Véronique Vezien, professeure d’EPS au Lycée professionnel Camille Claudel de Caen mène avec son équipe d’établissement une lutte acharnée contre les dispenses en natation. Pas de recette miracle, mais du dialogue et des propositions aquatiques telles que aquagym, coaching, nage avec palmes, longe-côte…permettent aux élèves d’accéder au savoir-nager et d’adhérer aux projets nautiques.
EPS & Société : quel est l’origine de votre projet ?
Avant d’arriver au LP Camille Claudel, j’étais au lycée de Deauville où il y avait un section natation/sauvetage, une AS natation … et comme je suis moi-même nageuse et MNS, je baignais dans la culture sportive natation ! Au LP, rien de tout cela … les collègues avaient abandonné la natation à la fois par manque de créneaux, de motivation de la part des élèves. Je suis vraiment persuadée que savoir nager ouvre une multitude de portes pour les loisirs … d’autant que Caen est à 10 km de la mer, et je ne pouvais accepter que mes élèves se privent de ça ! De plus, en LP, nous avons des élèves qui sont majoritairement en échec scolaire et je suis convaincue que l’on peut aider ces élèves à prendre confiance en eux et en l’École grâce aux APSA. Malgré le doute de mes collègues, j’ai donc œuvré pour récupérer des heures de natation. Aujourd’hui, tous les ans 8 à 9 classes de seconde vont à la piscine, avec un prolongement en 1ère et terminale dans le choix des menus. Et le taux d’absentéisme a fortement diminué.
EPS & S : par quoi as-tu commencé ?
J’ai essayé d’analyser les raisons pour lesquelles les élèves ne veulent pas venir à la piscine. Certain.es élèves sont catégoriques « c’est hors de question que j’aille à la piscine ». D’autres prétendent ne pas savoir nager alors qu’ensuite on s’aperçoit qu’ils ou elles savent, c’est seulement un argument pour ne pas venir à la piscine. D’autres ont réellement très peur, notamment les allophones, d’autres encore réclament un coach personnel… etc. Et ce n’est pas la note ou la sanction qui peut les faire changer d’avis ! Donc le premier défi à relever est que les élèves viennent à la piscine, condition pour qu’ensuite qu’ils et elles apprennent et progressent.
Ensuite, par un concours de circonstances, je me suis trouvée associée à un projet autour de la CP5, devenue le champs d’apprentissage CA 5, organisé par l’IPR de mon académie. J’ai donc bénéficié d’une formation sur le « savoir s’entrainer » en général et sur la natation en particulier. Des collègues m’ont aidée aussi. C’est ainsi qu’ensuite j’ai proposé différents projets qui me semblaient susceptibles de « séduire » les élèves de LP : l’aquagym, la nage avec palmes et le sauvetage. Bien sûr ces approches ont fait débat dans mon équipe EPS. L’aquagym, ce n’est pas de la natation ! Je dis « séduire » sciemment parce que ça reste un défi permanent d’attirer, de faire venir les élèves à la piscine. L’aquagym n’est pas un but en soi, mais s’ils ne viennent pas à la piscine, on n’a aucune chance qu’ils et elles s’intéressent à la nage avec palmes et au sauvetage ! ET on ne sait jamais si on va réussir…!
Je dis « séduire » sciemment parce que ça reste un défi permanent d’attirer, de faire venir les élèves à la piscine.
Dans le CA5 « savoir s’entraîner » je propose 2 APSA en alternance : musculation en salle et musculation dans l’eau en passant par l’aquagym. Et pour les séduire davantage, nous leur proposons une sortie à la mer, avec une épreuve de longe-côte.
EPS & S : En quoi consiste cette sortie et cette épreuve de longe-côte ?
C’est un évènement récréatif pour les élèves, qui a lieu en début d’année, lors d’une journée d’intégration par exemple, et qui se reproduit, si possible, en fin d’année. Toute la classe va à la mer en bus – c’est obligatoire et donc gratuit – en randonnée à pied ou à vélo (12 km) et fait une épreuve de longe-côte de 45 mn entre Ouistreham et Colleville-Montgomery.
Tout le monde a une combinaison (nous avons acheté 50 shortys) et chacun·e doit faire sa meilleure performance en marche aquatique sur 45 minutes, avec des intensités différentes (3 allures, comme on le retrouve en course de durée et en natation de durée). L’enjeu est de maintenir un effort sur un temps long. Le longe-côté ne suppose pas nécessairement de savoir nager, mais a minima de savoir-faire avec les vagues, d’expérimenter la « marche portée », de se laisser flotter et de crawler avec les bras. Je commence donc par un échauffement très progressif pour que tous les élèves entrent dans l’eau jusqu’aux genoux, puis jusqu’aux cuisses, puis jusqu’à la taille. Ce n’est pas évident si la mer est agitée, mais l’ensemble des élèves de toutes les classes jouent le jeu. C’est la plupart du temps un beau moment. Les élèves savent qu’ils et elles reviendront en fin d’année et qu’entre deux, nous irons à la piscine pour qu’ils et elles s’entraînent et fassent un choix de projet aquatique.
EPS & S : en quoi consiste l’entraînement à la piscine ?
Tout d’abord, je précise que la direction de la piscine est d’accord pour que les élèves puissent porter une combinaison. Au départ, il y a toujours 7 ou 8 élèves avec combinaisons, qui ensuite, les enlèvent parce que c’est trop chaud ! Les élèves choisissent leur projet : aquagym, nage avec palmes ou sauvetage. Je les laisse choisir, parce que j’ai trop peur de les perdre si je leur impose. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous les élèves n’ont pas le projet de savoir-nager et choisissent l’aqua-gym par facilité. Ensuite, je fais tout pour qu’ils et elles progressent : passer de l’aquagym à la nage avec palmes pour les débutant.es, et au sauvetage pour les nageurs-euses.
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EPS & S : cela suffit-il pour éviter les dispenses ?
Pas toujours ! certain.es s’arrangent pour ne pas être dans l’eau parce qu’il y a toujours le problème des règles, celui du rapport à l’effort, et diverses autres raisons de ne pas venir à la piscine. Nous avons mis en place une règle : les dispensé·es doivent obligatoirement venir à la piscine et ont des tâches de coach (observation/tutorat). C’est indispensable pour qu’ils ou elles soient présent·es. Cela correspond à la fois au désir d’avoir un « coach personnel » et ça donne une responsabilité à celle ou celui ne veut pas se mettre dans l’eau. Pour le prof, c’est un travail supplémentaire parce qu’il faut prévoir les fiches pour les coachs, bien prévoir le matériel à utiliser, mais cela vaut le coup. On a rarement plus de 3 coachs par séance. Les coachs n’allant pas dans l’eau ne sont pas évalué·es, mais étant présent·es, valident des compétences sociales transversales.
Mais tout ne marche pas toujours comme on voudrait, il y a parfois des « ratés ». Récemment, des garçons de la filière management et vente ont eu droit à un devoir écrit sur la natation pour cause d’absentéisme…mais nous souhaitons au maximum éviter les punitions. L’enjeu est de donner du sens aux apprentissages pour venir aux cours parce qu’ils et elles y trouvent du plaisir et y voient un intérêt.
D’autre part, tout ce système ne tient que parce que l’ensemble de l’équipe éducative (direction, CPE, infirmière) jouent le jeu.
… tout ce système ne tient que parce que l’ensemble de l’équipe éducative (direction, CPE, infirmière) jouent le jeu
Si l’infirmière n’est pas vigilante, de nombreuses filles peuvent se retrouver à l’infirmerie plutôt qu’à la piscine ! Si le CPE laisse passer, les profs d’EPS seul·es ne peuvent pas tenir.….D’autre part, la sortie à la mer donne souvent lieu à un travail interdisciplinaire (français/géo : connaitre le littoral..), ce qui fait sens pour construire des parcours de formation.
EPS & S : y a-t-il de la natation à l’UNSS ?
Oui, nous proposons un créneau UNSS aux élèves non-nageurs (en partenariat avec d’autres établissements). C’est indispensable pour les élèves allophones qui ont souvent des histoires personnelles tragiques. On vit de très belles choses avec ces élèves. Leur apprendre à nager est une victoire humaine ! Le créneau UNSS permet également aux élèves qui le souhaitent de passer l’attestation du savoir nager scolaire. Nous avons eu récemment une satisfaction : nous avons été la première équipe de lycée professionnel à accéder au championnat de France de sauvetage ! Ce qui représente là aussi une aventure pour ces élèves.
EPS & S : et en guide de conclusion ?
Il faut vraiment se dire que lutter contre les dispenses – pas seulement en natation – est un travail de longue haleine. Cela nécessite, à la fois, de la conviction profonde que nos élèves peuvent progresser, du travail d’équipe (équipe EPS et toute l’équipe éducative) et aussi de la formation. Je propose de l’accompagnement personnalisé pour les CAP en natation et un créneau A.S pour les non-nageurs demandeurs.
Je me suis aperçue que beaucoup de jeunes collègues ont du mal avec l’enseignement de la natation. Pour lutter contre la dispense, il faut oser « sortir de sa ligne d’eau », ne pas entrer par la voie royale (l’activité codifiée de fédération). Je pourrais faire du CA5 en petit bain et proposer un circuit training aquatique. Alors je sortirais de ma ligne d’eau mais le savoir nager ne serait pas utile. Mais j’ai toujours dans l’idée de revenir en natation et /ou en sauvetage au cours de leur formation en 3 ans. Je ne serai plus en CA5 mais en CA1 (natation longue) ou CA2 (Natation Sauvetage). « Sortir de sa ligne d’eau », c’est être inventif. Pour nos élèves de LP, ça a été indispensable.
Entretien réalisé par Claire Pontais et paru dans le Contrepied Hors série n°33, Oct 2023.