Une pratique partagée, handi-valide, intergénérationnelle et familiale

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Dany Balzer, professeur d’EPS aujourd’hui retraitée, présente l’AHVVES (Association Handicap Valide Vivre Ensemble Solidaire)1, une association qu’elle préside et qui est ouverte à une grande diversité de personnes, d’activités physiques sportives et artistiques, et de partenaires.

Quelle est l’origine de l’association ?

Elle vient du souhait d’anciens élèves, en situation de handicap et valides, de poursuivre le projet Handi-EPS dans lequel ils s’étaient investis. Ce projet Handi-EPS est né en 1995 au collège Jean Rostand, à Quetigny, où j’enseignais. Pour les collégiens présentant une déficience motrice, il a donné lieu, au-delà de leur participation aux cours d’EPS avec leur classe, à une séance hebdomadaire qui leur était destinée mais qui était ouverte aux élèves valides volontaires, selon une forme d’intégration que l’on a qualifiée d’« à l’envers » .

Avec la création de l’AHVVES, le projet s’est ouvert à d’autres jeunes et aux familles, et les ambitions se sont accrues.

Comment caractériser l’AHVVES ?

C’est une association loi 1901, créée en 2001 et reconnue d’intérêt général. Elle est agréée par le ministère en charge de la Jeunesse et des Sports et affiliée à l’Ufolep avec un label « accueil handicaps ». Elle est ouverte à tous et entend favoriser la participation sociale des personnes en situation de handicap par des activités physiques sportives et artistiques, notamment en suscitant leur rencontre avec des personnes valides.

Actuellement, plus de quatre-vingt familles adhérent à l’AHVVES, soit environ 180 personnes (de 2 ans à plus de 80 ans), dont près d’une quarantaine en situation de handicap. Quant au type de handicap, on a surtout des personnes présentant une déficience motrice ; à un degré moindre des personnes avec une déficience intellectuelle ou une déficience visuelle, et quelques personnes porteuses d’une maladie orpheline.

Parmi les participants à nos activités, nous avons un noyau de familles fidèles depuis longtemps, mais également des personnes provenant d’institutions des environs, par exemple d’une Maison Familiale et Rurale et d’une MAS-FAM2.

Quelles sont les activités pratiquées ?

On a plusieurs entrées possibles dans nos activités : des séances hebdomadaires, des mini-séjours, des événements…

Tous les lundis soir, de 17h30 à 19h00, on propose une pratique multisports sous forme de cycles. Actuellement, le tir à l’arc, la sarbacane, la boccia, le badminton, le tennis de table, la lutte, la course d’orientation, le handensemble (joueurs en fauteuil), le kinball et la danse sont le plus souvent choisis parmi bien d’autres activités.

Parmi nos actions ponctuelles, nous organisons chaque année, avec l’association Dijon Roller, une randonnée nocturne dans la ville de Dijon, ouverte à tous, valides ou non, sur des engins à roues ou roulettes. Des personnes en rollers peuvent pousser des fauteuils, d’autres viennent en vélo ou avec un vélo à main (hand-bike), ou encore se déplacent avec un tandem mixte, handi/valide.

Nous avons aussi une soirée escalade, avec un club qui a des murs « positifs ». C’est pour nos adhérents l’opportunité de découvrir ce sport dans des conditions favorables et de décider éventuellement d’en prolonger la pratique. Nous avons également les « mercredis de l’UNSS », que l’on organise avec cette fédération. On accueille à cette occasion une centaine de jeunes scolarisés dans le secondaire ou qui relèvent des structures extrascolaires de Quetigny. Les activités proposées varient plus ou moins selon les années. En plus de celles pratiquées le lundi soir, de nouvelles sont abordées, comme l’escrime, l’escalade, la plongée en piscine, le canoë-kayak, la voile… Sont aussi proposés des parcours de sensibilisation au handicap, en plaçant des valides en situation de handicap en fauteuil roulant ou avec des lunettes qui simulent différents types de déficience visuelle.

De leur côté, les mini-séjours sont pour l’association et les familles adhérentes un temps fort, en termes de pratiques et de sociabilité. On organise deux week-ends autour d’activités équestres (calèche, sulky, voltige, promenade, manège…) et de soirées conviviales, ainsi que des week-ends à la montagne, l’hiver et l’été, qui sont pour tous une expérience sportive et humaine marquante.

Par ailleurs, nous participons à de nombreux événements locaux, sportifs ou festifs, à des actions de sensibilisation au handicap, notamment en direction des écoles primaires. Nous avons aussi participé à des projets internationaux débouchant sur des voyages hors de nos frontières ou sur l’accueil de partenaires étrangers.

Quelles sont les adaptations qui permettent aux personnes en situation de handicap d’accéder à des activités en montagne, l’hiver et l’été ?

En hiver, on utilise des tandemskis (conçus pour des personnes sans autonomie physique suffisante : un pilote conduit l’engin), et des kartskis (conçus pour skier en autonomie), destinés aux personnes pouvant mobiliser leurs membres supérieurs mais n’ayant pas assez d’équilibre pour skier en uniski ou dualski. Avec un kartski, le skieur conduit ses skis grâce à deux poignées prolongeant les bâtons fixés chacun sur un ski. Elles permettent de gérer la direction et la vitesse. À défaut d’une bonne possibilité de préhension, on relie la main défaillante à la poignée avec un velcro. Un skieur valide peut assurer la sécurité avec une ligne de vie attachée au kartski.

L’été, on recourt à des quadrix (fauteuils tout terrain), qui permettent d’emprunter des chemins et des sentiers de montagne de façon autonome, et des cimgo, équivalents du tandemski, pour l’été.

Au-delà des engins existants, on bénéficie également de solutions astucieuses conçues avec Loisirs Assis Évasion, une association de Combloux. Par exemple, pour permettre à un jeune de descendre en quadrix, un pilote de cette association conduit un cimgo relié par une corde au quadrix. De ce fait, le pilote peut gérer à distance une éventuelle bascule du quadrix dans la pente. Ce qui a permis à des jeunes de tester en confiance le quadrix, et maintenant ils descendent de façon autonome, accompagnés par un moniteur en VTT.

Les activités pratiquées, à dominante loisir, ont-elles permis aux personnes en situation de handicap de progresser ?

Sans aucun doute. Au badminton, par exemple, certains jeunes ont beaucoup progressé. Ils ont commencé avec un ballon de baudruche, et maintenant ils sont passés au volant. On peut citer aussi les activités à la montagne, qui donnent lieu à des progrès spectaculaires. On a ainsi plusieurs jeunes dont on n’aurait jamais pensé qu’ils arrivent à utiliser des engins impliquant un fonctionnement autonome, comme le quadrix et le kartski. Je pense en particulier à un jeune : quand il avait demandé à faire du kartski, les parents étaient « fous » ! On a fait en sorte qu’ils ne descendent pas en même temps que lui. Il faut dire que c’est un jeune IMC, en fauteuil, qui a des troubles visuels et des gestes explosifs, alors que pour conduire un kartski il faut agir en douceur… Eh bien il a réussi !

Les progrès sont souvent liés à une confiance en soi et une autonomie accrues. Les jeunes ne sont plus seulement participants, ils deviennent aussi demandeurs, alors qu’avant on n’avait pas ce genre de profil : ils n’exprimaient pas leurs préférences. Maintenant, ils n’hésitent plus à nous dire : « je préférerais faire ça, ou continuer ça ». Et s’ils ont une difficulté ils vont l’exprimer.

Avez-vous établi des liens avec des associations ordinaires, tels qu’elles accueillent maintenant des personnes en situation de handicap pour pratiquer des APSA ?

La sensibilisation au handicap est pour l’AHVVES une dimension importante de son projet. Pour favoriser l’ouverture des structures valides à un public élargi, nous participons régulièrement à « Jouons de nos différences », une journée à l’initiative du Centre communal d’action sociale de Dijon, en partenariat avec les associations locales, et nous organisons deux soirées par an baptisées « Je vous invite ce soir ». À cette occasion, l’AHVVES et ses partenaires animent différents ateliers d’activités physiques sportives et artistiques. C’est un moment d’échange et de découverte autour d’ateliers de pratiques spécifiques au handicap mais aussi de pratiques « ordinaires » adaptées à tous.

Ces rencontres inter-associatives débouchent parfois sur des collaborations fructueuses. Elles ont permis notamment de rencontrer le club Dijon Tennis de table, qui anime un cycle de tennis de table le lundi, et le club Dijon Roller, avec qui nous organisons désormais un évènement annuel dans Dijon. Elles ont été aussi le point de départ d’un travail en commun, valides/handis, avec un groupe folklorique qui va venir avec nous pendant plusieurs semaines, le lundi. J’ajoute que des jeunes en situation de handicap sont désormais accueillis dans l’association de djembé So Kono, jusqu’à être inclus à certains moments d’un spectacle dans un groupe de professionnels. Enfin, des adhérents de l’AHVVES se sont licenciés dans des associations « ordinaires » en tir à l’arc, en randonnée…

De quels moyens disposez-vous pour fonctionner ?

Notre fonctionnement repose majoritairement sur le bénévolat, une mutualisation de moyens grâce à un partenariat local actif, un contrat de moyens et d’objectifs avec la ville de Quetigny, le soutien du CNDS, et sur des subventions diverses, des dons et des ventes. On a pu ainsi acheter le matériel nécessaire.

On dispose aussi d’un matériel conçu par des étudiants en Génie mécanique et productique de l’IUT de Dijon. C’est un vélo tandem particulier, pensé pour la pratique côte à côte d’une personne valide et d’une personne « handi ». L’une pédale normalement, avec les pieds, tandis que l’autre actionne manuellement le mécanisme d’entraînement. Cet engin, utilisé notamment lors de la randonnée Dijon roller, est le produit d’un projet né d’une rencontre avec un professeur de l’IUT et ses étudiants venus à l’une de nos actions de sensibilisation au handicap.

Parmi les moyens humains dont nous disposons, et en plus de nos adhérents et partenaires bénévoles, les étudiants de l’UFRSTAPS, avec qui nous avons une convention, sont précieux. Le lundi soir, ils contribuent à l’animation des activités aux côtés de profs d’EPS maintenant retraités : Jean-Jacques Balzer et moi-même.

À la montagne, nous disposons des ressources d’une association locale (à Combloux), Loisirs Assis Evasion. Entre autres, elle met gracieusement à notre disposition des engins dont la conduite nécessite une formation pour obtenir un brevet de pilote. Ainsi, dix membres de l’AHVVES ont été formés comme pilotes de Cimgo et trois en tant que pilotes de tandemski, ce qui diminue le coût des prestations.

Qu’est-ce qui a pu amener des jeunes valides et des familles à s’engager dans des activités partagées avec des personnes en situation de handicap ?

Parmi les jeunes valides actuellement licenciés, certains participaient déjà aux activités d’Handi-EPS, et ils ont continué leur engagement dans le cadre de l’AHVVES. Ce qui les a conduit à ces pratiques partagées, c’est à la fois un intérêt pour les activités proposées et le souhait de se retrouver avec des camarades en situation de handicap avec qui des liens d’amitié avaient commencé à se nouer au collège. Par ailleurs, l’engagement bénévole de bon nombre d’adhérents dans un projet commun donne lieu à une valorisation des compétences qu’ils y manifestent.

Quant aux familles, plus de la moitié de celles qui sont inscrites à l’association ne sont pas directement concernées par le handicap. Certaines sont amies avec celles qui le sont. Elles trouvent là un terrain pour être ensemble autour de pratiques conviviales. Et la rencontre avec de nouvelles familles élargit les cercles d’amitié : des familles qui se sont côtoyées dans le cadre de l’association se retrouvent en dehors.

Pour ce qui est des familles dont un enfant est en situation de handicap, dès lors que l’association a été créée on a vu des parents qui accompagnaient leurs enfants rester durant les séances du lundi, puis, peu à peu, participer, et tout s’est enchaîné naturellement. Une autre raison de la participation de ces familles tient à ce qui peut les distinguer des familles « ordinaires » : elles sont souvent confrontées à un quotidien très prenant, tel qu’elles se retrouvent plus ou moins isolées. Le fait que leurs enfants pratiquaient une activité, c’était déjà une ouverture vers l’extérieur, qui a pu se prolonger en leur permettant d’accéder à des expériences qu’elles ne s’étaient pas permises jusque là. On a eu des parents qui n’étaient jamais allés à la montagne, n’avaient jamais dormi à l’extérieur avec leurs enfants. Elles n’osaient pas !

Il faut souligner la pérennité de l’engagement des familles, dont certaines participent régulièrement à nos activités et séjours depuis plus de dix ans, et le plaisir manifeste de partager une même activité riche d’émotions. Les parents, comme les frères et sœurs des enfants en situation de handicap, expérimentent volontiers des engins spécifiques qui ne sont pas sans procurer de belles sensations à la montagne. Le plus souvent, chacun avec l’engin le mieux adapté à ses possibilités, des pentes sont descendues en groupe. L’été, les uns sont en VTT, d’autres en cimgo ou en quadrix ; l’hiver, que ce soit en ski, en tandemski ou en kartski, tous et toutes éprouvent ensemble le plaisir de la glisse dans un environnement stimulant.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Garel. Il est un supplément électronique au Contrepied HS N°12 – EPS, Sport et handicap – avril 2015

  1. Voir le site de l’association
  2. Les maisons d’accueil spécialisé (MAS) et les foyers d’accueil médicalisé (FAM) sont des structures d’hébergement et de soins accueillant des adultes dont les difficultés les rendent inaptes à réaliser seuls les actes de la vie quotidienne et qui nécessitent une surveillance médicale et des soins constants.