Éviter que l’EPS aille dans le mur !

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Thierry Tribalat, IA IPR Honoraire, membre de l’AEEPS et CEDREPS

Une mise sous pression par un contexte pesant

Aujourd’hui sous la pression de l’organisation des jeux en 2024, les questions sociales autour du sport, du corps, de l’activité physique n’ont jamais été aussi prégnantes et aussi médiatisées. La France ne pouvant pas apparaître aux yeux du monde comme un pays non sportif, diverses mesures sont prises pour inverser la tendance sédentaire de toute la population, jeune. Il faut à la fois former des sportifs, lutter contre la crise sanitaire et l’obésité, donner envie de voir et pratiquer un sport et pour cela chacun des acteurs tire la couverture à lui pensant être persuadé de détenir la solution.

L’évolution du rapport au corps dans la société contemporaine exacerbé aujourd’hui par la crise de la COVID est un deuxième élément révélateur de transformations sociales. Ses usages ont profondément changé, allant de la norme la plus absurde à la quête d’une liberté absolue. D’un côté, la gestion du corps devenu un patrimoine, un capital, comme les autres encombrés de représentations extrêmement normées. De l’autre, une liberté nouvelle, véritable conquête sociale : l’accès à un savoir et un pouvoir d’intervention sur le corps permettant de déplacer les normes d’usages et de choisir les siennes.


S’ajoutent à cela des confusions conceptuelles. Sport, activité sportive, physique, éducation physique « instruction physique » aujourd’hui, médecin, journaliste, politique, éducateur, chacun y met ce qu’il veut. Tout est dans tout sous le vocable de sport : faire le tour du quartier avec son chien comme s’inscrire dans un trail éprouvant. Le sport n’appartient à personne et donc de fait appartient à tout le monde, et c’est bien là le problème. Le corps n’échappant pas non plus aux mêmes confusions où l’on navigue de
l’instrumentalisation la plus sordide à l’incarnation la plus subtile.
Dans ce tourbillon social de transformations silencieuses, mais fulgurantes dominent l’intense et la vitesse. Tout s’accélère.

La production foudroyante de savoir en vingt ans, son traitement, sa diffusion, son assimilation sont un des enjeux de la construction sociale du monde de demain, car les algorithmes neutralisent
dangereusement notre liberté de pensée et de conscience.

Quelle place pour le corps et ses usages dans ce monde dominé par le calcul ?

Ces transformations multiples de la société imposent des décisions aux politiques qui percutent « l’agir professionnel » des enseignants d’EPS dont les contenus et l’enseignement sont mal compris. L’EPS tant bien que mal tente soit de maintenir le cap, soit de se réinventer sinon elle disparaitra !

Notre mission est de permettre à chacun de construire un rapport au corps à la fois sensible et réflexif, d’accéder à la liberté d’être ce que l’on souhaite et de pouvoir l’assumer. De se donner du temps pour d’accéder à un style de vie actif correspondant à sa personnalité. « Bouger c’est bien, mais apprendre à bouger c’est mieux ». Être entraineur de soi-même en toute connaissance de cause tout
simplement. Cela peut-il se passer de culture ? Non ! mais pas sous la forme où on l’entend encore souvent aujourd’hui. Nier en EPS le corps et le rapport au corps que chacun entretient serait une erreur grave.
Il nous faut sortir de la poursuite d’une culture encyclopédique d’APSA juxtaposées dans une programmation sans cohérence entre elles.
Revendiquer et s’inscrire dans la poursuite des valeurs de la république qui dépassent largement le cadre du sport. N’en déplaise au ministre, « les valeurs du sport ne sont pas les valeurs de la
république ».
L’EPS n’éduque pas au sport, mais fait étudier en acte, par l’expérience vécue, le fait sportif. L’EPS n’est pas (plus) la recherche d’une élévation du niveau de pratique sportif du débutant en sixième à l’initié en terminal par l’acquisition d’une rationalisation technique.

Quels seraient alors les objets de savoir à enseigner et pourquoi ?

Les programmes ne répondent pas à ces questions. Sans contenus réels, ils confinent au formalisme faisant le jeu de ceux qui dénoncent la discipline. Elle est perçue et réduite à un espace communautaire replié sur lui-même de recherche de cohésion sociale. L’EPS est une discipline de vie certes, mais c’est aussi, et surtout une discipline d’enseignement.
« Me comprendre quand je bouge pour mieux bouger ! ». L’EPS est pour nous avant tout l’étude en acte de l’ACTIVITÉ que l’on MOBILISE dans un champ de contraintes qu’est une PRATIQUE sportive, artistique ou de bien-être.

Donner un sens à sa corporéité, savoir en user, mais en toute connaissance de cause, pas n’importe comment ni à n’importe quel prix.

Pour cela de nombreuses taches s’imposent à nous

  • Déterminer de manière ouverte les expériences culturelles à traverser.
  • Définir clairement dans les programmes les objets de savoir à enseigner.
  • Au cœur de ses objets, définir des thèmes d’études articulant le niveau de développement des enfants, les contenus relatifs au thème d’étude et au patrimoine culturel.
  • Ces thèmes d’étude obligatoire par niveaux scolaires renvoient à l’activité adaptative déployée face à un problème qui traverse un ensemble de PPSAD appartenant au même champ d’expériences.
  • Accompagner les enseignants dans le choix des PPSAD en lien avec les thèmes d’enseignement du programme et non leur imposer

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