Une histoire de l’éducation physique dans les instituts médico-éducatifs (1838-1909).

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De la gymnastique médicale à l’éducation physique scolaire

Ce nouvel ouvrage de Pascal Brier est le fruit d’une recherche universitaire qui couronne un long travail de pionnier dans le champ de l’éducation physique adaptée. Dans le contexte actuel d’une éducation physique scolaire se voulant inclusive, l’ouvrage de Pascal Brier éclaire fort opportunément, le rapport existant entre sciences médicales et et sciences de l’éducation physique au 19e siècle et au début du 20e siècle : rapports de dépendance, rapports de subordination aussi …

Il comble ainsi un grand vide. Ce premier point est original, il est aussi particulièrement novateur et met, en effet, l’accent sur la relation entre la réforme hospitalière et médicale et l’apparition de la gymnastique au milieu du 19e siècle dans le contexte de l’école. Ce paramètre semble, à plus d’un titre, déterminant pour la spécialisation de la gymnastique devenant alors médicale. L’historien, l’étudiant en STAPS et le professionnel de l’éducation physique trouveront dans ce travail un grand nombre d’informations pertinentes, des éléments déterminants sur la genèse et les conditions d’apparition des différentes formes de gymnastique.

Une première confirmation pour nous dans ce travail universitaire est la mise en évidence au cours du 19e siècle de deux secteurs peu perméables entre eux, à savoir le secteur médical d’une part, et le secteur pédagogique qui commence à ce mettre en place d’autre part. Peut-être pourrions-nous dire déjà entre la maladie et le handicap, c’est à dire entre quelque chose qui se soigne, la maladie, et quelque chose d’incurable et stable, le handicap, avec son cortège de différents professionnels, s’opposant sur différentes conceptions. Outre celles que nous avions nous-mêmes mises en évidence comme celles pour les enfants sourds par exemple (Séguillon, 2017), ce travail nous dévoile la pénétration de la gymnastique dans les champs médicaux.
Pascal Brier met en évidence les rapports de filiation entre les apports au 18e siècle par des personnages tels que Nicolas Andry à d’autres tels que Napoléon Laisné, personnage clé lors des mises en œuvre d’une gymnastique en milieu hospitalier au milieu du 19e siècle à Paris notamment. Ces gymnastiques prennent pour nom « gymnastique rationnelle et hygiénique » pour les enfants scrofuleux, gymnastique « kinésithérapique » pour les enfants choréiques, gymnastique « chirurgico-orthopédique » pour les enfants difformes… sans oublier la « gymnastique médico-pédagogique » asilaire pour les enfants idiots.
Peut-être y manque-t-il les apports théoriques au moins d’un Philippe Tissié sur ce qu’il appelle alors la psychodynamie, précurseur, à plus d’un titre, de la psychomotricité et de l’éducation psychomotrice qui se développeront à partir des années 1950.

A côté de ces gymnastiques, de nouvelles pratiques physiques rééducatives vont se construire à partir du tout début du 19e siècle, notamment à partir de l’expérience de rééducation de Victor l’enfant dit sauvage de l’Aveyron, rééduqué par le docteur Jean Marc Gaspard Itard.
Cette première rééducation va servir de creuset à de nouvelles expériences, notamment celle d’Edouard Seguin qui constitue la colonne vertébrale de la deuxième partie de cet ouvrage. Celle-ci porte, en effet, sur la nouvelle gymnastique asilaire pour les enfants idiots. Peut-être un peu trop évocatrice, elle a le mérite de montrer en détail « l’âge d’or » de cette gymnastique dans la deuxième moitié du 19e siècle. Elle participe au traitement moral de l’enfant idiot. Elle prend même dans certains cas, une place centrale dans les conceptions de Désiré Magloire Bourneville à la fin de ce siècle. Une pédagogie adaptée est alors pensée et appliquée dans des établissements spécialisés. Peut-être y manque-t-il également les apports de la gymnastique dite « suédoise », gymnastique qui pendant plus de 50 ans sera la gymnastique de référence dans les établissements scolaires de l’Instruction Publique et servira par ailleurs à l’édification de la kinésithérapie à la sortie de la seconde guerre mondiale.

La troisième partie porte spécifiquement sur cette gymnastique, son apparition et son abandon. C’est peut-être là, dans cette partie que porte l’essentiel de l’originalité de ce travail me semble-t-il. En effet, nous nous sommes longtemps posé la question de la filiation entre les différentes conceptions, les différentes réalisations au cour de la seconde partie du 19e siècle dans le milieu asilaire adapté d’une part et les pratiques physiques adaptées après la promulgation de la loi de 1909 dans le futur milieu médicosocial et sanitaire qui verra le jour en France après la seconde guerre mondiale d’autre part.

Cet ouvrage pose ainsi une série de questions et notamment celle des conditions de la disparition de l’éducation physique adaptée alors que l’enseignement spécial se met en place en France, système concurrentiel à bien des égards à celui de l’éducation nationale alors Instruction Publique.

Ainsi, si l’émergence de cette gymnastique est bien concomitante de la réforme hospitalière et de la structuration du champ psychiatrique, qu’en est-il des conditions de sa disparition, des conditions institutionnelles en particulier ?
Cette disparition était-t-elle inévitable au regard du contexte de l’époque entre instruction d’une part et éducation d’autre part ?
Y avait-il des alternatives possibles notamment au regard des différents protagonistes du champ spécifique de l’éducation spécialisée et de l’enseignement adapté de l’époque ?

Ces interrogations demeurent aujourd’hui dans le contexte de l’école inclusive qui veut que tous les élèves soient scolarisés au plus près de leur domicile, au sein d’une école de la République rénovée, une école accueillante ouverte à toutes et tous.

Coordonnées de l’ouvrage

Une histoire de l’éducation physique dans les instituts médico-éducatifs (1838-1909). De la gymnastique médicale à l’éducation physique scolaire de Pascal Brier (2019). Presses Universitaires de Paris Nanterre / INS HEA. 23 €. 200 avenue de la République. 92100 Nanterre. www.pressesparisnanterre.fr

Didier Séguillon. Enseignant d’EPS. Enseignant / Formateur / Chercheur à l’UFR STAPS de l’Université de Paris Nanterre.