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Claire Sackepey enseigne au collège de Quétigny dans la région dijonnaise. Établissement d’environ 700 élèves d’origines sociales multiples. A partir de ses expériences passées en REP, elle programme l’Ultimate dès 2015. Son initiative est vite suivie par ses collègues, facilitant au plan de l’occupation des installations et apportant des réponses aux difficultés ressenties dans l’enseignement d’autres sports collectifs. L’entretien porte essentiellement sur la question cruciale du démarquage tant dans le jeu court que dans le jeu long.

Quand j’aborde l’Ultimate, les élèves trouvent d’abord que ce n’est pas sérieux. Mais la curiosité l’emporte et très vite ils « entrent dedans », toutes et tous. Aujourd’hui il me semble que se développe une vraie culture autour de ce sport, autant en EPS qu’à l’UNSS. Certain.es de mes élèves font le choix d’une orientation vers un lycée des environs qui propose une option Ultimate. Je crois que ce qui les accroche dans ce sport, c’est un état d’esprit d’entraide entre les âges, les sexes, les niveaux, facilitant ainsi l’entrée de tous dans le jeu. Ensuite c’est la dépense énergétique intense, même à petit niveau. Elle est indispensable pour faire progresser le disque, puisqu’on ne peut pas marcher ni dribler, et qu’il faut impérativement faire une passe à un partenaire pour marquer (on ne peut pas marquer seul. Également, les sensations uniques de cette activité, notamment face à une trajectoire incertaine du disque, un peu magique qui devient source de surprise et de plaisir. Il y a enfin un sentiment de réussite partagé : on marque souvent et tous et toutes peuvent marquer, ce n’est pas forcément le cas dans d’autres sport-co. En revanche, il faut souligner que l’ultimate se caractérise par une complexité tant technique que tactique et progresser nécessite de réels apprentissages.

Pour un premier cycle de collège

L’enseignant retrouve les thèmes classiques aux différents sports co : conservation, progression, rupture de l’alignement, marquage individuel etc… . Mais ce qui est spécifique en l’Ultimate, au-delà de la manipulation du disque, ce sont notamment les formes de déplacements et de démarquage. D’ailleurs parfois, dans un premier temps au moins, les bons élèves en sports co sont désorientés par ce jeu.

Le jeu de la passe à 10 et ses variantes

Je propose d’abord de multiples jeux de passes à dix, en variant les distances, les vitesses, les espace etc. Ils vont permettre l’acquisition rapide d’une manipulation suffisante du disque (lancer en revers et attraper « crocodile ») qui souvent, et même si cela paraît surprenant, est plus aisée que la manipulation du ballon. 

Dans ces jeux de passe on va voir se manifester des comportements typiques, en courses lentes en arrondi, des sautillements en paquet autour du porteur, ou dans l’en-but pour réclamer le disque, des alignements sur une trajectoire supposée et prévisible. Il devient alors nécessaire d’aborder la thématique du démarquage. Dans le jeu court sortir de l’alignement en réalisant des appels en sprintant, en appui, en soutien,  avec des variations en termes d’intensité et de direction.

L’appel en appui c’est une course en sprintant vers le porteur, les mains en avant pour recevoir le disque, la prise d’information visuelle restant simple. Il est important sur ce type de démarquage que les joueurs comprennent l’intérêt de se placer à 5-10m du lanceur afin de pouvoir se déplacer dans sa direction. Dans ce cas, c’est la passe qui déclenche l’appel. Ce sera l’inverse pour le jeu long.

Pour rompre avec les comportements classiques précédemment évoqués, il faut engager rapidement (dès la 2e  séance) des situations tactico-techniques, à reprendre régulièrement dans une séquence de 10 séances. Par exemple le jeu des cerceaux.

Le jeu des cerceaux

Je place 6 cerceaux qui sont répartis sur un ½ terrain de HB. Les élèves jouent à 4 défenseurs contre 4 attaquants.

Les règles sont les suivantes :

  • pas de marcher ;
  • pas de contact ;
  • une interception équivaut à la perte du disque ;
  • pour marquer il faut avoir un pied dans le cerceau ;
  • la défense bloque provisoirement la cible en mettant un pied dans le cerceau et en interceptant le disque ;
  • sorties de terrain ;
  • et auto-arbitrage sur ces règles.
  • Enfin, et c’est important, la défense individuelle est mise en place.

Formes de groupements : je mixte les équipes, garçons et filles ; je fais attention à répartir les gabarits ainsi que les qualités physiques, la course rapide est un atout, le facteur physique principal à ce niveau.

Le but du jeu est de parvenir à faire une passe à un partenaire qui a placé un pied dans un cerceau, sans se faire intercepter, et marquer ainsi le point. Le cerceau constituant la zone de marque.

Schéma 1

Au début, les attaquants se placent dans les cerceaux et demandent le disque en appelant, en sautillant, cette prise de risque facilite l’interception des défenseurs.  

Afin de faire évoluer ces comportements il faut insister sur le marquage individuel ce qui contraint les attaquants à se déplacer et à faire des appels relais facilitant la circulation du disque sans marquer. Mais attention à ne pas amplifier cette contrainte trop tôt. L’introduction de la règle des 10’’, temps autorisé pour passer, provoque des appels aussi en soutien (passe en arrière ou « dump », ou passe sur le côté – « swing »), les passes relais, et induit des déplacements variés et des accélérations pour surprendre les défenseurs. Elle permet d’aller vers des déplacements plus efficaces jusqu’à la marque avec le pied dans la cible. Une fois cette dynamique enclenchée, il est intéressant de complexifier cette situation avec d’autres variables didactiques.

Il est par exemple possible de jouer sur la taille et le nombre de cerceaux et leur écartement. L’espace de jeu, plus ou moins important génère des déplacements plus longs ; le nombre de joueurs, facilite ou complexifie les déplacements et l’effort de démarquage.

Ces transformations sont relativement rapides, donc motivantes, mais demandent à être confirmées.

Appel contre appel (« cut », « contre cut »)

L’objectif est la construction du démarquage dans l’en-but. Je propose un Jeu à 3C1 en 2’, dans un jeu de passe de zone à zone.

Il s’agit de confirmer le passage de l’appel prévisible, attirant en même temps le défenseur, à un démarquage explosif, rompant avec la trajectoire initiale du déplacement. A ce stade, un changement franc de direction peut suffire.

Je place 3 zones, avec 2 attaquants dans une zone, le 3e dans l’en-but séparé par celle du défenseur.

En se passant le disque en passes courtes dans une phase statique, les attaquants doivent attirer latéralement le défenseur dans un côté de la zone. Le « catcheur » doit à un moment qu’il choisit faire un démarrage explosif latéral pour surprendre le défenseur et ainsi attraper le disque dans sa zone ; il doit parfois s’y reprendre à plusieurs reprises. Je parle alors de « travailler » son défenseur. Je reprends ainsi, comme dans le jeu précédent la possibilité des passes courtes avant de chercher à atteindre la cible. Il faut aller vite et marquer le plus de points possibles en 2’, la situation étant très facilitante pour les attaquants.

Schéma 2

Le jeu des matchs à thème à 3C3 avec cônes

Enfin, pour ce cycle, mais à un niveau plus avancé, j’ouvre sur le travail des passes plus longues. Il est nécessaire d’introduire du jeu long afin de créer des espaces libres en profondeur et organiser le placement tactique du « stack » (organisation offensive). A ce moment, l’appel dans le dos du défenseur avec 2-3m d’avance est une situation favorable pour lancer une « longue ». C’est l’appel qui déclenche la passe au contraire de ce qui précède. Nous sommes dans un jeu d’anticipation qui commence souvent par une complicité visuelle. Les déplacements en courbes sont quasi supprimés et j’insiste sur des déplacements avec changement brutal de direction avec des angles de 30 à 80 degrés. Pour garder un avantage sur le défenseur, les élèves doivent créer de l’incertitude. C’est la seconde d’avance qui permettra à l’attaquant de recevoir le disque.

Dans cette situation, des cônes sont répartis sur les côtés du terrain. L’attaquant doit aller toucher un plot de son choix avant de recevoir le disque, et son défenseur direct doit en faire de même, ce qui laisse une légère avance à l’attaquant. Du mouvement est ainsi créé, les attaquants se retrouvent en position d’appui lors du contre-appel. Ils peuvent proposer une solution dans l’espace libre au porteur de disque. Cette avance provoquée par l’attaquant peut permettre l’envoi de passes longues, dans le dos du défenseur, dans un timing bien précis. En une seule passe, le bloc offensif peut remonter d’au moins 30m à bon niveau.

Ce type de démarquage très en profondeur, plus spectaculaire, est attirant pour les élèves qui parfois en abusent, créant ainsi beaucoup de pertes de disques. J’insiste beaucoup sur l’alternance des deux types de démarquage (court et long).

Schéma 3

Le démarquage particulier en Ultimate est influencé par la spécificité de la cible (sur toute la largeur),  et les trajectoires variées qu’il est possible de réaliser.

Dans le duel pour recevoir le disque, ta seule chance c’est dans l’espace juste avant ton défenseur, ou juste après.

Cet article est paru dans le numéro hors-série n°32 de la revue ContrePied

Revue Contrepied hors-série n°32 – Avr. 2023

L’ultimate en culture

Activité dotée d’un halo, fugacement anti-compétitive, anti-normes, un peu loin des activités les plus socialement ancrées, presque désignée comme activité scolaire par « excellence ». …

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