Contribution signée Romuald Papot, LP Réaumur (Poitiers)
L’actualité nous invite à circonscrire la question de l’EPS d’aujourd’hui à demain à un pan souvent mal connu de l’institution scolaire, celui de la voie professionnelle. Comme leurs collègues professeurs de LP ou d’atelier, les enseignants d’EPS de lycées professionnels sont actuellement touchés par un projet de réforme. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs manifesté leur opposition à ce dernier, considérant que le traitement qu’il réserve à cette population d’élèves majoritairement issus de milieux populaires porte atteinte aux valeurs d’émancipation, d’égalité et de citoyenneté.
En quoi cette réforme spécifique à la voie professionnelle peut-elle nous éclairer sur la thématique proposée ici qui concerne les enjeux liés à l’évolution de l’EPS ? Il est d’abord intéressant de souligner que la volonté de transformer les lycées professionnels selon le modèle de l’apprentissage et de transférer certaines prérogatives du ministère de l’éducation nationale à celui du travail en dit long. La mesure phare qui propose d’augmenter le temps actuel des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) de 50 % pour le concentrer au niveau des classes de Terminales (CAP ou BAC PRO) s’inscrit dans cette logique. La moitié de ces années serait ainsi passée loin de l’établissement scolaire et aurait pour avantage de mettre à disposition des entreprises une main d’œuvre bon marché (il est question que ces élèves soient rétribués financièrement), notamment celles qui rencontrent actuellement des difficultés de recrutement. On comprend qu’avec cette diminution drastique des heures d’enseignement général ce nouveau dispositif rendrait plus hypothétique l’accès à des études supérieures déjà difficiles à poursuivre aujourd’hui. De plus, comme s’il voulait faire passer la pilule et éviter l’unanimité des professeurs d’enseignement généraux contre lui, ce projet de réforme réactive la stratégie qui consiste à distinguer les disciplines dites « fondamentales » (mathématiques, français) des autres.
Le décor étant planté, la question de la porosité entre l’école et le monde du travail mérite d’être approfondie. Dans une perspective pédagogique, il existe en effet un antagonisme entre les activités soumises aux urgences du monde économique (où tout se paye) et celles qui s’effectuent dans un cadre protégé comme celui de l’école (où l’erreur peut être encouragée et source de progrès). Le plus souvent, les projets politiques les plus conservateurs associent à cette séparation des mondes l’idée qu’il faut valoriser le travail manuel, en l’opposant implicitement au travail intellectuel. Il est toujours intéressant de voir avec quelle conviction les gens de pouvoir vantent les vertus du travail manuel pour les enfants des autres.
Il est toujours intéressant de voir avec quelle conviction les gens de pouvoir vantent les vertus du travail manuel pour les enfants des autres.
Nous voudrions nous arrêter sur cette dichotomie entre « pratique » et « théorie » tant elle nous semble heuristique dans le cadre d’une réflexion sur l’EPS d’aujourd’hui et de demain. De nombreux travaux ont montré que la capacité des élèves à prendre de la distance par rapport à l’action, ce qu’il est convenu d’appeler dans un langage savant la « secondarisation » des savoirs, était à la fois socialement et sexuellement inégale.
La « secondarisation » des savoirs est la capacité des élèves à prendre de la distance par rapport à l’action.
Statistiquement, ce sont les filles des milieux aisés qui réussissent le mieux cet exercice dans le secondaire. C’est la raison pour laquelle certaines pratiques qui mobilisent plus cette prise de recul réduisent les inégalités de réussite entre filles et garçons en EPS. Ces recherches permettent de prendre conscience du fait qu’une EPS scolaire de qualité et soucieuse des valeurs qu’elle défend dépend d’un ensemble de conditions de réalisation : effectifs par classe selon le profil des établissements, mixité sociale et sexuée, reconnaissance de l’EPS comme discipline d’enseignement, institutionnalisation des STAPS.
En la réduisant à une discipline non fondamentale synonyme de vulgaire occupation, le pouvoir actuel réactive une conception conservatrice de l’EPS. Il nie plus de 40 ans de son histoire qui a consisté à rechercher comment soumettre l’étude des APSA à la sagacité des élèves. Car c’est bien à partir des problèmes que ces dernières peuvent leur poser selon leur niveau de développement qu’une articulation entre l’action et la réflexion est possible (processus de problématisation). Contrairement à cela, et plutôt que d’éclairer le plus grand nombre, la politique menée aujourd’hui préfère relayer les préjugés et le sens commun qui font la part belle à l’action seule et confondent encore trop souvent l’EPS avec le mouvement pur et simple. Cette représentation des choses est à l’image de ce qui s’imposera dès demain aux moins aisés d’entre nous si personne ne s’y oppose : la valorisation d’un type d’activité qui minimise le loisir de la réflexion et limite l’accès de certains à des savoirs élaborés et à la pensée critique. Dans un grand élan de soumission aux forces économiques qui ne visent qu’à améliorer la synergie entre les différents bassins locaux d’emplois et les formations professionnelles, nos gouvernants particularisent les conditions d’accès au particulier plutôt que d’ « universaliser les conditions d’accès à l’universel » (P.Bourdieu).
L’EPS de demain : Émancipation, égalité, citoyenneté
Nous espérons que cette courte réflexion permet de mieux comprendre quels sont les enjeux d’une lutte à travers laquelle se joue aussi et dès aujourd’hui l’EPS de demain : Émancipation, égalité,
citoyenneté