À propos des élèves à besoins éducatifs particuliers

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Si la loi est le reflet d’une société et de son évolution à un moment donné de son histoire, la publication des textes officiels à propos de l’éducation physique des élèves à Besoins Éducatifs Particuliers (BEP) peut représenter le résultat d’une évolution sociale face à un problème particulier, celui de l’accès de tous et de toutes, à l’école (Morales Y. et Séguillon D., 2018) [[Morales Y. et Séguillon D. (2018). De l’institutionnalisation de la discipline à l’inclusion actuelle de tous les élèves en EPS : rupture ou continuité dans la prise en compte des élèves à besoins éducatifs particuliers ? Dans Éducation physique et sportive et besoins éducatifs particuliers des élèves. La nouvelle Revue Éducation et société inclusive, n°81. Éditions INSHEA.]]


Une longue lutte, qui a permis en France la publication de la loi n°75-534 du 30 juin 1975 puis de l’actuelle loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, à contribuer à cette évolution, voire cette révolution au service d’une démocratie augmentée.

Ainsi, dès 2005, et même si le terme n’est pas employé dans la loi, il est implicitement question d’inclusion scolaire donnant lieu, en 2013, à l’usage du terme « d’école inclusive » dans la loi de refondation de la République. La scolarisation des élèves à BEP est repensée en termes d’accessibilité, de compensation et de choix du parcours, reconnaissant explicitement la nécessaire adaptation de l’environnement à l’élève.

… il est implicitement question d’inclusion scolaire donnant lieu, en 2013, à l’usage du terme « d’école inclusive » dans la loi de refondation de la République.

L’EPS comme l’ensemble des disciplines scolaires se doit alors de prendre en charge l’ensemble des élèves au sein des cours. Un nombre accru d’élèves à BEP est alors à constater. Par leur présence, ces élèves rendent incontournable l’utilisation d’une pédagogie encore plus différenciée dans un espace scolaire toujours plus hétérogène. Il est alors demandé à l’enseignant d’EPS de promouvoir cette nouvelle approche et d’accueillir l’ensemble des élèves et notamment ceux qui sont dits « autrement capables ». Les enseignants de la discipline se sont emparés de cette problématique en participant massivement aux formations adaptées à ces publics, et, en même temps, continuent à accepter de dispenser des cours, souvent contraints et forcés par la médecine des familles, les élèves reconnus inaptes alors que la dispense n’existe plus depuis près de 25 ans. Des freins perdurent comme l’expriment des enseignants d’EPS (Meziani et Séguillon, 2018) [[Meziani M. et Séguillon D. (2018). Paroles d’acteurs et histoires de vie : les enseignants d’éducation physique face à l’inclusion. Dans Éducation physique et sportive et besoins éducatifs particuliers des élèves. La nouvelle Revue Éducation et société inclusive, n°81. Éditions INSHEA.]] au plan sociétal : comment inclure en EPS alors que la société est des plus excluantes notamment par les difficultés d’accès à l’emploi et les représentations sociales des personnes en situation de handicap ?

comment inclure en EPS alors que la société est des plus excluantes notamment par les difficultés d’accès à l’emploi et les représentations sociales des personnes en situation de handicap ?

Ces freins perdurent également au plan institutionnel au sein de l’école, la communauté éducative rechignant globalement à une telle inclusion notamment sous le prétexte d’une méconnaissance de ces publics à BEP. Ces freins demeurent au plan de la corporation : comment proposer une EPS différentiée au sein d’une classe de 30 élèves et plus, sans véritable accompagnement de l’ensemble de la communauté éducative de l’établissement ? Ces freins sont donc multiples et variés [[Tant M., Watelain E. et André A. (2018). Détermination et perceptions différentiées d’enseignements d’Éducation physique et sportives envers l’inclusion des élèves en situation de handicap. Dans Éducation physique et sportive et besoins éducatifs particuliers des élèves. La nouvelle Revue Éducation et société inclusive, n°81. Éditions INSHEA.]] mais des solutions existent pour se former à cette hétérogénéité croissante et accueillir tous les élèves en EPS (Garel, 2018 [[Garel J.-P. (2018). Jeux sportifs collectifs et handicap. Genèse de pratiques partagées innovantes. Dans Éducation physique et sportive et besoins éducatifs particuliers des élèves. La nouvelle Revue Éducation et société inclusive, n°81. Éditions INSHEA.]] ; Montaud D. et Amans-Passaga C., 2018 [[Montaud D. et Amans-Passaga C. (2018). Inclusion épistémique des élèves en situation de surcharge pondérale en EPS. Dans Éducation physique et sportive et besoins éducatifs particuliers des élèves. La nouvelle Revue Éducation et société inclusive, n°81. Éditions INSHEA.]].

De l’horizon recherché au travers de la notion d’EPS inclusive, nous retiendrons une démarche qui vise à une double interrogation, celle de la caractérisation des élèves c’est à dire, les ressources disponibles, et celle de ce qui fait obstacle à leur apprentissage et à leur participation dans le contexte donné.
Par la suite, les aides collectives et individuelles proposées par les enseignants d’EPS, nommées « adaptations pour rendre accessible » et « compensations », viendront résoudre partiellement ou totalement ces obstacles repérés.

Prenons le support de l’APSA course d’orientation (CO) pour décrire cette logique : le milieu dans lequel évolue les élèves (sous-bois, forêt, avec parfois du relief, de l’humidité) peut faire obstacle à l’élève à BEP se déplaçant en fauteuil. Nous pouvons alors proposer la réalisation du cycle CO sur des voies carrossables. Une autre solution serait d’adapter le fauteuil à la variété du milieu. L’utilisation de la Joélette semble alors une solution à la condition de conserver la tâche d’orienteur pour l’élève à BEP, ses pairs « valides » lui assurant ainsi la sécurité pour son déplacement. La lecture de carte : l’outil « carte de course d’orientation » peut constituer un frein à la lecture pour certains élèves ayant des troubles visuo-spatiaux ou encore des élèves déficients visuels. En effet, si la cécité impose la mise en place d’outil comme le road book audio (ou le road book traduit en brail), le plan simplifié ou la maquette peuvent également aider les élèves ayant des troubles visuo-spatiaux.

La contrainte de temps : aller vite et loin peut s’avérer diminuer les chances d’élèves fatigables sur le plan moteur et énergétique d’atteindre l’objectif fixé. Nous pourrions alors proposer d’augmenter la contrainte « précision » et diminuer celle du temps. Nous pouvons à ce propos noter qu’il existe l’activité « Orientation de précision » pour laquelle la réussite ne se joue pas sur la rapidité de réalisation du parcours [[http://www.ffcorientation.fr/media/cms_page_media/114/DOSSIER%20PRESSE%202013_1.pdf]].

La planification d’un itinéraire : l’activité « choix d’itinéraire », « planification du déplacement » peuvent s’avérer complexes pour certains élèves à BEP ayant des troubles cognitifs. Aussi, nous pourrions privilégier la mémorisation d’indices pertinents, la verbalisation d’itinéraires jalonnés pour contourner ces obstacles.

La prise de risque/la sécurité : l’engagement, parfois seul, dans un milieu inconnu et qui peut paraitre hostile, pourrait constituer une contrainte rédhibitoire pour l’apprentissage de certains élèves à BEP. Il s’agit ici de proposer, des situations pédagogiques, sécurisantes sur le plan psycho et socio affectif (progressivité dans l’exposition à la complexité du milieu, contrôle visuel de l’enseignant, accompagnement, tutorat).

L’EPS doit également viser la participation sociale de ces élèves à BEP. Inclure, c’est partager, vivre ensemble, interagir avec autrui, participer à un projet commun. Ainsi nous nous devons de proposer un environnement collaboratif et participatif à nos élèves, de telle sorte qu’ils puissent construire leur identité, leur autonomie et leur citoyenneté.

Inclure, c’est partager, vivre ensemble, interagir avec autrui, participer à un projet commun.

Les travaux du sociologue Serge Ebersold invitent l’école à mettre en place des modalités de coopération pour créer des environnements éducatifs plaçant les jeunes en situation de handicap en capacité de tenir leurs rôles d’élèves et de renforcer leur pouvoir d’agir.

Ci-dessous entretien vidéo de Serge Ebersold, Professeur au CNAM, Titulaire de la Chaire Accessibilité « Coopérer pour construire les filets de sécurité nécessaires à la concrétisation du droit à l’Education. » .

Loin de constituer des recettes ou un catalogue d’aides techniques par catégorie de « déficiences », ces exemples doivent être l’aboutissement d’une double interrogation sur l’élève et ses caractéristiques (motrices, cognitives, physiologiques, affectives et sociales) et ses apprentissages dans un contexte précis. Selon Hervé Benoit : « Tisser les liens indispensables entre les enfants et les savoirs impose de démêler l’écheveau des codes et des pratiques de communication et de représentation des connaissances transmises par l’école. Ces codes et pratiques peuvent se constituer en obstacles pour un élève en situation d’apprentissage : il en résulte un besoin d’aide, c’est-à-dire, un besoin éducatif particulier, dont la définition repose essentiellement sur une analyse des interactions relationnelles dans le contexte d’enseignement et auquel il s’agit de répondre dans la perspective la plus ouverte possible, en partant du principe que l’environnement scolaire est adaptable et sans hésiter, à aménager la norme scolaire.»

Ainsi, pour combattre les idées reçues, il est nécessaire de réaffirmer que pour certaines catégories d’élèves dits lourdement handicapés ou avec des particularités singulières, il ne serait ni souhaitable, ni possible de proposer une éducation physique adaptée au sein d’un groupe classe ordinaire. Dans les établissements accueillant des élèves à BEP et des élèves ordinaires dans lesquels nous avons enseigné de longues années, tous les élèves à BEP participaient aux cours d’EPS et dans le cas choisi, à l’activité course d’orientation. Les seuls élèves dispensés, quand il y en avait, étaient des élèves non-handicapés en possession de certificat médical signé par le médecin de famille. Nous devons rechercher l’égalité dans la différence, le projet d’une école inclusive respectueuse de chacun.

Nous devons rechercher l’égalité dans la différence, le projet d’une école inclusive respectueuse de chacun.

Cet article de de D. Seguillon et L. Buanec est un supplément électronique au magazine Contrepied HS N°23 – L’émancipation en actes (Février 2019)

Ludovic Buanec est enseignant d‘EP à l’Université de Paris Nanterre et Didier Séguillon, enseignant d’EP de formation, enseignant à l’Université de Paris Nanterre et chercheur au Grhapes – INS HEA, Suresnes