L’EPS peut-elle contribuer à la maîtrise de la santé ?

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(sur les rapports nécessaires et délicats de l’EPS et de l’éducation à la santé-un enjeu démocratique)


Ma petite expérience m’a fait constater que suggérer une contribution accrue de l’EPS à la santé engendre rapidement une indifférence courtoise suivie le plus souvent de beaucoup d’agacement.

Je souhaite voir avec vous ce qu’on peut tirer de ce paradoxe en réagissant à ces réticences à partir de travaux disponibles sur la santé et l’éducation à la santé

Première réticence : comment peut-on douter du lien entre EPS et santé ?

L’EPS se réfère largement au sport et tout le monde sait que le sport c’est la santé. Eh bien justement, on commence à en douter massivement, particulièrement depuis la révélation de l’ampleur du dopage.Cependant, depuis la conférence internationale de consensus de 1999, on peut affirmer que, dans certaines conditions qui ne coïncident pas forcément avec la recherche de la meilleure performance sportive, l’activité physique a des effets profitables sur ce qu’on appelle généralement la condition physique:

– maladies cardiovasculaires, athérosclérose
– hypertension artérielle
– réduction des surcharges pondérales
– stimulation de la croissance osseuse chez les jeunes, réduction de l’ostéoporose, etc…

Mais deux types de résultats relativement nouveaux apparaissent:

– le rôle de l’activité physique dans la prévention de certains cancers du tube digestif

– et au niveau psychologique, dans la préservation ou l’élévation de l’estime de soi

Or les conditions de tous ces effets profitables ne sont jamais complètement réunies en EPS, dans le cadre actuel des horaires et des programmations d’activités.

Par contre, en EPS, on peut sans doute contribuer efficacement et de façon irremplaçable à l’éducation à la santé et au moins, comme le disent aussi les textes, à la préparation des élèves à la gestion de leur vie physique, dans certaines conditions sur lesquelles je reviendrai.

Deuxième réticence : la crainte que les politiques ne se déchargent sur l’école d’une responsabilité sociale qui incombe à la société tout entière, et en particulier au système de santé.

Elle est fondée si on considère qu’en France la prévention représente environ 2,5% de la dépense de santé totale.
Mais même dans l’hypothèse d’une augmentation importante de la contribution du système de santé à la prévention, l’école resterait un lieu irremplaçable de formation de tous les élèves, et notamment de ceux dont la famille, pour des raisons affectives, économiques ou culturelles, est dans l’incapacité de jouer son rôle.

Il y a là un véritable enjeu de démocratisation et de justice sociale qu’il ne faut pas seulement évoquer intellectuellement mais aussi affronter en termes concrets, jusque dans l’intimité des pratiques.

Comme dit Samuel Johsua dans Politis : ” L’équilibre actuel des disciplines scolaires (entre les humanités et les sciences) date de 1902. Il laisse de côté un troisième secteur en plein développement, celui des relations humaines: le droit, la santé, la sociologie, l’économie, les sciences politiques, soit une bonne part des choses de la vie courante. Il y a un besoin de savoirs nouveaux, et l’école ne peut pas survivre s’il n’y a pas un soutien culturel puissant à ce qu’elle enseigne “.

Et nous n’avons pas à craindre que ce soutien culturel nous manque, en particulier chez nos élèves: selon le Baromètre Santé Jeunes 97-98 du Comité Français d’Education pour la Santé, la part des jeunes qui déclarent avoir une pratique sportive pour la santé passe de 22% à l’âge de 12 ans à 50% à l’âge de 19 ans.

Troisième réticence : la méfiance à l’égard d’une acception large de la santé qui composerait avec la citoyenneté, entre autre, un fourre-tout idéologique propre à justifier toutes les dilutions disciplinaires.

La tentation existe sans doute pour nos gouvernants, surtout quand la mode est à fonctionner à moyens constants.
Mais l’essentiel n’est pas d’abord là. L’essentiel est que cette conception élargie de la santé :
La santé est un état de complet bien-être physique, social et mental et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité ” (voir le dépliant du SNEP) …

cette conception reste globalement juste et permet d’identifier des objectifs et des moyens d’action.
Elle a notamment permis de montrer que l’éducation à la santé doit préparer le citoyen à prendre place dans les processus d’élaboration des politiques de santé. C’est en cela que le croisement avec l’éducation à l’environnement ou à la citoyenneté se justifient, et non pour des raisons moralisatrices.
Elle est également une invitation (comme celle de Johsua) à enrichir les enseignements scolaires à partir de ce qui, dans les pratiques sociales et dans les sciences humaines, permet de connaître et d’agir sur les fonctionnements psycho-sociaux.

L’EPS n’a rien à craindre de cet élargissement de la conception de la santé puisque l’activité physique est de plus en plus identifiée comme un levier essentiel de la santé physique et mentale. Et l’expérience internationale montre que, dans les conceptions les plus avancées de la Promotion de la santé et de ses composantes, l’EPS est la seule discipline scolaire qui soit explicitement mentionnée, précisément parce qu’elle est le seul lieu de pratique physique éducative.

Quatrième réticence : la suspicion que l’éducation à la santé ne soit utilisée pour remettre en cause la relation privilégiée de l’EPS à ses références culturelles, les APSA,

dont la prise de risque est presque toujours consubstantielle, alors même que cette prise de risque est souvent mise en cause dans les problèmes de santé.
Des exemples étrangers montrent que cette suspicion est fondée, mais notre expérience française nous a appris à nous adapter à la complexité des demandes et des besoins sociaux, à préserver notre identité tout en défendant nos moyens d’action.
D’ailleurs, les jeunes de 12 à 19 ans que j’évoquais tout à l’heure, filles et garçons, mettent en tête des raisons de pratiquer une activité sportive, à 75%, le plaisir. Et nous savons que dest ce qui leur fait préférer l’EPS, de la 6è,e à la terminale, à toutes les autres disciplines scolaires.La plupart des pratiques physiques auxquelles l’EPS se réfère incluent sous des formes plus ou moins spécifiques et conscientes la quête de bien-être, d’entretien, de développement, de progrès physique. A nous de les révéler, de les mettre en valeur dans notre enseignement, de démultiplier leur potentiel.

Deux recherches menées dans notre équipe à l’INRP attestent que c’est possible et qu’on peut inventer de nouveaux contenus à partir de là.

La première utilise la course de longue durée. Elle ne se contente pas de permettre aux élèves de courir et de mieux connaître leur course, elle leur permet d’apprendre à s’entraîner et d’accéder au plaisir de se transformer.

La seconde utilise les Activités physiques artistiques pour aider les élèves à communiquer physiquement, à explorer physiquement, dans l’activité chorégraphique, l’éventail du masculin et du féminin. Le but est d’introduire la réflexivité comme un coin dans les comportements à risques.

Dans les deux cas, le dispositif est interdisciplinaire. Mais dans les deux cas, l’activité physique des élèves déployée en cours d’EPS constitue le matériau d’étude dans les autres disciplines. La place de l’EPS et sa légitimité s’en trouvent renforcées. Et les autres disciplines n’échappent pas à la nécessité de puiser de nouveaux contenus dans leurs développements les plus contemporains.

Cinquième réticence : la réticence à l’égard de nouvelles exigences plus ou moins exotiques (notamment médicales) pour lesquelles les enseignant(e)s d’EPS ne sont pas formé(e)s.

Le Comité Français d’Education à la Santé constate que ” Les préoccupations des adolescents recouvrent principalement le domaine des relations et de la vie sociale, émotionnelle et affective ainsi que de la gestion du stress. Le levier de la démarche d’éducation pour la santé peut donc rarement s’appuyer sur la peur de maladie projetée dans un futur lointain (… ), mais doit s’inscrire dans une réaité plus liée au vécu immédiat du jeune (amour, sport, musique … ) “.

Une première option est de réinterroger nos contenus habituels et par exemple de définir ce que peut-être une transversalité interne à l’EPS du point de vue de ce qui nous est le plus familier: la condition physique, dans ses aspects organiques et aussi dans ses déterminants et ses effets psychiques.
Mais la dimension psychosociale de la santé nous invite à puiser dans des pratiques sociales, à adapter ou inventer des contenus qui relèvent souvent d’univers peu fréquentés par l’EPS : le bas-bruit, le sensible, l’invisible, l’imaginaire, le subtil, le sensuel … ce que les anglo-saxons appellent depuis 400 ans du beau nom de physicalité (terme qui n’existe pas dans notre langue) interroge fortement notre identité professionnelle, les normes culturelles dans lesquelles elle s’ancre, en particulier comme conservatoire de la virilité.

Il nous appartient de nous déterminer, de nous engager dans nos enseignements et dans les Rencontres d’éducation à la santé prévues préconisées dans le B.O. du 3 décembre, d’obtenir les moyens nouveaux pour leur mise en oeuvre effective, mais aussi pour les formations et la recherche.Une contribution de l’EPS ” à la maîtrise de la santé ” est à ce prix.

L’utilité sociale de l’EPS n’est pas une tare mais un atout.