Quelles clés d’étude pour améliorer ses performances dans les sports d’opposition ? Bernard Grosgeorge1 examine la nécessité de développer les pouvoirs d’agir des élèves. Il souligne l’importance de permettre aux apprenants d’être acteurs de leur activité et met en exergue le rôle de la répétition, de l’anticipation et de la créativité dans le processus d’apprentissage.
Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 _21 EPS et Culturalisme, 2018
Dans un période ou les savoirs sont régulièrement re-visités et les technologies de plus en plus envahissantes, peut être faut-il faire un point sur les apprentissage moteurs et plus particulièrement des apprentissages dans les sports d’opposition ?
Au regard des connaissances récentes sur les neurosciences, nous pouvons affirmer le rôle clé joué par des « apprenants », lorsqu’ils sont de véritables acteurs de leur activité. Qu’entendons-nous par-là ? Est–ce leur donner les tenants et aboutissants de ce qu’ils auront à réaliser ? Ou n’est-ce pas le fait de créer les conditions pour qu’ils « osent se lancer » en ayant en amont réduit autant que possible les risques de blessures et proposé des situations présentant une perspective de réussite acceptable. Nous reprendrons cette phrase de Stanislas Dehaene : « qui n’ose pas n’apprend pas » Apprendre ce n’est pas simplement faire, exécuter voire même réussir ! Apprendre c’est, pour des jeunes (élèves ou sportifs), accumuler de l’expérience par le fruit de la pratique et construire automatiquement une mémoire procédurale sans l’aide d’un contrôle conscient. C’est faire et refaire pour mieux calibrer les commandes musculaires en termes de temps et de forces, affiner et corriger à l’avance l’effet de ces interactions sur les déplacements corporels. Cette répétition est indispensable pour que le système nerveux s’engage dans des prédictions sur les avantages et inconvénients de telle ou telle prise d’initiative.
Mais attention ces « statistiques » auto-construites se réalisent à l’insu des sujets et ne sont pas du ressort de la conscience ou de la volonté. C’est le cervelet qui joue le rôle le plus important dans l’apprentissage et la mémoire du mouvement et de l’apprentissage procédural ; un savoir-faire en action, un savoir s’y prendre pour réaliser telle ou telle ou telle chose. Et sur ce registre, le poids des contextes l’emporte nettement sur les caractéristiques des tâches et les particularités des sujets apprenants.
Pour illustrer notre propos nous reprendrons l’exemple du célèbre gardien de but tchèque Petr Cech (âgé de 36 ans et toujours en activité avec le club d’Arsenal) qui entraînait sa maîtrise de gardien en subissant des pénaltys où, entre la balle et la cible, étaient intercalés des objets en tout genre. L’incertitude artificiellement introduite était là pour nourrir son expérience et l’aider à faire des prévisions et comparer (de façon non consciente) le résultat avec ce qui était programmé ainsi que de faciliter une stimulation adaptative de ses capacités anticipatrices.
C’est pourquoi, nous pouvons affirmer que la répétition est une opportunité d’apprentissage de l’anticipation, de l’économie gestuelle et de la fluidité de nos mouvements.
Le modèle intention-action
Le modèle conçu par Frans Bosch2 fait l’hypothèse que les mouvements effectués pour réaliser une tâche motrice doivent être pensés en termes de résultats et non en termes de processus pour accomplir une tâche. Il considère que le processus mis en jeu par le système neuromusculaire est soumis à de telles variations induites par les circonstances précises au moment de réaliser une action qu’il est préférable d’introduire des remédiations centrées sur le résultat plutôt que sur l’exécution proprement dite.
Sur cette base il préconise toutes les entrées possibles fondées sur la variabilité des situations dont le cadre serait initialement posé (par l’équipe enseignante). Si le résultat souhaité est clairement formulé, alors la variabilité devient une arme stratégique.
A bas tout découpage ou fragmentation des tâches faites de “mini but” toutes plus abstraites les unes que les autres. Compte tenu des ressources dont chacun dispose, chaque sujet peut trouver une réponse acceptable en relation avec les contraintes du contexte. Savoir se fixer des buts accessibles et faire de ses intentions le moteur des ses propres actions constitue un véritable renversement. Il faut prendre le risque de rompre avec des progressions plus ou moins alambiquées. Cette remarque reste tout autant valable lorsqu’il s’agit d’actions collectives. Il ne faut jamais perdre de vue le but visé. Peu importe la façon de s’y prendre. Je vous renvoie au film “Le stratège” ou est posé d’emblée de quels joueurs un coach à besoin…
C’est pourquoi, s’agissant de situations d’oppositions, l’intervenant doit toujours avoir en tête qu’il faut constamment inciter les protagonistes à lutter pour faire basculer positivement un rapport de forces et que toute performance en sport d’opposition est relative puisqu’elle est coproduite avec l’adversaire.
L’illusion du libre arbitre décisionnel
Que les tâches soient simples ou complexes, la conscience n’est là que pour tenter de construire en amont de l’activité proprement dite des stratégies, imaginer un plan d’action et mettre au point des contre-mesures. En aval elle ne peut que se greffer sur une activité existante. Dans l’action notre comportement précède souvent notre sentiment de libre choix. Le sentiment de croire que c’est le « je » qui joue est souvent une illusion. Nous sommes guidés par nos expériences accumulées et mémorisées et la conscientisation de nos décisions s’installe toujours après coup. Faut-il s’en alarmer, certes non. Et l’imaginer nous compliquerait bigrement notre vie.
Dans son ouvrage, « Spinoza avait raison », Damasio rappelle combien il est nécessaire d’activer sa mémoire émotionnelle pour nous aider à choisir. Le choix est aussi influencé par l’imagination du joueur déployée dans le passé face à des situations comparables et les confirmations ou non de certaines intuitions qui peuvent y être associées. Les prises de décisions se réalisent aussi à partir de l’anticipation qui n’est rien d’autre qu’un ensemble de simulations faites en amont par le cerveau sur le futur. L’anticipation peut donc être considérée comme la capacité à imaginer un panel d’options avantageuses susceptibles d’alimenter une prise de décision. La créativité peut être considérée comme le fruit d’une activation d’une curiosité imaginative traduite en action. C’est en ce sens que les grands sportifs sont capables de déployer des intelligences de réalisations pratiques, d’imagination et de création que n’ont pas les pratiquants de base.
Dans les activités à forte composante décisionnelle, je veux parler ici des sports d’opposition, deux systèmes animent la relation enseignant(s)–enseigné(s) : d’un côté celui qui agit et de l’autre celui qui supervise. L’acteur doit essentiellement combiner tout un tas d’informations aussi bien sur lui même que sur celles captées sur son environnement, disons que sa pensée est surtout animée par le versant perceptif de sa motricité alors que le superviseur s’appuiera davantage sur la cognition de l’action pour alimenter des remédiations.
Prenons l’exemple lors d’un tir au panier, au delà de quelques règles mécaniques de base, le tireur doit uniquement se focaliser sur la balle qui rentre dans l’anneau et par contre il est souhaitable qu’un enseignant sache quelle est la trajectoire de tir la plus économe et les informations à donner en termes de feedback lorsque des trajectoires s’en rapprochent ou s’en éloignent.
La créativité dans les sports d’opposition
Des progrès importants relatifs à la créativité peuvent être réalisés dans l’enfance mais la créativité n’est pas une improvisation, elle est le résultat d’un cheminement orienté par l’enseignant ou l’entraîneur. Daniel Memmert3, s’adressant à des jeunes handballeurs âgés de 7 à 13 ans, a récemment décrit ce processus de formation du joueur en 6 étapes dans un article intitulé : « Tactical creativity in team sport »
- Tout d’abord il faut donner les moyens aux joueurs d’explorer eux-mêmes une multitude de solutions différentes en se concertant entre eux en vue d’élaborer un plan d’action, Deliberate play. A ce stade il n’est pas proposé de feedback.
- Il faut ensuite assez rapidement proposer des situations simples adaptées de matches réels. Les jeux réduits répondent bien à cette problématique. Avec la réduction du nombre d’options de jeu et davantage d’espace d’action, les joueurs peuvent se concentrer sur une composante tactique du jeu et développer des modes de pensées alternatives (1-dimension game).
- Vient ensuite une troisième phase de diversification au cours de laquelle un entraînement focalisé et délibéré vise à construire des représentations mentales fortes. Pour cela le cerveau doit être stimulé, par des contraintes variées (sur et sous nombre, avance ou retard de certains joueurs, règles restrictives, contraintes de temps, modification de l’espace de jeu …). pour faire émerger des solutions originales.
- Au cours de la 4ème phase, deliberate coaching, il est préconisé de ne pas donner d’instructions mais tout simplement de mettre le focus sur l’attention au cours de l’activité des joueurs.
- La 5ème phase ou (Déliberate motivation), des instructions sont données pour encourager l’utilisation de différentes habiletés motrices et techniques.
- Enfin au cours de la 6ème phase les situations d‘opposition seront conduites pour répéter des solutions adéquates et rarement en explorer d’autres.
Les capacités attentionnelles – le fil bleu pour un apprentissage adéquat
Le problème rencontré par des sujets novices vient souvent du fait qu’ils sont bombardés d’informations ; ils ne sont pas équipés pour filtrer, élaguer, atténuer les informations qui les entourent. L’attention est là aussi pour les aider à faire des ponts entre les sensations captées sur l’environnement et les représentations associées.
L’attention sert aussi d’interface lors de l’acquisition du jeu. Elle agit indirectement de façon positive sur les quatre processus suivants : motivation, mémoire, volonté, émotion.
L’attention constitue aussi un fameux levier d’activation dont la finalité sera par la suite de se limiter au contrôle de situations délicates ou d’urgence. Autant elle alimente l’apprentissage et par nécessité d’économie, autant elle doit aussi laisser la place à bon nombre d’automatismes et d’habitudes. Tout réside dans le fait d’en faire le meilleur usage au bon moment et autant que de besoins, pas moins, pas plus.
Article à retrouver dans le ContrePied HS 20-21.
- Professeur détaché à L’Université Paris V (UFR STAPS) 1976 – 1984, Professeur détaché à l’INSEP 1985-1992, Entraîneur national de Basketball 1992-2008↩
- Bosch, F. (2015). Strength training and coordination: An integrative approach (K. Cook, Trans.).↩
- Memmert, D. (2014). Tactical creativity in team sport. Research in Physical Education, Sport and Health, 3(1), 13-18↩