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Retours sur l’enquête nationale Image du sport scolaire et pratique d’enseignement au collège et au lycée-2005-2006 réalisée au cours de l’année 2006 par les services d’études statistiques du ministère de l’éducation nationale (DEPP) réalisées auprès de 1954 élèves et de 1317 enseignants. Dossier DEPP, Ministère de l’Education Nationale, Ed. Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2007.

Pourquoi les filles ne savent pas lire les cartes routières?

L’enquête nationale[[ menée par les services d’études statistiques du ministère de l’éducation nationale (DEPP) réalisées auprès de 1954 élèves et de 1317 enseignants. Dossier DEPP, Ministère de l’Education Nationale, Ed. Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2007.]], Image du sport scolaire et pratique d’enseignement au collège et au lycée-2005-2006 réalisée au cours de l’année 2006, révèle que les activités de pleine nature posent moins de problèmes de mixité que d’autres disciplines très connotées sexuellement.
Pour les collégien.ne.s, la course d’orientation est une occasion pour filles et garçons « d’aller dans la nature et d’acquérir des connaissances, de se repérer, d’utiliser une boussole »[[ Les collégien.ne.s en course d’orientation, étude menée auprès des collégien.ne.s de l’académie de Grenoble, Odit France, 2008.]].
Pourtant sous une apparente mixité ‘fonctionnelle’ s’organise des distinctions (lors de la lecture des symboles de la carte, le pilotage du déplacement entre les balises ou encore la gestion de ses émotions) entre les sexes qui nécessitent des ajustements conséquents dans les représentations et les contenus d’enseignement proposés.

Les stéréotypes et l’activité d’orientation

Effectivement, l’activité n’échappe pas à nombre de stéréotypes, comme ceux véhiculés dans l’ouvrage Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières du Dr. Alan et Barbara Pease[[ Pease, Allan et Pease, Barbara, Pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières, Paris, 2001.]], pour qui le « savoir s’orienter » se pose comme une preuve de virilité.
Ces clichés largement présents dans les médias et les ouvrages de vulgarisation inondent notre quotidien. Ils laissent beaucoup d’hommes convaincus de leur suprématie en matière de lecture de carte et nombres de femmes « passives » par rapport à cette tâche. Ce qui n’est pas sans influencer l’organisation du travail et la sous-représentation des femmes, dans les fonctions de « guide » (guide de haute montagne, pilote de ligne, capitaine de navire). Les déplacements dans les milieux naturels, restent encore l’apanage des hommes.

Pourtant, les dénégations sont importantes en partie grâce aux travaux de la neurobiologiste Catherine Vidal[[ Catherine Vidal est neurobiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pasteur. Elle publie Hommes et femmes, avons-nous le même cerveau ? en 2003, Cerveau sexe et pouvoir en 2005 et Féminins- masculin- Mythes scientifiques en 2006.]].
Dans ses ouvrages, elle critique cette naturalisation des différences cérébrales. Elle démontre par les nouveaux procédés d’investigation cérébrale comme l’IRM, que le cerveau grâce à ses formidables propriétés de ‘plasticité’, fabrique sans cesse des nouveaux circuits de neurones en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue. Pour elle, « garçons et filles, éduqués différemment, peuvent montrer des divergences de fonctionnement cérébral, mais cela ne signifie pas que ces différences soient présentes dans le cerveau depuis la naissance »[[ Vidal, Catherine, Hommes et femmes avons-nous le même cerveau ?, Paris, Le Pommier, 2007, p6.]].

Cependant il est difficile d’aller à l’encontre des stéréotypes de sexe tant leur construction est multifactoriel et insidieuse.
Ainsi, le rôle des agents périphériques de socialisation est aujourd’hui parfaitement connu.
Carole Brugeilles (2002)[[ Brugueilles, Carole, Cromer, Sylvie et Cromer, Isabelle, « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre » ? in Population, 57(2), 2002, pp. 262-292. ]] ou Anne Dafflon-Novell (2006)[[ Dafflon Novelle, Anne, « Littérature enfantine: entre images et sexisme », in Dafflon Novelle, Anne (sous la dir.), Filles et garçons : Socialisation différenciée ?, Grenoble, PUG, 2006, Chapitre 16, pp.303-312.]] montre comment les lectures enfantines, les illustrés nourrissent l’imaginaire dès le plus jeune âge et peuvent organiser les différences entre les sexes.

Les résultats de leur investigation indiquent que les héros des albums sont deux fois plus souvent des hommes que des femmes et que les garçons sont davantage représentés à l’extérieur, et les filles à l’intérieur.

Les personnages féminins sont souvent montrés dans leur rôle de « maman », alors que les personnages masculins incarnent des rôles professionnels extra-familiaux.

Les jeux de plein air sont l’apanage des garçons et l’activité principale des garçons est de vivre l’aventure.

L’exploration reste attribuée aux hommes et lorsqu’une exploratrice est l’héroïne, son rôle est euphémisé.

Socialement les garçons sont invités à une investigation du milieu naturel afin de remplir des fonctions perçues comme masculine de chasseurs, guerriers, militaires, aviateurs, explorateurs, les filles orientées vers des fonctions ménagères et/ou de soins maternelles.

Les élèves en course d’orientation

Ainsi les observations réalisées dans des établissements scolaires de Savoie confirment l’existence d’une approche de la course d’orientation chez les élèves, non seulement différentiée en fonction de leur sexe mais aussi en lien avec les normes de genre décrites précédemment.

En forêt, beaucoup de filles de collège et de lycée manifestent plus d’appréhension que les garçons et confirment ainsi l’intériorisation d’un sentiment d’insécurité dans les espaces publics » (Condon, 2005).
La peur de l’agression, associée à la peur de se perdre, oblige les filles à mettre en place des stratégies de pilotage du déplacement plus sécuritaires en passant par les sentiers qu’elles connaissent déjà et en minimisant « le risque » que représenterait l’espace inconnu. Tout comme nous l’avons vu dans la première partie, les injonctions sociales sexuées relatives à la plus grande vulnérabilité des filles dans des espaces inconnus, font que les filles osent moins partir à l’aventure, elles vivent ce milieu inconnu comme un « véritable risque ». Elles renoncent plus rapidement confirmant ainsi que « les personnalités masculines » auront une tendance plus marquée à rechercher des contextes du risque (Geary, Gouillou, 2008)[[ Geary, David c. et Gouillou, Philippe., Hommes, Femmes, l’évolution des différences sexuelles humaines, De Boeck Université, 2003.

]].

Comparativement les itinéraires choisis par les garçons sont souvent directs. Dans la description préalable qu’ils font du parcours, ils annoncent un itinéraire suivant des « lignes directrices de niveau 1 » (sentiers, limite des champs), puis lorsqu’ils se déplacent en courant, ils n’hésitent pas à couper à travers des zones inconnues au risque de perdre le contact avec la carte. Ils « taillent » pendant qu’elles « suivent ». Mais ces observations sont à nuancer en fonction du profil scolaire des élèves dans la mesure où les filières d’excellence sont moins impactées que les autres par l’effet du genre.

Quelles solutions envisagées?

Comment progresser et aller au-delà de ces dispositions acquises socialement, afin d’œuvrer à « une volonté d’égalité entre les sexes » et « promouvoir une éducation fondée sur le respect mutuel des deux sexes »[[ Voir la Convention interministérielle pour  « la promotion et l’égalité des chances entre filles et garçons, hommes et femmes dans le système éducatif », parue au BOEN n°10 du 9 mars 2000.

]].

Nous déclinons deux axes à privilégier pour accompagner les profils des élèves.

Pour les élèves au fonctionnement type « masculin », les objectifs poursuivis seraient d’acquérir des outils pour :

  • mieux se retrouver, se recaler en acceptant de s’être perdu,
  • oser être ensemble à l’écoute pour acquérir des connaissances.

Pour les élèves au fonctionnement type « féminin », les objectifs poursuivis seraient :

  • accepter de se perdre et de se retrouver,
  • oser s’orienter seul par l’acquisition de compétences et oser diriger le groupe.

Ainsi afin d’assurer l’articulation de ces deux types de projet dans les cours mixtes, nous jouons sur les variables didactiques pour ‘se jouer des différences’ et de ‘déjouer les habillages’.

Les situations d’apprentissage proposées dans le cadre des enseignements auprès de master MEEF parcours PE et d’étudiant.es STAPS, au cours des séances et du cycle s’organisent dans un principe d’alternance concernant:

  • les espaces de pratique (du gymnase à la forêt, et de la forêt à la ville, du stade au parc de proximité),
  • le pilotage du déplacement en proposant des tracés (parcours) qui obligent à aller « tout droit dans l’inconnu » et des tracés (parcours) pour lesquels il convient « d’assurer » et de contourner,
  • les formes de regroupements et les rôles sociaux (par exemple, être guide et se faire guider par une fille, puis par un garçon),
  • la nature de l’épreuve avec des épreuves comportant peu de charges émotionnelles d’apprentissage et des épreuves chargées d’émotion plus compétitives, plus contemplatives afin de valoriser filles et garçons dans des engagements de maitrise ou de performance

Conclusion et perspectives

Des stéréotypes de sexe formatent les conduites motrices et conditionnent les apprentissages plus encore dans les milieux naturels, inconnus, chaotiques et austères.

Il est pourtant possible de contourner les obstacles liés au système de genre afin de favoriser des acquisitions communes. Les pistes de travail ainsi ébauchées, le nouveau regard posé sur les élèves nous ont ouvert des perspectives prometteuses pour lutter contre les inégalités sexuées.
Non seulement cette pratique permet l’amélioration des capacités motrices, mais elle transmet un savoir porteur d’une plus grande « liberté » dans le sens d’un affranchissement individuel, d’une émancipation.

Elle peut engager l’acquisition d’un « savoir s’orienter » dans le quotidien des filles comme des garçons.
Elle peut lutter contre la stigmatisation des stéréotypes de sexe à condition que les contenus proposés en EPS prennent en compte les processus de construction de l’identité sexuée des élèves et les différences motrices et cognitives qu’elle impose.

Cet article est paru dans Contrepied HS N°17 – Janv. 2017 / Course d’orientation