ; d’espaces d’activités artistiques permettant de travailler de multiples configurations chorégraphiques,… Optimiser au maximum le temps de pratique c’est nécessairement disposer aussi de technologies et matériaux modernes favorisant des « changements de décors » très rapides : démultiplication des réservations au sol pour ancrage des poteaux, panneaux réglables en hauteur, cages rabattables, rideaux de séparation, tribunes escamotables,… Des espaces de rangement pour le matériel lourd comme pour le petit matériel, attenant aux espaces de pratique, participent à l’optimisation du temps d’activité. Ils doivent être fonctionnels et sécurisés.
L’implantation intra-muros des équipements pour l’EPS est fondamentale, tant du point de l’effectivité du temps dédié à la discipline que de la maîtrise de configuration des espaces et du planning d’utilisation pendant le temps scolaire. A l’époque où il avait en charge les grands lycées « historiques », qui ont vu des générations d’élèves bénéficier de 5h d’EPS hebdomadaires, l’Etat a estimé nécessaire de doter ces établissements d’authentiques installations sportives variées, nombreuses, de qualité et intra-muros : en général 1 ou 2 gymnases pour les sports collectifs de petits terrains, 1 ou 2 salles spécialisées ou semi-spécialisées – souvent de gymnastique sportive et danse -, un bassin de natation, des aires d’athlétisme et des terrains pour le foot et le rugby. Ils disposaient donc à la fois de structures permettant aux jeunes de se confronter à des savoirs spécifiques dans différentes APSA et du temps long nécessaire à la consolidation des apprentissages. C’est ce type de concept qu’il faudrait décliner dans tous les établissements sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin.
Des installations sportives qui permettent d’entrer en connaissance avec l’essence des APSA
La délimitation systématique des espaces et sous-espaces au moyen de tracés permanents (respectant par ailleurs les tracés dits officiels), est indispensable à l’acquisition des notions d’espaces, de temps et autres contraintes réglementaires spécifiques à chaque activité socialement constituée. Des dégagements plus importants autour des terrains et des différentes aires d’activité favorisent le travail en amplitude, puissance et prise de risque des élèves au fur et à mesure de leurs acquisitions, de l’évolution de leurs habiletés motrices, techniques et tactiques et de leur modifications physiques et physiologiques.
Cette délimitation permet d’apprendre à inscrire et organiser son action, comme celle de ses partenaires dans son propre terrain, à identifier précisément le camp adverse, à circonscrire sa course à pied ou sa nage dans un couloir donné, son élan dans une zone donnée et son saut dans une aire délimitée, à se situer par rapport à ses concurrents, et de s’approprier ainsi, de façon optimale, les repères spatio-temporels propres à chaque APSA.
C’est aussi se confronter aux règles sportives telles qu’elles se sont historiquement constituées, à leurs évolutions, à leurs contournements éventuels pour les besoins spécifiques d’une entrée en culture adaptée aux différentes étapes de l’institution scolaire ou à leur respect plus ou moins strict, notamment dans le cadre des rencontres et compétitions du sport scolaire.
La fonctionnalité et mise en sécurité optimale des aires d’évolution terrestres, aquatiques et aériennes offre la possibilité d’explorer, sans interférence de freins matériels, les limites des possibilités motrices inhérentes à chacune et chacun, de tenter et réussir à les dépasser à travers des apprentissages toujours plus poussés. Il en va de la nécessité de sols répondant respectivement aux exigences de souplesse, de restitution d’énergie, d’amortissement des chocs, de glissance, de brillance, de toxicologie…Il en va de même pour les tapis et fosses de réception en gymnastique, en escalade sur SAE, en sports de combat,…Les systèmes d’éclairages artificiels et naturels doivent viser à favoriser la perception visuelle dans toutes les dimensions, comme le traitement acoustique des installations qui doit permettre de communiquer, d’être entendus et écoutés sans interférences extérieures majeures. Les systèmes de climatisation chaude et froide sont indispensables à l’engagement total dans l’activité, sans qu’ils engendrent des mouvements d’air susceptibles d’influer sur des trajectoires de balles, volants, rubans ou autre petit matériel. Sanitaires et vestiaires fonctionnels, en nombre suffisant et bien entretenus participent des conditions d’un engagement total dans les APSA et du plaisir de pratiquer.
Le retour sur sa propre pratique et l’observation de celle des autres est un des éléments constitutifs de l’appropriation de l’essence des APSA. Les salles de regroupements pédagogiques équipées de moyens audiovisuels modernes, attenantes aux espaces de pratique, sont d’un concours précieux.Le SNEP FSU a décliné et développé ces propositions dans 5 ouvrages 2 cités en référence par le ministère de l’Éducation Nationale, en 2012, dans son propre guide équipements. Ses préconisations ont par ailleurs inspiré nombre de maîtres d’œuvres et particulièrement les collectivités territoriales de rattachement des écoles, collèges ou lycées qui ont à cœur la qualité de l’enseignement de L’EPS. Elles offrent ainsi aux jeunes la possibilité d’avancées considérables en matière d’appropriation de la culture des APSA durant leur scolarité et à tous les autres usagers hors temps scolaire.
Article à retrouver dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme
- secteur équipements, ex secrétaire générale adjointe du SNEP-FSU↩
- https://lesite.snepfsu.fr/sujets/mon-metier/equipements/les-referentiels-du-snep-fsu/ ↩