Benjamin Roche a été passeur puis entraineur du centre de formation d’un club professionnel et entraineur adjoint du Paris Volley-ball. Il a soutenu en 2011 une thèse intitulée ‘’Les décisions du passeur de haut niveau en volley-ball sur réception de service : quatre études de cas’’
Cet entretien réalisé par Yvon Léziart en 2017 présente les éléments principaux de cette recherche et met en exergue son apport pour l’enseignement du volley-ball en classe.
Article paru dans la revue ContrePied HS n° 18, juin 2017.
Les décisions en action prises par les passeurs de haut niveau en Volley-ball
Présentation de la recherche :
L’objet de la recherche est la prise de décision chez les passeurs de haut niveau en volley-ball ou plus simplement comment les passeurs, soumis à une forte pression temporelle, prennent-ils leurs décisions, lors de la construction de l’attaque?
L’enjeu est de caractériser la complexité des décisions tactiques, en soulignant les relations dynamiques entre les aspects circonstanciés et les sources d’influences plus générales afin de proposer des pistes susceptibles d’optimiser leurs compétences et leur formation.
Nos hypothèses sont les suivantes :
- L’activité décisionnelle du passeur dans l’action en cours s’organise par une mobilisation singulière et subjective d’un système d’influence comprenant: le contexte général, le contexte local, et l’expérience du joueur.
- La graduation de l’émergence à la réflexion pour un même individu
Nous avons mobilisé plusieurs paradigmes scientifiques (action située, la cognition distribuée, l’énaction et la psycho-phénoménologie) qui proposent un éclairage particulier et complémentaire sur les conduites décisionnelles. Notre volonté est de dépasser la réponse théorique encore dominante du modèle cognitiviste du Système de Traitement de l’Information : « il faudrait tout voir, tout bien voir et vite pour se faire une bonne représentation du monde avant de bien intervenir ».
La méthode utilisée tente de cerner les facettes publiques et privées de l’activité décisionnelle en investiguant les conceptions (entretiens semi-directif), les verbalisations sur l’action (entretien d’auto confrontation) et les actions des passeurs en situation de match (analyse vidéo de la rencontre).
Cette étude a été menée avec quatre passeurs français internationaux encore en activité.
Principaux Résultats :
L’interprétation des résultats se fait à partir de la recherche des points communs entre les différents passeurs et de ce qui fonde leur singularité.
- Les passeurs utilisent tous une pluralité de gammes décisionnelles, entre des décisions réfléchies et des décisions adaptatives.
- Ce sont toujours des circonstances particulières qui déclenchent l’adaptation. Cette adaptation est présentée comme dépendante d’actions de jeu engagées par des partenaires et non prévues. Elle peut aussi être liée à ce que les passeurs nomment le ressenti et qui généralement se manifeste lors des ‘’états de grâce’’ des passeurs.
- Leur projection et leur planification prennent les mêmes bases de connaissances actualisées: adversaires, partenaires, l’histoire de la rencontre, leurs ressentis, leurs expériences et leurs culture de jeu.
- Le système d’attaque se construit toujours à partir de la fixation et constitue la cristallisation de l’arrière-plan décisionnel et une ressource pour l’action.
- La particularité de chaque joueur se manifeste par le type de relations qu’il établit avec chaque partenaire et de la connaissance possédée sur les joueurs adverses et particulièrement sur les contreurs centraux. L’histoire de chacun, de son initiation à ses premiers entraîneurs, jusqu’aux connaissances apprises dans les différents clubs fréquentés, les savoir-faire maitrisés ainsi que l’intérêt et la capacité développés à évaluer chaque match joué, marquent profondément le jeu de chaque passeur.
- Chaque passeur donne du sens ici et maintenant et convoque les différentes sources d’influence possible au regard de sa logique propre. Cela ne répond pas d’une logique rationnelle extérieure.
Apports pour les professeurs d’EPS :
Une recherche sur les meilleurs passeurs du volley-ball français, ne donne évidemment pas des résultats directement transmissibles à l’école. Cependant, les résultats obtenus montrent que la qualité d’un volleyeur de haut niveau réside dans sa capacité à maitriser un jeu construit et dans sa possibilité à s’adapter aux fluctuations du jeu en intégrant de nombreux indices perceptifs lors du déroulement de l’action.
…la qualité d’un volleyeur de haut niveau réside dans sa capacité à maitriser un jeu construit et dans sa possibilité à s’adapter aux fluctuations du jeu en intégrant de nombreux indices perceptifs lors du déroulement de l’action.
Malgré les difficultés rencontrées par les élèves lors des premières séances d’initiation, nous estimons importants que ceux-ci développent au plus vite une compréhension des enjeux de la pratique, associée à des déplacements modulés.
Pour proposer un volley-ball efficient, dès la phase d’initiation, nous estimons nécessaire que les enseignants effectuent une remise en question du modèle dominant (système de traitement de l’information) pour se centrer sur l’activité du joueur de volley-ball et la proposition d’un modèle de compréhension de l’activité du joueur/apprenant. Cette activité est particulière. Elle intègre les spécificités du volley-ball et plus particulièrement les fonctions spécifiques du passeur.
- Appréhender l’enjeu spécifique en phase d’attaque, c’est construire et maintenir un contexte d’incertitude plus que de voir et de lire la situation à l’instant. Et cela quelques soit le niveau de pratique et donc de construire des situations d’apprentissage et d’évaluation autour de cette problématique plus que sur la prise d’information. Jouer au Volley-ball c’est avant tout trouver des solutions aux problèmes que posent les règlements du jeu et l’opposition des adversaires.
- La prise d’information du joueur est importante. Elle est cependant liée au choix de jeu réalisé par l’élève. Jouer c’est choisir la réponse la plus efficace possible face à un problème rencontré. C’est la confrontation à une succession de problèmes qui entraîne un affinement de la motricité spécifique et donc des prises d’information. Soulignons également que le champ attentionnel ne se réduit pas à la vision. Il est intéressant de travailler sur d’autres sources d’information et notamment l’ouïe.
- Jouer au volley-ball c’est également varier, pour créer de l’incertitude, les zones de jeu, les modes de renvois, le nombre d’échanges avant renvoi. Il faut donc varier les stratégies de marquage des points en apprenant à maitriser les stratégies de point immédiat et de point différé. La verbalisation des élèves permet de différencier compétence d’exploration, compétence d’actualisation. Certains élèves comprennent bien le sens du jeu et sont capables d’exprimer ce qu’il faudrait faire dans une situation particulière pour marquer un point sans qu’ils aient les moyens de la réalisation. D’autres élèves, au contraire possèdent des compétences physiques les autorisant à marquer aisément des points sans cependant qu’ils aient cherché à explorer la meilleure zone de jeu. Construire un joueur, c’est en faire un être intelligent dans toutes les actions de jeu.
- En conséquence, la valorisation d’une approche de l’intersubjectivité est transformatrice de l’élève. Approcher ce qu’il fait, les choix réalisés, les indicateurs, sensations, ressentis valorisés, les perceptions retenues sont utiles à la formation d’un élève. L’utilisation des NTIC (explicitation+vidéo) permet aux élèves d’aller jusqu’au bout de ses possibles pour expliquer les choix réalisés et pour construire efficacement la relation passeur/attaquant
- Enfin, soulignons que la compétition est le lieu essentiel des apprentissages. L’action en temps réel fait apparaître la complexité des problèmes à résoudre et leur rapide succession. C’est donc, quel que soit le format de jeu adopté, le révélateur des problèmes que devront résoudre les élèves. Le règlement donne toute latitude aux enseignants pour faire émerger certains problèmes plutôt que d’autres.
Entretien réalisé par Yvon Léziar et paru dans la revue ContrePied HS n° 18, juin 2017.