« Encyclopédisme culturel » versus « acquisition d’une culture motrice »

Temps de lecture : 3 mn.

Contribution signée Vincent Grosstephan, P.U. Aix-Marseille


Si l’EPS revendique sa contribution décisive à l’acquisition d’une véritable culture motrice elle se doit, nous semble-t-il, relever trois principaux défis.

Programmes et compétences

Le premier concerne les programmes et plus particulièrement la définition des compétences. Il faut rompre avec des formalisations sous forme de comportement observable, de tâche à réaliser ou de conditions de réalisation, se référant rarement à l’activité des élèves. De nombreux travaux en technologie des PPSA, en didactique ou en anthropologie cognitive située proposent des analyses fines de l’activité d’élèves qui devraient pouvoir constituer des points d’appui pour définir des objets de savoirs signifiants et pertinents.
Le croisement par ailleurs de ces formalisations de compétences avec des catégories de PPSA questionne, dans la mesure où il ne permet pas aux élèves de s’investir comme de véritables producteurs culturels mais les cantonne à un statut de consommateur de culture. Cela est important au regard du rôle que l’on souhaite assigner à l’école : ni simple lieu de transmission et de reproduction, ni espace fermé indépendant des évolutions culturelles. Il s’agit de leur permettre de construire leur activité, de solliciter leur créativité.
Dans « l’activation des pratiques corporelles », il est possible de distinguer deux grandes catégories de motifs : un motif relatif à la production d’une performance située, quel que soit le type de performance et un motif relatif à la régulation et au développement de son activité (apprentissage, amélioration de la performance via l’entraînement). Dans l’activité réelle, ces motifs ne sont jamais séparés : la production située d’une performance exige la conduite d’un entraînement. Ces deux compétences nécessitent par ailleurs toujours la mise en œuvre d’une compétence liée à l’organisation de la pratique (coaching, arbitrage, etc.)

Pratiques scolaires des PPSA et pratiques de références

Le deuxième défi est relatif à l’écart entre les pratiques scolaires des PPSA et les pratiques sociales de référence. Une centration excessive sur ce qui constituerait, d’un point de vue formel, la « bonne pratique », culturellement « authentique », empêche de se pencher sur l’activité réelle des élèves : mobilisent-ils et/ou développent-ils réellement une activité de « gymnaste » ou de « volleyeur » ? On constate souvent un rapport très distancié des enseignants à la culture des PPSA prises comme référence. Dans les analyses réalisées dans le cadre de recherche sur l’enseignement-apprentissage au sein de cycles de danse (Lémonie, Tomas, Brière-Guenoun, 2016), il a pu être montré que certains élèves validaient les compétences des programmes sans pour autant avoir développé une véritable activité de danseur au sein du cycle. Larsson & Karlefors (2015) évoquent ainsi une culture spécifique aux pratiques d’EPS envisagée comme une « looks-like culture ».
Il semble utile de s’appuyer sur l’histoire des débats sur les choix des pratiques de référence pour distinguer trois catégories ou genres de pratique : des pratiques physiques d’entretien, des pratiques sportives finalisées par la performance, des pratiques artistiques finalisées par la création. Il serait souhaitable que les élèves, dans leur parcours de formation, puissent avoir rencontré chacun de ces trois genres de pratiques. Outre le fait que cela éviterait de s’appuyer sur une classification forcément discutable, cela permettrait également d’allonger sensiblement la durée des cycles d’enseignement. Il s’agit, en faisant baisser le nombre de cycles vécu par les élèves, de leur permettre de développer une véritable activité de pratiquant, leur permettant également de développer les trois types de compétences que nous avons identifiés et susceptibles d’être travaillés et articulés au sein de chaque cycle. L’orientation « multi activité » des programmations est antinomique d’une orientation culturaliste défendue par l’EPS.

Les épreuves certificatives

Le troisième défi est celui de l’évaluation certificative. Nous avons montré que les épreuves certificatives fonctionnent comme de véritables organisateurs pour les pratiques d’enseignement/apprentissage. Des tensions apparaissent, témoignant de contradictions inhérentes au rapport entre les programmes et les épreuves certificatives. La principale est celle entre le niveau des attendus dans les référentiels et ce que sont susceptibles de produire les élèves au regard des conditions usuelles d’enseignement, dont notamment les temps réellement utiles d’enseignement/apprentissage. De nombreux indicateurs sont ainsi inatteignables dans le cadre d’une pratique scolaire ordinaire. De fait, l’équité censée être assurée par les référentiels et la double évaluation n’est que formelle (même épreuve pour tous, mêmes critères, indicateurs, échelle de note pour tous) et non réelle. Nous plaidons dès lors pour une élaboration collaborative des référentiels articulant trois types d’expertise : l’expertise technologique dans les PPSA, l’expertise scientifique et l’expertise professionnelle des enseignants

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