[yoga] Quelle expérience spirituelle ?

Temps de lecture : 3 mn.

Par Bruno Hilton – Prof agrégé EPS – Professeur de yoga – Responsable du diplôme universitaire « Yoga et Santé » – STAPS Nancy

Les représentations occidentales du yoga oscillent entre sport, pratique de bien-être, thérapie, mystique… Probablement le yoga traverse-t-il ces différentes perspectives. Mais « Qu’a donc touché d’unique le yoga dans l’expérience de l’humanité ? » Selon Tardan-Masquelier (2018), cette originalité du yoga est en lien avec la notion de spiritualité. Dans une réflexion sur la pertinence d’intégrer le yoga en EPS, il semble nécessaire de clarifier ce concept de spiritualité.

Ce que la spiritualité n’est pas

  • Ce n’est pas une religion ! En effet, il est possible d’être religieux sans spiritualité (conditionnement, fanatisme…), comme il existe une spiritualité sans dieu, telle qu’évoquée par André COMTE-SPONVILLE.
  • Elle n’est pas immatérielle, éthérée, fumeuse, abstraite ! Au contraire, elle s’incarne dans le corps, dans la matière, dans le souffle, dans le sensible, ici et maintenant. « SPIRituel, reSPIRation, eSPRIt, partagent la même origine, le verbe latin spiro, qui signifie souffler, respirer, vivre, être inspiré (…), ainsi que l’explique TARDAN-MASQUELIER. La spiritualité est en rapport avec l’expérience du corps, à travers le souffle. L’évolution occidentale a souvent dissocié l’esprit (ou le religieux) du corps. Or le facteur spirituel de la vie intérieure implique de renouer avec la globalité corps-esprit.
  • Elle n’est pas irrationnelle ! Elle ne rejette pas la science, la raison, la pensée. C’est une forme de connaissance, même si c’est une connaissance intérieure.

Ce qu’est la spiritualité

  • C’est un processus de transformation du sujet. Selon Michel Foucault, « Elle est un travail de soi sur soi, par lequel on essaie de s’élaborer, se transformer et accéder à un certain mode d’être. » En ce sens, le yoga est avant tout une pratique visant la transformation de soi-même.
  • Elle implique une réorientation vers l’intérieur. L’enjeu est de n’être pas exclusivement happé par les stimuli extérieurs. Il s’agit d’inverser le regard et d’opérer un retournement des sens vers l’intérieur. C’est d’ailleurs ce que vise le pratyhara, la cinquième des huit branches du yoga.
  • La spiritualité est aussi un dépassement de l’ego et une ouverture à l’altérité. Il s’agit de commencer par soi, sans pour autant s’y limiter. Ce recentrage n’est pas une fermeture, mais un élargissement. Selon Barbier-Bouvet, la spiritualité se définit en effet comme « un chemin nous reliant au monde ». Ce chemin fait l’objet d’une construction personnelle qui passe par la connaissance de soi fondée sur l’expérience subjective et intérieure.

Finalement, le yoga pourrait se définir comme :

  • Une pratique de réunification. Sa dimension holistique prend toute sa mesure. C’est une discipline psycho-corporelle qui vise pour l’essentiel à réunir et relier ce qui est dispersé ou fragmenté. C’est une méthode de reliance. DESIKACHAR (1938-2016) le définissait comme « une relation à soi-même, aux autres et au monde ».
  • Une pratique personnelle visant l’apaisement et la clarification de la conscience. Il s’agit, au-delà des apparences d’aller à l’essence de soi.
  • Une pratique de transformation intérieure et d’accomplissement de soi. L’enjeu est de se libérer de la souffrance existentielle et de promouvoir une vie en santé.
  • Pour DESIKACHAR, « le yoga est ainsi une expérience intérieure, vécue par la totalité de l’être ».
    • C’est une expérience : il se pratique.
    • Cette expérience est intérieure : retournement des sens.
    • La totalité : dimension holistique.
    • De l’être : dimension spirituelle.

Yoga, modernité et spiritualité

Selon FILLIOT, le yoga serait un moyen de résistance pacifique aux excès de la société post-moderne.

  • Le yoga est une spiritualité incarnée : en opposition à un monde de plus en plus dématérialisé et hyperconnecté
  • Le yoga est une spiritualité expérientielle : favorisant une conscience éveillée dans un contexte de crise de l’attention, de marchandisation du vivant
  • Le yoga est une spiritualité reliée : qui vise à réparer les déchirures du monde contemporain
  • Le yoga est une spiritualité tournée vers l’intériorité : prenant en compte l’être dans une société de l’accélération, de la performance, de la rentabilité, du zapping
  • Le yoga est une spiritualité laïque : qui se vit au-delà des dogmes, des croyances, des fondamentalismes, qu’ils soient politiques, économiques, scientifiques, religieux |

Bibliographie

  • ANDRIEU Bernard. Philosophie du corps : expérience, interactions et écologie corporelle. Vrin 2010.
  • BARBIER-BOUVET Jean-François. Les nouveaux aventuriers de la spiritualité. Mediaspaul 2015.
  • COMTE-SPONVILLE André. L’esprit de l’athéisme : introduction à une spiritualité sans Dieu. Albin Michel 2006
  • DESIKACHAR Kausthub. Le yoga : un éveil spirituel. AGAMAT 2011.
  • FILLIOT Philippe. L’éducation au risque du spirituel. DDB 2011.
  • FILLIOT Philippe. Les 50 mots essentiels de la spiritualité. Albin Michel 2022.
  • FOUCAULT Michel. Cours sur l’herméneutique du sujet. Collège de France 1981-1982.
  • TARDAN-MASQUELIER Ysé. Petite spiritualité du yoga. Bayard 2018.

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