Ce texte est une contribution spécifique du Centre EPS & Société dans le débat sur les ABCD de l’égalité, parce que c’est aussi par nos corps et dans nos corps que se construisent, dès le plus jeune âge, des inégalités entre les femmes et les hommes dont les répercutions sont, à l’âge adulte, conséquentes.
Dans le débat autour d’un enseignement à l’égalité au sein de l’école, le rôle de l’Education Physique et Sportive n’a jusqu’alors pas été évoqué. Or, la question du corps (lieu premier de la différenciation entre les sexes) est centrale dans la polémique actuelle. (2013-2014)
Alors que pour les uns, il est question d’ouvrir le champ des possibles et de lutter contre les stéréotypes qui limitent les libertés individuelles, pour les autres, il s’agit d’exacerber la peur et l’angoisse d’une soit disant confusion/indifférenciation des sexes concomitante d’une nouvelle liberté d’agir !
Le Centre EPS et Société, fort des 10 000 enseignants d’EPS qui accompagnent ses travaux, souhaite prendre part publiquement à ce débat parce que c’est aussi par nos corps et dans nos corps que se construisent, dès le plus jeune âge, des inégalités entre les femmes et les hommes dont les répercutions sont, à l’âge adulte, conséquentes en terme de santé publique.
Ainsi, en ces temps troublés par plusieurs campagnes de calomnies à l’égard de la recherche sur le genre, de l’éducation ou de la politique à l’égalité menée par le gouvernement, le Centre EPS et Société tient à affirmer son soutien à tous ceux et toutes celles qui, à l’école, oeuvrent pour éduquer des corps libérés des codes sociaux de la différenciation des sexes, des corps à égalité de droit et de traitement dans et par les pratiques physiques et sportives.
Nos enfants ne sont pas en danger sauf à considérer que l’éducation à la liberté de choisir, d’agir et de se mouvoir soit un danger ! Nous ne le pensons pas.
Au contraire, nos enfants ont tout à gagner à voir se développer une éducation moins sexiste.
Pendant des décennies, le fantasme et l’angoisse de la confusion des sexes (aujourd’hui ravivés chez les activistes de la Manif pour tous) ont alimenté, justifié des choix éducatifs qui, outre le fait de séparer physiquement les filles et les garçons (par un enseignement non mixte), ont contribué à distinguer et spécifier des contenus, des méthodes et des évaluations qui, bien au-delà de toute biologie initiale, façonnent des capacités ou des motivations différentes entre les sexes.
Est-il nécessaire de rappeler que la pratique de la gymnastique rythmique est, jusqu’aux années 1970, demeuré le principal support éducatif pour les jeunes filles ? Est-il nécessaire de rappeler que sous prétexte d’une prétendue faiblesse de leur corps, les filles n’avaient pas le droit d’accéder à certaines pratiques sportives, celles-là même qui pouvaient leur permettre de développer des forces tant physiques que mentales … ? Est-il nécessaire de rappeler que les sportives sont largement moins médiatisés que leurs homologues masculins, surtout lorsqu’elles s’engagent dans des pratiques « connotées masculines » ou qu’elles font régulièrement l’objet de commentaires sexistes ou homophobes comme en témoignent malheureusement l’actualité des Jeux de Sotchi ?
Aujourd’hui, le danger provient précisément du fait que des stéréotypes persistent dans le champ des pratiques sportives. Par exemple, on entend que les filles n’aimeraient pas la compétition et les garçons n’aimeraient pas les activités artistiques ou collaboratives ! Mais que fait-on pour donner d’autres perspectives aux filles et aux garçons ? Que fait-on pour valoriser les 4 à 5 millions de filles licenciées dans des fédérations sportives et pratiquant de la compétition ? Que fait-on pour montrer aux garçons qu’ils ne perdent rien de leur masculinité s’ils dansent ou coopèrent avec leurs camarades ?
L’égalité ne se décrète pas, elle se construit dans les faits, au quotidien.
Les stéréotypes méritent d’être déconstruits car ils sont le résultat d’un système et d’une politique sportive depuis longtemps inégalitaire entre les hommes et les femmes et qui, aujourd’hui encore, continuent à orienter nos élèves et de fait à alimenter le constat des écarts entre les sexes.
Halte aux stéréotypes !
Non, les sports n’ont pas de sexe, pas plus que les sciences, les métiers ou les tâches domestiques.
Non, le foot n’est pas par nature un sport masculin ! Par contre, les politiques menées au sein des instances fédérales depuis 100 ans, ou les modes de socialisation des jeunes filles, ont largement contribué à éloigner les filles de cette pratique sportive alors même que dès l’après-guerre certaines souhaitaient s’entraîner.
Non, la danse ou l’entretien ne sont pas les seules pratiques physiques qui motivent les filles ! Aujourd’hui, il y a plus de filles à la Fédération Française de Foot qu’à la Fédération Française de Danse.
Non, la pratique de tous les sports sans restriction ne provoque ni une inversion de sexe, ni une confusion des sexes ! Par contre, cette angoisse fût régulièrement évoquée dans l’histoire pour limiter l’accès des filles à des pratiques jugées inacceptables tels par exemple l’épée, le 800m, le marathon, le judo, le cyclisme ou le foot. Celles-ci sont aujourd’hui pratiquées par des milliers de femmes sans qu’elles ne soient pour autant devenues hommes !
Non, l’égalité d’accès à toutes les pratiques sportives, de même que l’égalité de traitement entre les sportifs et les sportives n’est pas une apologie de l’homosexualité comme norme. Il s’agit simplement d’un principe de justice et de l’une des valeurs principales de notre République.
L’éducation physique, une chance pour l’égalité des sexes
Il est tant de s’attaquer sérieusement aux inégalités qui enkystent le champ sportif et éducatif. Ainsi,
– oeuvrons à une EPS à l’école qui contribue à émanciper nos élèves, filles et garçons, c’est à dire à leur offrir un développement corporel permettant un réel choix de leurs activités sportives.
– oeuvrons pour une EPS à l’école qui offre, à tous les enfants scolarisés, la possibilité de découvrir, d’agir et de progresser dans une large variété des activités physiques, sportives et artistiques, toutes constitutives de notre patrimoine culturel.
– oeuvrons pour une EPS à l’école où les filles peuvent apprendre la confrontation et le dépassement de soi et où les garçons puissent s’exprimer et créer artistiquement et ce, sans être insultées de « garçon manqué » ou de « petits pédés » !
– oeuvrons pour une EPS à l’école sans propos sexistes ou homophobes, sans dévalorisation des femmes ou du féminin, sans négation de la pluralité des féminités et des masculinités.
– oeuvrons pour que l’EPS à l’école soit un « véritable laboratoire de mixité », apte à inspirer le monde sportif, pour que les filles et les garçons apprennent ensemble une culture commune qui intégrerait la pluralité des expériences.
– nous voulons que les enseignant.e.s d’EPS puisse être formé.e.s à l’égalité pour qu’ils et elles en soient réellement les garant.e.s au sein du système éducatif.
Les études que l’on nomme « de genre » sont un outil pour décrypter les inégalités que les enseignant.e.s contribuent, volontairement ou involontairement, à pérenniser dans l’organisation de l’EPS. Depuis 20 ans, ces travaux se sont multipliés, mais peinent cependant à se diffuser par manque de moyens spécifiques. Les polémiques actuelles rappellent l’urgence de la situation. L’égalité ne se décrète pas, elle se construit dans les faits, au quotidien. Ils doivent constituer un élément indispensable de la formation en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives et dans les ESPE, mais aussi des formations continues proposées aux personnels éducatifs. Nous soutenons ainsi toutes mesures qui permettent d’agir sur ces phénomènes, telle l’ABCD égalité dans le premier degré, en émettant le souhait que ce travail se poursuive dans le second degré comme à l’Université.