Jean-Pierre Lepoix revient sur l’histoire des danses urbaines, partie de l’ensemble d’un mouvement culturel, le hip hop, rassemblant danses, musiques, arts plastiques. Les danses urbaines sont elles-mêmes un ensemble de pratiques très différentes et bien identifiées aux techniques spécifiques .
Article publié dans EPS et culturalisme, Jeux, arts, sports, et développement humain, numéro 20-21 juin 2018 de la revue Contre Pied, chapitre Culture, art et développement humain.
Elles proviennent des lieux, quartiers, les plus déshérités où se manifestent racisme, ségrégations, discriminations et concernent d’abord les plus démunis, ceux qui cumulent tous les handicaps aux yeux des dominants et qui, par l’intermédiaire de ce mode d’expression relèvent la tête, s’opposent mais aussi créent leur style de dire et de penser. Cette expression par corps parle de traditions non reconnues mais aussi de création. Comme une métaphore du réel subi, ces danses parlent !
Quelles que soient les formes qu’elles prennent, le plus souvent dans des battles (défis), elles sont d’une créativité remarquable : parties du corps sollicitées, effectif mobilisé, mise en scène choisie, musique de référence…, quel que soit leur lieu d’expression dans le monde, elles disent la violence sociale, dénoncent l’ordre établi ou le détournent.
Si l’urbanisation est bien contemporaine de notre époque, la danse du même nom ne peut que comprendre les danses qui s’y rattachent. Toutefois, le caractère exclusivement social qui en est la source d’inspiration avec les musiques spécifiques qui s’y rattachent méritent qu’on y prête une attention particulière. Non pas dans le sens où nous devrions tous et toutes aborder le Hip-hop mais pour être plus attentifs à la nature de la demande qui nous est faite par certains élèves, et plus informé·es sur la diversité de ces danses souvent enfermées dans un seul modèle qui n’en traduit qu’une partie de la richesse.
Tour du monde des danses urbaines en dix villes 1
« Les danses urbaines sont des danses créées, pratiquées et montrées dans les rues des grandes villes du monde ». Elles rendent compte d’une contradiction : « liées à la ville, elles en traduisent les violences et les injustices et en même temps l’énergie, la dynamique, la rapidité électrique », c’est ce qui leur donne leur caractère social, au même titre que la musique qui en constitue la principale inspiration.
Diffusées essentiellement par le net, elles connaissent des évolutions stylistiques mondiales et extrêmement rapides. Pour la plupart « elles sont connectées à la diversité des danses africaines qui ont voyagé dans les corps des esclaves déportés et des immigrés. Les grandes villes du monde où s’inventent ces danses sont des cités cosmopolites forgées par des vagues d’immigration forcées ou volontaires à l’histoire complexe façonnée par de grandes inégalités. C’est cette histoire qui surgit dans ces danses ».
Le cas du Hip-hop
Introduit en France en 1980, après sa naissance au début des années 70 dans les quartiers afro-américains de New-York, le Hip-hop nous intéresse particulièrement par la place souvent exclusive qu’il prend dans la demande des jeunes quand il s’agit d’aborder un cycle de danse à l’école, ensuite parce qu’il a inspiré nombre de styles proches dans le monde, que nous ne ferons qu’évoquer.
Pour Tayed Benamara, chorégraphe et danseur toulousain d’origine algérienne « cette danse, sa spécificité, son originalité, c’est qu’elle est née de l’observation de l’environnement autour de soi…l’idée c’est d’être et accepter d’être là où tu es et, en même temps, de transiter par ton corps, c’est à dire que je peux transformer ces murs gris en une peinture magnifique ». Ce que les danseurs vont traduire trouve son origine dans les formes de ségrégations sociales qu’ils vivent dans leurs cités. Selon leurs expériences corporelles, selon les lieux où ils s’exposent, ils contestent les modèles dominants, mais ils s’affrontent aussi aux différents groupes sociaux s’exerçant ou assistant aux défis. Naissent ainsi deux types de danseurs selon Hélène Brunaux : « “les performeurs” : ils vont donner à voir toujours le même type de séquence gestuelle quel que soit le contexte de pratique. Ils n’innovent pas pour ne pas prendre de risque(….) et “les cultivés”, qui disposent de compétences liées à des apprentissages variés en milieux urbains différents « ayant totalement incorporé les jeux de regard qui font partie des usages sociaux impulsés par la situation d’interaction (…) il savent s’orienter en fonction des enjeux(…) ils ne s’enferment pas dans un enchainement préconçu(…). Les performeurs, dans une visée esthétique, ont besoin des pairs pour se comparer et pour progresser(…)mais la présence d’autrui impulse aussi des ressources communicationnelles 2 ». L’espace urbain devient un espace de fabrique, où peuvent s’exprimer des rapports tant aux matériaux qu’aux autres, danseurs comme spectateurs, autrement dit des rapports spatiaux et sociaux. Les danses en apparence codifiées sont en fait un savant métissage et expriment un besoin de reconnaissance par les pair·es mais aussi institutionnelle, comme une nécessité de se frotter aux différentes formes artistiques. Reconnaissances pour s’autonomiser, gagner en confiance et en singularité.
« Le hip-hop s’articule autour de différentes modalités de pratique qui peuvent se croiser, les unes ne sont pas exclusives des autres, bien au contraire, elles participent de la formation des danseurs.[Ibid[]] ».
Le Breakdance
Issus des mêmes milieux populaires, immigrés américains, les breakers, comme son nom l’indique, étaient ceux qui prenaient place, au milieu du cercle, pendant la pause des danseurs de Hip-hop. Forme d’improvisation à partir de pas codifiés et acrobatiques, mimant des scènes de combat pratiquée en Battle. Très répandu aujourd’hui au Japon où les danseurs l’ont enrichi d’un haut degré de difficulté technique et de précision rythmique, sur la base de leur maitrise des arts martiaux.
La House
Musique au départ, constituée d’un rythme musical et d’une ligne de basse proche du funk, à quoi s’ajoutent des voix. Née dans les faubourgs de Chicago, New-York et Johannesbourg. Ce sont les hip-hopeurs qui ont commencé d’inventer des pas rapides avec les pieds sur cette musique, d’une légèreté que la musique hip-hop ne permet pas. Quand le hip-hop percute et frappe le sol pour dénoncer, les rebonds et voltiges des breakeurs produit une sorte de transe permettant d’oublier la réalité. Danse masculine, pourtant un premier groupe (crew) féminin vient de voir le jour récemment à Paris.
Le Krump
Issue des quartiers ravagés par la ségrégation sociale à Los Angelès, le Krump est une danse explosive où les danseurs portent des maquillages de clowns. Pratiquée à tous les âges, elle constitue une forme d’exorcisation des discriminations subies. Les compétitions ressemblent à des bagarres sans contacts, entre clans, le style et l’inventivité sont recherchés et désignent le gagnant.
Le Voguing
Apparu dans les communautés LGBT de Harlem à NY, le Voguing est inspiré de l’univers de la mode où chacun·e appartient à une maison fonctionnant comme une famille. Les compétitions appelées Ball, durent plusieurs heures, pendant lesquelles les concurrent·es s’affrontent dans des catégories différentes face à des juges : imiter des défilés de mode, tenter de ressembler à ce qu’on n’est pas, danser des styles de mouvements anguleux anciens, enfin la catégorie vogue fem est la plus populaire et consiste en 5 types de mouvements définis et combinés en danse gracieuse, et énergique, très dessinée, lyrique, sexuelle et graphique. Phénomène devenu mondial !
Le Pantsula
Né dans les ghettos de Johannesbourg, à Soweto en 80, se développe avec les mouvements liés à l’abolition de l’apartheid dans les années 90. Le Pantsula se danse sur les rythmes du Kwaito (musique électronique) et de la House music. Les danseurs et danseuses organisé·es en duo ou trio exécutent à l’unisson des combinaisons de pas très rapides, avec une grande dextérité dans les pieds et se mettent en scène dans des situations théâtrales et comiques. Connu aussi comme les « claquettes d’Afrique du sud ».
Le Kuduro
Désigne à la fois la musique et la danse nés dans les quartiers pauvres de Luanda, capitale de l’Angola. Rythmes de percussions associés à de la musique électronique, avec des paroles chantées en portugais. Danse très festive et humoristique quand elle est nourrie de danses traditionnelles angolaise, de vie quotidienne, et paradoxalement violente et poignante quand elle exprime les conflits armés. Se diffuse grâce aux communautés émigrées au Portugal.
Le Passinho
Issu de la culture Funk Carioca, apparaît dans les années 2000 dans les favelas de Rio De Janeiro. Cette danse très récente, fruit de nombreuses influences, peut être comprise comme une métaphore des mouvements de pacification des favelas de Rio. La danse devient alors un moyen de survivre pour les jeunes ne voulant pas sombrer dans les divers trafics. Elle emprunte des mouvements au hip-hop, aux vidéo clips, à la Samba ou encore au frevo, danse acrobatique pratiquée avec un petit parapluie.
Le Dubstep
D’abord style de musique londonienne caractérisé par des rythmes syncopés et une puissante ligne de basse, le Dubstel trouve sa forme dansée dans les années 2000 . La qualité de cette danse est due aux techniques de vidéo pouvant produire des effets d’arrêts sur image ou de marche arrière. Ils sont favorisés par des mouvements issus des techniques du « Popping », manière de contracter certaines parties du corps, et du nouveau « Waving », manière d’imiter le mouvement des vagues.
Particularité : ces danses ne rencontrent leur public que sur Youtube ou sites spécialisés.
Article publié dans EPS et culturalisme, Jeux, arts, sports, et développement humain, numéro 20-21 juin 2018 de la revue Contre Pied, chapitre Culture, art et développement humain.
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- une conférence dansée conçue par François Chaignaud, Cécilia Bengoléa, et Ana Pi. Publication CDNC Toulouse. Avec l’accord du CDNC de Paris. Toutes les danses présentées sont des extraits du document accompagnant cette conférence.↩
- Hélène Brunaux (2011), Métissage au corps et construction identitaire : portrait d’un danseur de hip hop, dossier Les Formes artistiques émergentes en milieu migratoire, Revue Horizons, 2011↩