Retour sur une problématique mise en œuvre à l’INRP (1983-1995).
Entretien mené en 2017 par Claire Pontais, formatrice à l’INSPE de Saint Lô, et paru dans la revue ContrePied HS n° 18, juin 2017.
Le remarquable investissement personnel et professionnel de Jackie Marsenach sur le Volley-ball nous a conduit à l’interroger plus précisément sur sa démarche et ses enseignements, pour une transformation des pratiques enseignantes.
Tu as soutenu une thèse sur « Les pratiques pédagogiques des enseignants d’EPS. Tradition-innovation » en 1982 qui amorçait l’analyse du fonctionnement du système didactique. Puis tu as été nommée avec Robert Mérand au Département des Didactiques des disciplines de l’INRP. Quel était l’enjeu de ces recherches ?
La recherche fondatrice était une recherche sur les contenus et l’évaluation formative. L’enjeu de la seconde était d’identifier les pratiques usuelles des enseignants, de comprendre l’origine des « résistances » aux changements de pratiques pédagogiques et de faire des propositions de contenus d’enseignement pour permettre à tous les élèves d’accéder à la culture sportive proposée à l’école.
Cela se traduit par un premier livre « EPS quel enseignement ?», dans lequel nous mettions en perspective « l’EPS de demain ». La recherche concerne plusieurs APSA (athlétisme, gymnastique, GRS, Volley, APEX). C’est une recherche collaborative, mettant en relation chercheurs et enseignants, d’une ampleur jamais égalée depuis.
En volley-ball, ce qui s’enseignait majoritairement à l’époque se caractérisait, comme dans toutes les autres APSA, par un technicisme et un formalisme par rapport au sport de haut-niveau (nombreux exercices de passes face à face, très peu de temps accordé au jeu du non-réceptionneur, pas d’intention tactique, très peu de jeu, souvent 6c6). Passer à « l’EPS de demain » supposait de modifier à la fois la conception de l’APSA et de l’apprentissage (identifier les transformations, analyser les obstacles à l’apprentissage, poser des problèmes de volley-ball aux élèves qui ont du sens pour eux, leur permettre de s’approprier les savoirs mais aussi le processus de transformation de leur propre activité) et celle du rôle de l’enseignant dans la « dévolution » du problème aux élèves.
Quelles questions vous êtes-vous posées pour choisir la pratique proposée aux élèves ?
D’abord, pourquoi donc choisir pour l’EPS au collège le volley-ball ?
- Une raison anthropologique d’abord ; parce que le VB inventé de façon délibérée et à des fins éducatives (Morgan au Springfield collège) s’enracine dans les jeux traditionnels à forte connotation symbolique. Bernard Jeu souligne que le VB associe « les notions d’échange de balle qui voyage d’un camp à un autre et d’élévation, retrouvant plus nettement que dans d’autres sports, le rite primitif de l’objet que l’on lance vers le ciel ».
- Une raison éducative parce que c’est une pratique difficile nécessitant, par les techniques qu’elle impose, des remises en question fondamentales des déplacements usuels (forme et équilibration), de l’activité perceptive et de l’activité cognitive usuelles : problèmes de temps liés à la frappe de balle.
- Une raison pédagogique parce que c’est une activité qui dispose de nombreux ouvrages techniques et didactiques.
Quels contenus 1 enseigner dans un horaire restreint (8 séances) ?
La question essentielle est celle du « quoi apprendre ? », ensuite seulement vient celle du « comment ?». Que doivent s’approprier les élèves pour s’enrichir ?
Nous avons observé finement les élèves et identifié les obstacles à l’apprentissage : la frappe spontanée explosive, l’élève se focalise sur ses gestes et les aspects statiques du jeu (positions, placements), il suit le mouvement de la balle et ne se préoccupe pas du mouvement des joueurs, il est « en réaction » sans anticipation.
Nous avons proposé des thèmes d’étude et des contenus en conséquence :
- Thème 1 : la construction d’un équilibre vertical pour s’ajuster à la trajectoire de balle est un apprentissage « comportemental » d’ajustement d’une attitude au déplacement de la balle
- Thème 2 : la relation entre les deux réceptionneurs pour construire une attaque en 2 touches. Le réceptionneur doit prendre des indices pour lever la balle (pas nécessairement la faire avancer) pour que le partenaire puisse l’attaquer ou la conserver. Le non-réceptionneur, doit prendre des indices pour anticiper l’espace d’échange.
- Thème 3 : l’apprentissage d’une alternative qui est un apprentissage à forte composante cognitive. Pour le réceptionneur : ou « je sauve la balle » ou je la transmets dans une zone favorable d’attaque ». Pour le 2è joueur « ou je me contente de faire franchir le filet à la balle » ou « j’essaie de mettre l’adversaire en difficulté ».
Ces premiers apprentissages contiennent en puissance toutes les formes de jeu modernes y compris celles de la haute performance.
Ce qui était sans doute le plus novateur à l’époque est l’idée que c’est dans les déplacements que trouvent place les techniques de frappes de balle et les alternatives de jeu. Exemple pour le non-réceptionneur : dès qu’il a déterminé qu’il n’est pas réceptionneur, il doit amorcer un déplacement vers l’extérieur en attitude dynamique à réorienter en fonction de la situation concrète. L’image mentale qu’il doit construire est celle d’un cercle à tracer dans son ½ terrain. Le contenu à enseigner est donc un système de déplacements contenant tous les déplacements possibles et favorisant toutes les actions concrètes possibles.
Le contenu à enseigner est donc un système de déplacements contenant tous les déplacements possibles et favorisant toutes les actions concrètes possibles.
R.Mérand2, en BB, a nommé « langue du jeu » « ce système de signes permettant la communication entre partenaires, permettant aussi de rendre intelligible les actions et les choix ».
Concrètement, cela se traduit comment ?
Les contenus se sont traduits dans une situation fondamentale, au sens didactique du terme, c’est à dire organisée à partir des règles fondamentales de l’activité (deux équipes séparées par un filet, balle frappée, ni attrapée, ni tenue), à laquelle les élèves peuvent répondre avec les moyens dont ils disposent mais contenant aussi des contraintes leur imposant de se transformer.
- Un 2c2 terrain 10 à 12 m, (1/2 terrains carrés), filet haut : 2m10, 2m20 (au-dessus de la main d’un joueur bras levé); ballon léger, mise en jeu par un service ou une balle lancée depuis l’intérieur du terrain,.
- Réception-transmission à deux mains au-dessus de la tête (pas de manchettes).
Le livre « L’EPS au collège et volley-ball » justifie précisément cette situation et analyse « les incidents critiques », le comportement des élèves et leurs réflexions pendant 8 séances. Les interactions montrent que parfois, sous la « pression » des élèves, l’enseignant peut être amené, à son insu, à poursuivre des objectifs autres que ceux poursuivis au départ. Mais nous avons constaté aussi des progrès non négligeables, malgré une grande hétérogénéité de la classe.
Ces propositions ont depuis, été diffusées. Celles de Samuel Lepuissant, dans CP N°12 vont, me semble-t-il, dans le même sens. Il propose de mettre en perspective au collège, l’acquisition d’une motricité culturellement significative à travers la construction d’une activité de mouvements, de déplacements sans ballon, d’engagements dans l’espace libre et il plaide pour la mise en perspective d’un jeu en mouvement, d’une tonicité posturale, d’une anticipation posturale, d’une meilleure lecture des trajectoires de balle, d’une observation en vision périphérique etc . avec une consigne « ne jamais être à l’arrêt ».
Que retiens-tu de ce travail ?
Nous continuons à adhérer à la définition des contenus proposée dans les années 90 « les contenus, en EPS, sont les acquisitions par les élèves d’un ensemble de savoirs et d’actions spécifiques pour réaliser des transformations du système interactif : APS -activité corporelle-élève », signifiant par-là que, certes il faut développer des savoirs sur l’APS mais aussi sur l’activité qui sous-tend ces savoirs. Actuellement les recherches en STAPS ne fournissent pas aux enseignants les connaissances sur lesquelles ils pourraient s’appuyer et rendent, de ce fait, difficiles les évolutions nécessaires3.
Le dernier ouvrage de J.P Astolfi4 pose, nous semble-t-il, le problème des contenus d’enseignement de façon particulièrement pertinente. On ne peut réduire « ce qu’il faut enseigner à tous (la culture commune) à un minimum basique » habituellement conçu en éliminant ce qui paraît trop complexe. La culture commune doit, au contraire, être envisagée comme « un tremplin qui n’esquive pas l’entrée dans la complexité ». Nos propositions s’inscrivent dans cette perspective, nous proposons d’enseigner, non pas un morceau de VB, mais un « creuset » qui contient tout le VB y compris le plus moderne.
Propos recueillis par Claire Pontais et parus dans la revue ContrePied HS n° 18, juin 2017.
- Nous parlons de contenus à enseigner plutôt que de « savoirs à enseigner » parce que nous sommes, en EPS devant un corps de savoirs non stabilisé, que l’on vise des apprentissages instrumentaux dans lesquels les interactions enseignants-élèves sont essentielles et que de ce fait, ce qui est transmis est un mélange de techniques, d’aides adaptées à l’instant présent, d’adaptations des conditions de réalisations, d’encouragements.↩
- R.Mérand (sous la direction de) Basket-ball : lancer ou circuler, INRP, rencontres pédagogiques, N°28, 1990.↩
- Signalons tout de même une recherche qui montre que l’on ne peut plus en rester à la description même très fine de ce que font les joueurs de haut-niveau : B.Grosgeorges, S.Farcy : l’agilité dans les sports collectifs, 4trainer éditions, 2016↩
- J.P Astolfi : la saveur des savoirs, éditions ESF, 2008↩