Je peins avec mon corps en dansant sur les murs

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Antoine le Menestrel, grimpeur de haut niveau, chorégraphe et danseur de la « Compagnie Lézards Bleus », explique son passage du refus de la compétition à la création, « l’écriture de voies porteuses de dramaturgie ».

C’est complexe à dater, la danse escalade puise ses origines depuis les chamanes, en passant par l’acteur Harold Loyd pendu à son horloge (film « Safety Last » 1923) ou bien encore la chorégraphe Trisha Brown qui dans les années 70 rejette les conventions scéniques et danse dans des endroits insolites.

Pour moi, la danse escalade débute avec la pratique de l’escalade Libre, car à mon sens, les deux sont intimement liés dans leur recherche de création gestuelle. Patrick Berhault a été un des initiateurs de cette approche. Ma prise de conscience de ce lien se révèle très fortement avec l’ouverture de la voie « La Rose et le Vampire » et du mouvement croisé original que je crée. Avec mon refus de la compétition en escalade acté par le Manifeste collectif des 19 (1985) dont je suis signataire, je réoriente ma pratique de haut niveau en me consacrant à l’ouverture de voie et me rends compte que cette activité m’offre un espace de création. Je propose des mouvements avec un souci de l’esthétique gestuelle. Je réfléchis à ce qui induit un mouvement difficile. La paroi est une partition gestuelle.

Avec le début des compétions sur SAE, je deviens le premier ouvreur international et à ce titre, avec des prises, j’écris des voies d’escalade porteuses de dramaturgie, les grimpeurs venant révéler ma chorégraphie. C’est lors de démonstrations publiques que je découvre un lien intense avec les spectateurs.

Le prolongement naturel de mes expériences sportives a donc été pour moi de créer dès 1987 des spectacles de danse escalade, puis de fonder en 1992 la Compagnie Lézards Bleus. Rapidement dans nos spectacles, l’utilisation de tout élément vertical s’est imposée : murs d’escalade, décors, échafaudages, espaliers, façade urbaine historique ou contemporaine…etc. La danse escalade devient danse verticale, danse de façade.

La Danse, Les Arts du cirque, l’Escalade, où se situe la Danse Escalade ?

La préoccupation du contexte qui accueille la représentation dans la rue, l’histoire des murs sur lesquels nous intervenons sont le fondement de nos recherches artistiques ; en ce sens nous sommes proches du spectacle de rue, mais notre langage reste avant tout gestuel, entre escalade, danse, acrobatie et mime. Je peins avec mon corps en dansant sur les murs.

J’intègre à la mise en scène des évocations de la mémoire du lieu afin d’apporter un regard ludique, poétique et spectaculaire sur le patrimoine. Je me nourris de la mythologie de la verticale très présente dans notre civilisation; Sisyphe, Icare.. Notre imaginaire vertical se crée et se façonne à chaque fois au confluent de ces influences minérales et humaines.

Nos partenaires de diffusion sont très variés: festivals de danse et d’arts de la rue, manifestations sportives, inauguration de bâtiments.

Comment se crée un spectacle de Danse Escalade ?

La hauteur a des contraintes qu’il faut respecter et intégrer, ces contraintes délimitent notre espace de créativité : le public vu d’en haut, la prise de risque, l’espace scénique imposé par l’architecture.

Les façades urbaines, monuments historiques ou façades du centre-ville sont toujours différentes. Je m’en imprègne d’abord visuellement. Avec mon corps pinceau, ma chorégraphie constitue à tracer un chemin vertical. J’aime partir d’en haut pour saisir d’entrée le spectateur par l’émotion afin de l’amener vers la poésie, vers le rêve. Je reste toujours en hauteur car ainsi je mets pacifiquement ma vie en jeu pour en dévoiler la fragilité. Généralement, je suis seul en scène et avec très peu d’accessoires, car dans ces espaces, ma présence solitaire pleine d’humanité redonne l’échelle humaine.

La technique gestuelle utilisée est proche de celle de l’escalade, mais la liberté des formes de mouvements est plus variée : dos à la paroi, tête en bas. J’apprivoise la matière de l’édifice : je la palpe, la touche, la prends à bras le corps afin d’épouser ses recoins, ses rebords…

Mon corps tout en faits et gestes reste avant tout lyrisme. J’essaie d’allumer une trace poétique dans l’imaginaire des spectateurs pour qu’après mon passage le mur qu’ils regarderont, ne soit plus tout à fait le même car leur vision en sera transformée.

Pour poursuivre : http://www.lezardsbleus.com/ 

Cet entretien réalisé par Sébastien Molénat est tiré du Contrepied Escalade (Hors-Série n°11 – Janv 2015).