Dansez l’Amazonie : réussir à embarquer tout le monde

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Comment faire de la danse à l’école à partir d’un thème ou d’une histoire ?
Paulette Brisset fonde sa démarche sur le thème de l’Amazonie. Elle montre comment on peut faire jouer aux élèves à la fois un rôle de chorégraphe à partir d’un travail interdisciplinaire (français, musique, EPS), transformer leur motricité quotidienne en motricité expressive spécifique du danseur et leur permettre de devenir des spectateurs de danse exigeants et tolérants à la fois.

CP : Peux-tu expliquer comment tu t’y prends en danse, depuis ton idée de départ jusqu’au spectacle des Rencontres pour la danse ?

Paulette Brisset : D’abord, avant même de commencer, les élèves savent qu’ils vont faire de la danse puisque j’en fais tous les ans. Le projet de l’Amazonie est un peu particulier parce qu’il a été fait dans le cadre d’une classe PAC, nous avions donc des moyens pour aller voir un spectacle et rencontrer la chorégraphe et ses danseurs.
Les Rencontres pour la danse ont lieu en mars. C’est au premier trimestre que la chorégraphe Marianne Isson est venue dans la classe parler avec les enfants du spectacle qu’ils allaient voir. Elle revenait d’une tournée au Brésil, nous a raconté la vie dans ce pays, que deux de ses danseurs étaient Brésiliens, etc. Cela les a emballés!
Pour les préparer, je leur ai fait écouter la musique à ce spectacle (Nana Vasconceslos, percussionniste brésilien) parce que je la trouvais « spéciale » et je ne voulais pas que les enfants soient surpris au point d’être gênés. En fait, ils l’ont trouvée super ! Après le spectacle, des garçons ont tenté des pas de danse en reprenant ce qu’ils venaient de voir. Voir ce spectacle a contribué à remettre en cause leur conception de la danse, notamment que ce n’est pas un domaine réservé aux filles.
Ensuite, nous avons travaillé sur le Brésil dans beaucoup de disciplines : sur la traite des noirs en histoire et éducation civique, sur la forêt amazonienne en arts plastiques, et la population en géographie.
C’est quand je me suis demandée ce que j’allais faire pour les rencontres de danse, que j’ai décidé du thème de l’Amazonie et de choisir une musique du même artiste. C’est arrivé comme une évidence.
Mais je ne savais toujours pas bien comment m’y prendre ! J’ai cherché des écrits sur la forêt amazonienne et j’ai trouvé un texte d’Alejo Carpentier tout à fait approprié car il apportait des « mots images » support à l’expression. (voir la fiche Amazonie)
Nous avons travaillé en classe sur ce texte, sur le sens, sur le vocabulaire. Trois thèmes se sont dégagés : les activités des hommes, la forêt comme piège (les lianes avaient l’air de reptiles), la vie des animaux. Les enfants ont tout de suite compris qu’on allait se servir de ce travail pour créer notre danse.
Après plusieurs écoutes de la musique, nous avons identifié et caractérisé les différents moments musicaux en construisant un musicogramme. Ensuite, les élèves ont dégagé quatre moments en référence à notre texte étudié (réveil, activités des hommes, forêt comme piège, vie des animaux dans les arbres), le cinquième (le soleil source de vie)a été décidé par la suite. L’ordre des tableaux n’avait pas été établi à l’avance et ce qu’ils m’ont proposé était cohérent. Je rappelle qu’à cette étape, les enfants n’ont toujours pas dansé !

Qu’est-ce qui te faire dire que c’est cohérent?

C’est en adéquation avec les moments musicaux qui évoquent bien la sérénité, le danger ou l’espièglerie. Après, nous dégageons plus précisément pour chaque tableau :
le thème ; exemple : « la forêt domaine du mensonge et du piège»,
les « mots images » ; exemple : exploration, lianes, caméléon;
l’ambiance ; exemple : danger, menace, étrange.

Amazonie

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Qui décide du travail, seul, en groupe, à deux… ?

C’est moi, mais cela s’impose presque en fonction du thème, de l’ambiance. Le réveil s’est fait seul, le travail des hommes s’est fait en groupe de quatre ou cinq. Cela allait avec l’idée d’organisation. Danser les animaux (les perroquets et les singes) permettait un travail à deux, en miroir… J’imagine ce que le élèves peuvent faire (globalement) avec ma connaissance de la danse (là où j’en suis comme non spécialiste). Ensuite, je fais fonctionner quelques principes : agrandir les gestes, les répéter plusieurs fois, les épurer c’est à dire enlever tous les gestes parasites qui n’apportent rien pour le spectateur.
D’abord, les élèves cherchent et je les aide à améliorer leurs réponses en fonction de l’ambiance, l’intention pour le spectateur.
J’essaie que les élèves participent le plus possible à l’élaboration de la chorégraphie mais ils ne peuvent pas tout inventer (ou alors il faudrait encore plus de temps …).
Les idées générales d’action et de mouvement (cf. tableau) sont trouvées lors des premières séances : « Je vais vous passer toute la musique, vous essayez de danser en vous rappelant des différents moments et ce qu’ils évoquent. Si vous n’avez pas d’idées, vous vous concertez », on profile ainsi toute la danse et ensuite nous étudions plus particulièrement un ou deux tableaux à la fois.

Au début, leur danse est très près du réel, des choses« normales», quotidiennes. Il faut leur rappeler qu’il s’agit d’évoquer et non pas de mimer des gestes.
Par exemple, ils se réveillent en une seconde, ou très lourdement. En s’observant, ils commentent et trouvent des solutions : on a vingt secondes pour se réveiller… il faut donc se relever lentement, on n’est pas obligé de se réveiller tous en même temps, on peut s’étirer avant de se relever, on doit montrer qu’on est bien, qu’on prend son temps. Je les ramène toujours à l’ambiance recherchée. Quand l’intention est claire, c’est assez facile pour eux de comprendre les critères de réussite liés au sens.
Pour l’activité des hommes, il fallait trouver des actions par groupe de quatre ou cinq. En écoutant la musique, cela s’est traduit par trois gestes différents qu’il fallait réaliser ensemble. Pourquoi trois gestes ? Parce que c’est un nombre qui ne pose pas trop de problème de mémorisation et parce que la musique donnait un rythme qui permettait d’être ensemble. On aurait pu choisir un travail en décalé mais ensemble évoquait mieux le travail solidaire des hommes. Les actions ont été dégagées grâce au thème : la pirogue s’est traduite par une file indienne, la chasse par des grands gestes de tir à l’arc lents, l’exploration de la forêt par des déplacements en ligne etc.
Pour les animaux dans les arbres (tableau 3), je n’avais qu’une idée très vague et ne savais pas comment les orienter, nous sommes donc revenus au texte : « un serpent qui devient une liane » a donné : des mouvements ondulés dans un espace réduit (le serpent bouge), des arrêts sur image dans une position ondulée (la liane). Même raisonnement pour le « caméléon qui devient pierre » : des déplacements saccadés avec la musique… et petit à petit, l’ensemble s’est formé.

L’alternance danseur/observateur est très importante. À un moment, au cours du travail à deux, les élèves faisaient des grands déplacements, on n’y voyait rien, ce n’était pas «lisible» pour le spectateur. À partir de cette observation, on a décidé de limiter l’espace d’action et de varier les phrases dansées… cela devient des critères de réussite pour les élèves. Progressivement au cours du cycle, les élèves deviennent de plus en plus chorégraphes et aussi spectateurs attentifs. Cela permet de travailler sur une fiche « d’évaluation » que l’on construit au fur et à mesure du cycle. Il y a une fiche pour les observateurs et une fiche pour les danseurs. Tous les élèves savent l’utiliser.

Fiche d’auto-évaluation

Quelles relations avec les danseurs professionnels ?

Au tout début, le financement nous a permis d’assister à une répétition, d’aller au spectacle et de nous mettre dans l’ambiance avec un atelier « entrée dans la danse » de deux heures conduit par Marianne… mais cela, c’était en amont de notre projet. Ensuite, un danseur brésilien est venu à la 7è séance et a regardé les élèves. Il leur a donné des conseils que les enfants ont bien intégrés… Là où ce danseur nous a amené une chose irremplaçable, c’est quand il a raconté aux enfants que les indiens d’Amazonie sont très liés à la terre et que cela devait se traduire dans leur danse (d’où le 5è tableau, avec des déplacements appuyés, une danse « enracinée » dans la terre). Cela a apporté beaucoup au niveau de l’émotion à transmettre.

Peux-tu donner tes impressions sur un cycle de danse ?

C’est très déstabilisant au début… certains élèves n’osent pas, d’autres font les imbéciles … on ne sait jamais tout à fait comment on va se sortir de la situation, il faut réussir à « embarquer» tout le monde ! Et puis, peu à peu, les résistances diminuent et là, ça devient vraiment positif. Ce que je trouve important en danse, c’est de valoriser les trouvailles… il faut encourager, positiver (et aussi laisser tomber ce qui ne va pas). Évidemment, cela demande du temps si on veut des progrès et un résultat intéressant : pour ce projet (un fragment chorégraphique de quatre minutes), seize séances dans le gymnase ont été nécessaires, sans compter les séances en classe. D’ailleurs, le côté interdisciplinaire (comprendre un texte difficile, s’ouvrir à d’autres musiques, d’autres cultures et danser des émotions…), je ne pourrais pas m’en passer. C’est notre chance à l’école primaire de pouvoir relier différents apprentissages au service de la réalisation d’un projet collectif.
D’autre part, cela renforce la cohésion au sein de la classe, car pour que la danse soit réussie, les élèves prennent conscience qu’il faut un investissement véritable de chacun.

Propos recueillis par Claire Pontais.

Cet entretien est paru dans Contrepied n°13 – Danse avec les autres – Novembre 2003

Il est téléchargeable ici