Cet exposé de Serge Reitchess de 2005 au forum international de l’Education Physique et Sportive, tente de montrer en quoi le travail sur les règlements est déterminant en sport co et comment il permet de faire progresser tous les élèves. Cette réflexion est valable pour tous les sports collectifs, mais l’exemple du volley-ball est d’autant plus révélateur que cette APSA est encore très souvent abordée en privilégiant la manipulation de balle comme « pré-requis » plutôt que le jeu et l’analyse du règlement du jeu.
Article paru dans les actes (CD-ROM) du Forum international de l’Education Physique et Sportive, cité universitaire internationale de Paris, novembre 2005.
La pratique que je décris ici est ma pratique habituelle. Pour mes élèves de 3è, je me fixe comme objectif d’atteindre les 3 compétences suivantes en volley-ball :
- être capable de défendre son camp
- être capable de conserver le ballon en remontant la balle
- être capable de d’attaquer la cible adverse
Pour atteindre ces 3 compétences, il faut maîtriser 3 techniques :
- technique de défense basse, type manchette
- technique de balle haute pour conserver la balle dans son camp
- smash pour attaquer le camp adverse
L’ensemble des élèves d’une classe doit atteindre ces objectifs. Pour assurer cette réussite, je propose des cycles de volley-ball qui durent 20 à 25 séances de 2h.
Lorsque je dis cela, la plupart du temps, les collègues me disent que ce n’est pas possible, ce n’est pas réaliste, qu’on ne peut pas atteindre ces objectifs, encore moins avec des élèves en difficulté et encore moins en Seine Saint Denis ! Ils ont raison, ce n’est pas possible si on a une conception traditionnelle, techniciste de l’apprentissage en volley. Ce n’est pas possible si la question du règlement est ignorée.
Ces derniers temps en EPS, on a beaucoup opposé innovations pédagogiques et travail sur les contenus. L’institution a orienté les enseignants sur « l’élève au centre », la motivation, le projet, etc. Or, travailler sur les contenus est déterminant notamment la dimension historique des activités, sinon le risque est de proposer une conception formelle et aseptisée des APSA.
Le travail sur le règlement est d’autant plus important pour les élèves en difficulté qui ont besoin de repères et d’exigences réglementaires pour construire de réels acquis physiques et techniques.
La conception traditionnelle des règlements se caractérise par une liste d’interdits (pas le droit de toucher la balle plus d’une fois, pas d’arrêt de la balle, pas plus de 3 touches de balle, pas de balle au sol, etc.) qui accompagne des « aménagements » tolérés pour les élèves en difficulté (blocage, rebond de la balle, services lancés ou rapprochés etc..).
L’hétérogénéité des élèves et les conditions de travail (notamment des cycles courts) font que, dans nombres de cas, notamment les « éternels débutants » n’atteignent pas le niveau de « renvoi avec relais » et demeurent cantonnés à un volley de « renvoi direct »
Du coup, les apprentissages sont focalisés sur une gestualité technique (la passe haute) qui ne permet pas les progrès car elle est inadaptée à la diversité gestuelle requise dans le jeu, dans le rapport d’opposition. Elle maintient l’élève dans son statut de débutant.
Une nouvelle conception des règlements
Il s’agit de respecter l’esprit du jeu qui articule : droits des joueurs – vie du jeu – liberté de la balle – égalité des chances – engagement physique – sécurité protection des joueurs.
– En fonction de la spécificité de la cible, les droits des attaquants de des défenseurs évoluent, pour l’égalité des chances, déterminant ainsi un type cohérent d’affrontement, d’opposition que
L’enseignant peut choisir.
- Les droits des joueurs ne sont pas des interdits mais des « droits » qui permettent au contraire progressivement de « libérer » les essais, les initiatives, de permettre un engagement physique prôné par l’esprit du règlement.
- les interdits ne sont que les conséquences de l’analyse des droits des joueurs : toutes les actions qui attentent à la sécurité des joueurs et toutes les actions qui « dépassent » le niveau de droit des joueurs que l’on a explicitement choisi.
- C’est précisément parce que les acquisitions techniques sont « délicates », qu’il faut munir les pratiquants d’un mode d’emploi réglementaire qui explicite le pourquoi et le comment de la vie du jeu, des droits des joueurs.
Ce qu’un élève doit comprendre du règlement
1. les cibles :
Elles sont délimitées « au sol ». Contrairement à ce que les élèves croient, ce qui est tracé au sol, ce n’est pas le terrain, ce sont les cibles. Le terrain ne se limite pas aux cibles, les joueurs peuvent utiliser, aller chercher la balle en dehors de la cible.
Les joueurs sont donc d’abord essentiellement des « gardiens de but » pour défendre l’accès des balles à la cible, et tentent ensuite d’attaquer, de tirer dans la cible adverse (et non pas seulement de la faire tomber).
2. les droits des joueurs :
Les cibles et les antagonistes étant séparés par un filet, la balle est toujours libre pour le jeu. Les « touches », les techniques, les interventions sur les balles sont d’abord essentiellement des droits, des chances, des tentatives pour faire vivre le jeu : défendre sa cible et attaquer la cible adverse.
Conséquences
- l’unique touche de balle individuelle et les trois collectives sont des chances et des tentatives, des interventions sur la balle, fiables, stables dans leurs réussites pour les pratiquants experts (sauf lorsque les attaquants tirent (smashent) tellement fort que la balle devient incontrôlable pour la défense).
- Pour « les apprentis volleyeurs », l’objectif de faire vivre le jeu, en défendant sa cible pour tirer dans celle de l’adversaire reste le même que celui des experts……mais pour qu’ils puissent atteindre cet objectif, on leur donne beaucoup plus de droits : le nombre de touches est illimité ou fortement majoré afin que les tentatives d’intervention individuelles et collectives sur la balle puissent se solder par des réussites et que le jeu puisse vivre.
- au fur et à mesure que l’expertise des « apprentis volleyeurs » grandit au cours de l’apprentissage, les joueurs ont de moins en moins besoin « d’essais »… on peut se rapprocher de la vie du jeu des experts.
- On rejoint ainsi l’histoire de l’activité (il y a eu dans l’histoire du volley une étape où le nombre de touches était illimité) et la recherche constante de la vie du jeu dans l’égalité des chances : si les joueurs experts pouvaient garder la balle, « jongler » individuellement ou collectivement, alors « on tuerait le jeu » ; il deviendrait lent et inintéressant ; réciproquement si on ne donne pas des droits des joueurs adéquats aux « apprentis volleyeurs » alors, là aussi, « on tue le jeu » dès le début de l’apprentissage, condamnant ainsi, quasi définitivement, ces élèves à un jeu où ils peinent à renvoyer la balle.
Echelle de référence :
- NIVEAU 1 jeu 1 contre 1 droits : touches illimitées
- NIVEAU 2 jeu 1 contre 1 droits : 5 touches
- NIVEAU 3 jeu 2 contre 2 droits : individuel : 3 touche – collectif : 5 touches
- NIVEAU 4 jeu 2 contre 2 droits : individuel : 2 touches – collectif : 5 touches
- NIVEAU 5 jeu 3 contre 3 droits : individuel : 1 touche – collectif : 3 touches
Très concrètement
Pour le jeu de 1 contre 1, j’ai 10 chances et dans ces chances, je dois maîtriser la balle pour attaquer.
Cela signifie que je monte progressivement cette balle !
Au lieu de frapper la balle, je demande à l’élève de l’amortir en gardant les bras tendus (type manchette), puis il remonte progressivement la balle. Une fois que la balle est montée au niveau de la tête, il peut la rependre en balle haute et il continue à monter la balle et lorsque la balle est suffisamment haute, il termine par une attaque de la cible adverse.
La cible fait du 3m sur 4m donc une obligation dans l’attaque de donner une priorité à la précision. Le filet à hauteur de main.
Pour évoluer, je joue sur le nombre de touches de balles et le nombre de joueurs.
Pour les volleyeurs experts, au 2 contre 2, les consignes sont les mêmes. Le but, ce n’est pas de frapper la balle basse, c’est de l’amortir pour la conserver en balle haute. Il y a nécessité de monter encore plus les balles pour le partenaire afin de lui donner le temps d’intervenir et obtenir du jeu collectif.
Les conséquences du point de vue des techniques
La logique spécifique réglementaire du volley, instaure un rapport d’opposition qui peut s’expliciter par la formule : quelle équipe maîtrise la balle et ses trajectoires ?
Dans ce rapport d’opposition, la vie du jeu fait pencher la bascule du côté de l’attaque. La priorité est donc la défense de la cible ET la remontée de la balle pour attaquer la cible adverse… pour produire de la vie du jeu : si la cible n’est pas gardée, défendue efficacement, si les balles ne remontent pas, alors le jeu devient plus que fragile et moins qu’éphémère.
Il faut donc être capable d’intervenir sur des balles basses. Au niveau de la technique individuelle, ce n’est pas la passe haute de renvoi qui est le geste fondamental premier, mais bien les manchettes défensives basses.
Au niveau technique et tactique collectives : c’est la remontée de la balle qui est constitutive de l’activité pour faire vivre le jeu, ce n’est donc pas le jeu de renvoi direct qui organise le premier niveau de l’apprentissage.
En conséquence, les 3 techniques d’intervention sur la balle qui concrétisent les moyens et droits des joueurs adéquats à la diversité des trajectoires de balle pour faire vivre le rapport d’opposition sont :
- pour les balles basses et/ou fortes : les techniques type manchettes
- pour les balles hautes et/ou fortes : les techniques type passe ou manchettes hautes
- pour les balles hautes et/ou remontées : en attaque, ce sont les techniques type smashes et services (suivant qu’on est plus ou moins loin du filet). En défense, ce sont les techniques type contre au filet.
Cette nouvelle conception du règlement, des droits des joueurs, de l’apprentissage, montre que le niveau « conserver/ attaquer », est constitutif de l’activité, et peut être maîtrisé par tous les pratiquants « apprentis volleyeurs ». En classe de 3è, les élèves au niveau 3 obtiennent la moyenne.
L’évaluation dans le processus d’apprentissage
La motivation, le sens de l’activité, concrétisés par le projet de l’élève, l’auto-détermination de ses objectifs, le sentiment de compétence, le plaisir de réussir, ne peuvent exister concrètement qu’avec un mode d’emploi réglementaire qui dévoile le processus complet d’appropriation de l’activité.
Les élèves peuvent en permanence apprécier le chemin des acquis déjà parcouru et ce qui reste encore à acquérir, à maîtriser. Cette motivation « intrinsèque » à l’apprentissage est première pour construire un réel projet concret. Les rencontres, les compétitions sont nécessaires mais elles sont secondes et doivent le rester (ce sont des motivations « extrinsèques »), sous peine de voir ces compétitions dégénérer et se réduire à une alternative ravageuse dans les établissements difficiles, victoire mépris / défaite déshonneur (cf. notre Manifeste-Action SNEP 93 janvier 2002)
Evaluation
Pour être opérante l’évaluation nécessite :
1. Que l’échelle des progrès soit connue et explicite ; elle constitue le mode d’emploi dans lequel l’enseignant et les élèves peuvent choisir et utiliser consciemment, le pourquoi et le comment.
2. D’être à la fois sommative (quantitative) et formative (le pourquoi et le comment) : elle nécessite des moments de constats et surtout d’explicitations des progrès.
3. Cela nécessite 3 ou 4 séances d’évaluation de suite afin de garantir sérénité, sérieux, objectivité, équité, égalité des chances et observer réellement les progrès.
- pour appréhender précisément le niveau atteint.
- dépasser l’aspect sommatif pour désamorcer ce « face à face » qui tourne uniquement au rapport de force prof / élèves et fait des séances d’évaluation des séances à hauts risques en milieu difficile.
- l’explicitation des contenus d’enseignements réglementaires et la prise de conscience des élèves eux-mêmes sur leurs progrès, à partir des critères de « notation- évaluation ».
4. Les critères sont les réalisations techniques gestuelles réussies à chaque niveau de l’échelle des progrès (balles remontées en manchettes ou en balles hautes et bien sûr le smash).
5. La « notation-évaluation » s’effectue sur une observation de 20 balles jouées. (Notation sur 10 balles reçues individuellement ; pour noter sur 20 on multiplie par deux, et on obtient la note à l’intérieur du niveau dans lequel évoluent les joueurs).
6. Pour valider un niveau, il faut obtenir 75% de réussite (15/20)
Conclusion
Nous regrettons que la formation initiale ne traite quasiment jamais de ces questions et « condamne » les enseignants à reproduire éternellement l’échec dû à la conception traditionnelle « liste d’interdits » des règlements.
Les pratiques quotidiennes reproduisent également cette conception pour plusieurs raisons :
- La longueur contrainte des cycles d’apprentissages est due aux contraintes des installations intérieures.
- De plus, les échecs et le manque de motivation des éternels débutants renforcent l’idée de découverte, d’initiation, de cycle court…
Notre réflexion sur les acquisitions des élèves en volley-ball s’insère dans une réflexion plus large :
- avec quels droits des joueurs pour faire vivre le jeu ?
- avec quel temps de pratique, quelles installations sportives ?
- avec quelle conception de la programmation, quels acquis dans les autres APSA ?
- avec quelles relations à l’Association Sportive ?
Serge Reitchess, 2005