Le « savoir bouger », un savoir scolaire et social fondamental

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Lucie Dal, Collège Victor Hugo Somain (Académie de Lille)


Alors que l’amalgame entre l’EPS et le sport ne cesse d’exister et que depuis 2 ans, à l’horizon des JO 2024, les choix politiques (2S2C, expérimentation de 2h de sport au collège) ne font que renforcer cette confusion avec une logique grandissante de sportivisation de la discipline, obligeant les enseignants d’EPS à défendre leur discipline par le biais de tribunes de presse. (« L’EPS n’est pas l’antichambre du sport fédéral », Dietcsh, Durali, Le Meur, 2020).
L’enjeu prioritaire de l’EPS ne serait-il pas de réussir à être reconnu comme une discipline singulière et indispensable au sein du système éducatif ?
En effet, que ce soit ses objectifs ou ses méthodes, l’EPS est quotidiennement remise en cause. Son inutilité est d’ailleurs parfois soulignée par les élèves ou parents qui, « non-sportifs dans l’âme », n’ont pas conscience des acquisitions qu’ils en tirent et s’engagent dans des discours du type « ce n’est pas grave si tu n’as pas la moyenne, ce n’est que de l’EPS », « non mais franchement ça sert à quoi de savoir taper dans un volant ou courir autour d’un stade ? ».
Aussi, le développement d’un modèle axé sur la sportivisation renforcerait cette remise en question car il laisserait sur le bord du chemin la majorité des élèves, ce qui ne semble aller de paire avec les objectifs du système éducatif.

L’enjeu serait donc de trouver comment didactiser les pratiques culturelles pour en faire une activité accessible à tous, où chaque élève pourrait à la fois s’éprouver, se tester, se confronter mais aussi éprouver du plaisir afin d’acquérir nouveaux pouvoirs d’agir sur soi, sur les autres, sur le monde.


Tout l’enjeu serait donc de trouver comment didactiser les pratiques culturelles pour en faire une activité accessible à tous, où chaque élève pourrait à la fois s’éprouver, se tester, se confronter mais aussi éprouver du plaisir afin d’acquérir nouveaux pouvoirs d’agir sur soi, sur les autres, sur le monde.
Laissons donc aux clubs sportifs la responsabilité de faire des jeunes des spécialistes des APSA ou des machines physiologiquement prêtes à performer en compétition, et laissons à l’EPS la possibilité de les transformer et de leur apporter un ensemble de capacités indispensables à leur vie quotidienne telles que le développement de capacités perceptives, de capacités décisionnelles, le développement de la coordination, le savoir communiquer et coopérer, etc.

Laissons donc aux clubs sportifs la responsabilité de faire des jeunes des spécialistes des APSA ou des machines physiologiquement prêtes à performer en compétition

L’EPS aurait donc pour rôle de moduler l’élève tel un « couteau suisse ». Plus précisément, elle lui permettrait par ses acquisitions de connaissances et de compétences multiples de se confronter et s’adapter plus facilement à des expériences quotidiennes.
Dans cette logique, il est donc également nécessaire que l’enseignant sélectionne certains apprentissages et effectue des choix précis de traitement en fonction du contexte dans lequel il évolue. Il peut donc s’emparer des enjeux sociétaux et locaux tels que la santé, l’écologie ou encore des problématiques spécifiques détectées au sein de son établissement telles que la violence, les difficultés de coopération, etc.
Enfin, la reconnaissance de la discipline passera par l’image que nous réussirons à laisser d’elle à ses pratiquants. Aussi, il semble incontournable de prendre en compte le plaisir de l’élève et ses mobiles d’agir. Car comme le montrent notamment Belhouchat M. et coll. (2021), le plaisir suscite un engagement plus soutenu dans les apprentissages et dans la pratique sur le court et long terme.

Quelques pistes peuvent donc être avancées afin d’atteindre cet objectif.

  • Utiliser les APSA dites nouvelles pour sortir des clichés et favoriser une pratique mixte et accessible à tous tel que le hip-hop, double-dutch, dodgeball, spikeball, l’ultimate, etc.
  • Casser les représentations des activités plus traditionnelles. On entend trop souvent par exemple que « l’athlétisme c’est nul et épuisant », or ces activités permettent de développer une motricité fondamentale : « courir, sauter et lancer » et inculquent des connaissances sur la pratique physique. Ces connaissances sont aujourd’hui incontournables lorsque l’on sait qu’en sortant du système scolaire la pratique physique auto-gérée est la plus plébiscitée. Aussi, il est nécessaire de rendre ces activités accessibles en focalisant l’élève sur ses progrès par l’utilisation d’une pédagogie du projet ou encore en s’appuyant sur son besoin primaire qu’est le jeu. En effet, la ludification permet de faire passer l’effort au second plan sans le faire disparaitre. 1
  • Proposer des formes de pratiques équitables, mixtes, adaptatives (Kuehn, 2021). L’auteur montre par exemple en badminton qu’en réduisant la taille de leur terrain, le rapport de force devient équitable, même entre les meilleurs et les moins bons joueurs. Aussi, chaque élève peut y trouver du plaisir, son engagement moteur est amplifié et ses progrès notables à la fin de la séquence.
  • Continuer à faire vivre des expériences uniques à nos élèves par le biais de L’EPS, l’AS ou projets interdisciplinaires.

Ainsi, nous pourrons donc espérer qu’un jour, au même titre que le savoir lire et le savoir compter, le « savoir bouger » fasse partie des savoirs fondamentaux qui sont donc indiscutables et acceptés de tous au sein de l’école

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