La brasse a-t-elle encore sa place à l’école ?

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Raphaël Le Cam enseigne la natation au SIUAPS de Rennes depuis 25 ans. Il s’adresse plus particulièrement à de jeunes adultes aux niveaux « débutant-débrouillé ». Il propose ici un plaidoyer pour le retour de l’enseignement de la brasse à l’école. Il est l’auteur du site internet de l’université de Rennes « Apprendre à nager – Mouillez-vous ! » auquel nous vous recommandons de vous reporter.

Cet article est paru dans le ContrePied natation HS n°33, octobre 2023

Jusqu’aux années 70, l’enseignement de la natation se fondait sur la distinction entre les nages « utilitaires » (brasse et dos) et les nages « sportives » (crawl et papillon). Les premières faisaient partie des apprentissages de base tandis qu’on réservait les secondes à la compétition. À partir des années 80, suite notamment aux travaux de R. Catteau, les formateurs et l’institution scolaire ont été incités à délaisser la brasse au profit du crawl car ce dernier était mieux à même de résoudre « le triple problème du meilleur équilibre, de la meilleure respiration et de la meilleure propulsion dans l’élément liquide ». Malgré cela, la brasse reste la nage la plus pratiquée sur les horaires publics, (le plus souvent par des femmes ?) en général dans un souci de santé et de bien-être. Elle est également plébiscitée par les parents inscrivant leur(s) enfant(s) à des cours particuliers de natation dont on peut interroger la persistance. Cette reconnaissance sociale est-elle suffisante pour faire de la brasse une technique à enseigner ? Tentons quelques réponses.

Avantages et inconvénients de la brasse

Si l’on excepte les distances très courtes (le « double ciseau » en water-polo), la brasse est indubitablement la nage la plus lente ; elle rend 10’’ au crawl sur un 100m. Cela est dû à une double contrainte : la limitation réglementaire de l’action propulsive des bras ; le retour subaquatique de l’élément propulseur principal (les jambes) qui génère une trainée importante lorsque la vitesse s’élève

A contrario, à allure modérée (moins de 0,5m/s), la brasse devient la nage la plus économique. Tout d’abord en surface ; son choix est particulièrement pertinent pour quelqu’un qui tombe habillé dans l’eau. Elle permet de se déplacer longtemps en conservant la tête émergée (regard à l’horizontal), ce qui facilite à la fois la vision directe pour se diriger ainsi que les échanges respiratoires. Elle favorise également les parcours en immersion à condition de prolonger le mouvement des bras jusqu’aux jambes. Tous les records de distance en apnée dynamique sans palmes utilisent cette « brasse sous-marine ». Par ailleurs, le ciseau ou encore mieux le rétropédalage des jambes offrent de nouvelles possibilités d’action lors d’un changement de position. On peut par exemple effectuer un maintien surplace vertical, ce qui constitue le moyen le plus efficace de récupérer et/ou de s’informer pour une personne dense au niveau des membres inférieurs. On peut aussi, en s’allongeant sur le dos, remorquer une personne en difficulté. La motricité de la brasse est ainsi la seule qui permette à la fois de nager sans avancer ou de se déplacer à 2 !

Toutefois, la brasse n’a pas que des avantages. D’une part, l’aisance du brasseur ou de la brasseuse à vitesse réduite, particulièrement s’il ou elle est peu dense et souple au niveau du bas du corps reflète mal les difficultés d’apprentissage qui sont généralement associées à cette technique. Cela s’explique principalement par une motricité des jambes éloignée de celle utilisée par le terrien pour se déplacer : mobilisation en marche ou course des jambes dans un plan sagittal de manière alternée tandis qu’en brasse, mobilisation dans un plan frontal et de manière simultanée. L’acquisition de ce mouvement exige un certain niveau de compétence de l’enseignant·e mais surtout de « motivation » chez l’élève : l’utilisation d’une ceinture (pour compenser la densité des jambes) pose par exemple souvent problème chez les adolescent·es. D’autre part, l’économie de nage de la brasse devient franchement défavorable dès que la vitesse s’accroit. Pour aller vite, mieux vaut ne pas nager en brasse ! Perçue de façon contradictoire en milieu scolaire, elle est pourtant indispensable pour aborder le sauvetage aquatique. Comme nous l’avons vu plus haut, la « brasse sous-marine », la « brasse verticale » ou encore « les techniques de remorquage » devraient faire partie de la « panoplie » des lycéen·nes qui veulent réussir leur parcours de sauvetage et pourquoi pas, à plus longue échéance, passer les épreuves du BNSSA.

Il faut bien en convenir, l’apprentissage de la brasse peut apparaitre assez ingrat. Les contraintes mécaniques du geste réclament un investissement soutenu de l’enseignant·e et de l’élève pas toujours compatibles avec les conditions d’enseignement (lenteur des progrès, matériel nécessaire). La brasse a pourtant des vertus : elle fait du bien, à soi d’abord, comme en témoigne son succès populaire en tant que nage de détente, mais aussi aux autres, en étant une technique de base dans la formation en sauvetage, elle mériterait donc de réintégrer l’école.

Entretien réalisé par J.P Lepoix et paru dans Cet article est paru dans le ContrePied natation HS n°33, octobre 2023


Pour avoir les conseils techniques sur la brasse, voir la rubrique « Apprentissages/techniques/brasse » du site de l’université de Rennes

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