Dans cet article de 2017, Claire Pontais, formatrice en INSPE propose un dépassement des controverses professionnelles dans diverses approches pédagogiques de l’enseignement du volley-ball. Elle illustre deux conceptions « balle bloquée » et « renvoi direct » qui semblent s’opposer pour proposer une sorte d’hybridation pédagogique qui utiliserait momentanément le jeu en « balle bloquée »
Article paru dans la revue ContrePied HS n° 18 juin 2017.
Balle bloquée/renvoi direct : quelles controverses professionnelles ?
Dès que l’on parle volley, la controverse sur « la balle bloquée » continue de provoquer des discussions plus ou moins passionnées. Elle s’oppose souvent au 1 contre 1 ou au renvoi direct. Décryptage des diverses conceptions1.
La balle bloquée
Qualifiée de « forme de pratique scolaire » par le Cedreps, la balle bloquée a été popularisée en France par Jacques Metzler en 2004 (une proposition de même type était passé inaperçue en 19962). Pour être précis, cette pratique vient du Canada où il existe des règlements différents suivant les championnats (compétitions officielles, volley récréatif), les âges (jeunes, seniors ; ex : droits de bloquer toutes les balles, droit de bloquer la 2è balle). Ce volley s’est également institutionnalisé dans certains pays sous le nom de cathball ou cathciball (qui vient de to catch = attraper : toutes les balles peuvent être bloquées), en tant que pratique pour les femmes3.
La balle bloquée est donc au départ une adaptation de la règle pour supprimer la difficulté technique de la passe et permettre à tous d’entrer rapidement dans un jeu d’échange de balle. Toute adaptation de ce type en sports collectifs révèle des choix en termes de rapport technique/tactique ou d’objets d’étude prioritaires. Elle peut donc être discutée, tout comme on a discuté en hand-ball, du fait d’autoriser, dans une première étape, une course en portant la balle4 (choix de favoriser l’atteinte de la cible) ou au contraire, favoriser les passes en interdisant le dribble (choix de favoriser la coopération entre joueurs).
Nous avons cherché à savoir ce qui guide les enseignant-es qui utilisent cette modalité de jeu. S’agit-il de conceptions du volley différentes ou s’agit-il d’un débat sur des variables didactiques ou pédagogiques ?
Les collègues qui utilisent la balle bloquée durablement partent tous du constat que la touche de balle est un apprentissage technique qui demande du temps (voire impossible dans le cadre scolaire) et souhaitent rendre plus faciles les échanges ou les renvois5. Suivant les types de blocage qu’ils/elles autorisent (renvoi au-dessus de la tête, « passe canadienne », renvoi en frappe de volley), avec ou sans déplacements, le jeu est alors plus ou moins ralenti. Suivant l’autorisation de blocage, c’est soit le jeu du réceptionneur qui est facilité (blocage 1ère balle), soit le jeu du passeur (blocage 2è balle). D’autres collègues encore autorisent le blocage des deux premières balles : l’objectif est alors clairement de travailler la construction d’emblée d’un jeu autour de 3 passes.
Pour ces enseignant.es qui utilisent la balle bloquée durablement, les apprentissages techniques sont éliminés pour laisser la place à des objectifs selon eux, prioritairement tactiques, faire en sorte qu’elle ne tombe pas, ne pas permettre à l’équipe adverse de marquer par simple chute de la balle, faire en sorte que personne ne soit exclu du jeu. Ces collègues sont satisfaits parce que les élèves sont plus mobiles, se posent des questions sur le collectif et en fin de cycle, les élèves construisent une attaque en 3 touches de balle, conformément à leur objectif initial.
Pour ceux et celles pour qui il ne s’agit que d’une première étape, les frappes de balle type volley restent une visée, mais pas obligatoirement une priorité. En fin de cycle, le fait qu’une partie des élèves bloquent encore ne les gêne pas.
A l’opposée de la balle bloquée, le jeu rapide avec renvoi direct
Les défenseurs d’un jeu qui, au départ, considèrent le renvoi direct comme une réponse totalement adaptée raisonnent sur des bases totalement différentes6. Pour elles-eux, les apprentissages tactiques et techniques sont liés, et elles-ils considèrent que le renvoi direct, au sein d’un 2 contre 2, est déjà un jeu collectif, ou en tout cas, celui qui va permettre le plus rapidement le développement d’un jeu collectif.
Pour elles-eux, l’obstacle (qui a produit la solution de la balle bloquée) est la représentation majoritaire du volley en 3 touches de balle. Ce volley ne peut pas être la référence pertinente pour des débutant.es car, même en club, avant de voir apparaître le sens même des 3 touches de balles, il faut un temps considérable. La question est donc de changer de lunettes et percevoir le plaisir et le progrès en volley autrement que dans l’acquisition des 3 touches de balle.
Dans la démarche d’apprentissage, la volonté de renvoyer la balle rapidement, première solution pour défendre son camp (d’abord en 1 contre 1 puis en 2 contre 2) dure longtemps. Même si le jeu est une succession de renvois directs, dans un duo, l’élève développe déjà des compétences de sports collectifs : on doit savoir qui réceptionne (cela suppose de savoir où est l’autre, s’il aura le temps d’être sous la balle ou pas), en fonction de cette prise d’info, le non-réceptionneur doit se déplacer pour attaquer, etc. Le 2 contre 2 ne prenant tout son sens que lorsque l’élève a « épuisé » les ressources du renvoi direct, qui ne suffit plus pour marquer, et qu’il ressent donc la nécessité d’avoir un relai.
… Le 2 contre 2 ne prenant tout son sens que lorsque l’élève a « épuisé » les ressources du renvoi direct, qui ne suffit plus pour marquer, et qu’il ressent donc la nécessité d’avoir un relai…
Si on s’attache au seul plan technique, jouer en 1 contre 1 permet d’avoir une grande quantité de touches de balle et nécessite de construire « la mise en tension », anticipation posturale nécessaire pour se déplacer sous la balle. Le joueur a le droit à plusieurs touches de balle pour avoir la possibilité de « s’auto-construire » une attaque et d’apprendre à choisir entre tirer ou conserver. Jouer d’abord en 1 contre 1 permet donc pour ces collègues de régler un grand nombre de problèmes au plan individuel qui produiront par la suite un jeu très enrichi.
Ces collègues constatent par ailleurs que, dans les championnats fédéraux, les enfants qui jouent en renvoi direct gagnent quasiment toujours contre ceux qui ont appris en bloquant la balle, tout simplement parce qu’ils accélèrent le jeu.
Des hybridations pédagogiques
La balle bloquée, utilisée très momentanément, dans un jeu où l’attaque de la cible dès que possible est privilégiée.
Certains utilisent la balle bloquée, sans en faire un principe de jeu, mais une variable très momentanée utilisée quand elle semble nécessaire. Par exemple, quand les élèves commencent à renvoyer au fond et qu’il leur est impossible, momentanément de remonter la balle. Autoriser le blocage permet aux élèves, qui en ont besoin, de mieux contrôler la trajectoire ascendante (parfois la contrainte « blocage au-dessus de la tête » est exigée). Dès que cet apprentissage est effectué, la balle est à nouveau déviée.
D’autres collègues encore utilisent le blocage, avec l’intention qu’il permette de choisir en fonction de la situation. L’élève renvoie en touche de volley, mais peut, en cas de difficulté (déséquilibre, crise de temps) utiliser ou pas la balle bloquée. Ce système a l’avantage de faciliter la possibilité d’équipes hétérogènes.
Ces enseignant-es se rapprochent de la conception « renvoi direct », puisque l’attaque de la cible adverse, dès que c’est possible dans de bonnes conditions, reste leur priorité.
La balle accompagnée comme moyen de répondre rapidement à la commande institutionnelle
Une dernière catégorie de collègues utilisent la balle accompagnée en lycée, alors qu’ils utiliseraient la construction du relais à partir du renvoi direct s’ils étaient en collège. Leur raisonnement est le suivant : tels que les élèves arrivent au lycée avec des vécus différents, des représentations du volley différentes, des écarts énormes garçons-filles, vu les attentes du bac, vu le peu de temps scolaire disponible, pour répondre à la commande (3 contre 3 ou 4 contre 4 au bac, avec relai construit), la balle accompagnée est une espèce de passage obligé (une forme de « rééducation » nous a dit une collègue) qui permet de remettre tous les élèves dans le jeu et d’atteindre les transformations attendues au regard des normes du bac.
Au final, deux conceptions
Entre la balle bloquée et le renvoi direct en 2 contre 2, comme situations de référence, il y a donc pas la même représentation/ conception du volley. La balle bloquée révèle un volley centré sur les passes, avec une survalorisation de la défense, qui minimise volontairement les apprentissages techniques. Le renvoi direct va plutôt centrer les élèves sur le jeu rapide orienté vers l’attaque et l’apprentissage technico-tactique (le placement sous la balle étant au cœur).
Au sein de ces deux conceptions, on peut avoir des variantes, voire des mélanges, les collègues qui autorisent momentanément la balle bloquée pouvant se situer dans l’une ou l’autre des conceptions. Le type d’exercice proposé ne révèle pas à lui seul la conception de l’enseignant-e. Il faut y regarder de plus près.
Derrière le dispositif choisi se cachent les enjeux de formation à partir du modèle visé : dans un cas la référence non explicite est celle des « 3 passes », dans l’autre, la prise de décision en crise de temps… Il est probable que les élèves ne développeront pas les mêmes compétences. C’est, comme dans de nombreuses controverses professionnelles, la question de la culture commune des élèves qui est ici en jeu. En tout cas le débat doit vivre, ou s’instaurer lorsqu’il est absent, car si l’heure institutionnelle est soi-disant à la « liberté pédagogique », la tentation est extrêmement forte pour imposer des « bonnes pratiques ». On ne formera pas des élèves critiques sans des enseignants eux-mêmes critiques…
Article de Claire Pontais paru dans la revue ContrePied HS n° 18 juin 2017.
- Après plusieurs entretiens téléphoniques auprès de collègues↩
- Foeillet, Alain. Volleyball, une approche en collège. Revue EPS n° 262, 1996↩
- On peut voir des vidéos sur ce site http://mamanet.org.il/Galleries_en.asp↩
- Contrepied Hand-Ball n°6 HS, mai 2013↩
- www.eps.ac-aix-marseille.fr ↩
- Cf. S. Lepuissant : Le volley-ball scolaire www .contrepied.net ; D. Kraemer : www.volleyball.qc.ca, SMASH, MARS 2012↩