Christian Couturier, pour le centre EPS et Société, pose ici les problématiques liées à l’entrée du Yoga dans l’école et ses transformations pour qu’il puisse servir de référence en milieu scolaire. A noter que ces problématiques sont celles, anciennes, sont celles identifiées par une notion un peu oubliée aujourd’hui : la transposition didactique.
Il nous a paru important dans le cadre de ce premier dossier sur le yoga de voir quelles sont les propositions qui sont censées structurer l’enseignement. Quels sont donc les outils mis à disposition des enseignants ?
Nous avons recherché dans la littérature professionnelle et sur Internet, les sites académiques rectoraux notamment (Limoges), ce qui peut se dire aujourd’hui sur le yoga et l’EPS. Le constat reste pour l’instant d’une assez faible production. Et relativement uniforme dans l’approche. Pour être sûr de prendre appui sur une production reconnue institutionnellement, qui a donc l’aval du ministère, nous avons pris pour cette réflexion le document visible sur la plateforme Eduscol du ministère, déjà cité dans l’introduction de ce dossier. Autant le dire immédiatement, la lecture de ce document nous a particulièrement étonné sur plusieurs points, à mettre en relation avec le discours « tendance » en EPS.
Une entrée « culturaliste » inattendue
Si nous nous revendiquons « culturalistes » (Cf la revue Contrepied « EPS et Culturalisme ») pour des raisons politiques, scientifiques et professionnelles, le discours ambiant, notamment dans nombre de cercles et groupes auprès des inspections pédagogiques régionales tend plutôt à qualifier ce courant de ringard ou passéiste. Le post modernisme invitant à faire disparaître du langage tous les marqueurs de la culture sportive (APSA, technique, performance…), on ne pouvait pas s’attendre à ce que le travail institutionnel (quasiment le plus récent puisqu’issu des derniers programmes en date) sur le Yoga, mette en avant de manière forte son ancrage historique et culturel comme justification première de son intérêt.
Le titre du premier chapitre du document Eduscol est clair : « Lien entre pratique scolaire et pratique culturelle ». Et le premier paragraphe s’intitule : « Le yoga, une pratique culturelle de référence ». Impossible aussi de résister à citer cette phrase issue de ce texte : « La mise en œuvre d’un yoga scolaire ne doit pas trahir le yoga ancestral mais en permettre la divulgation ».
On se demande alors pourquoi cette activité, et celle-là seulement, bénéficie d’un tel traitement ? Pourquoi ne dit-on pas les mêmes choses pour le Hand, la gym, le tennis de table ?
Il faut mesurer l’importance de ces phrases qui disent, certes avec des mots différents, ce que peut porter le courant culturaliste. Le terme « trahir » montre bien qu’il existe un patrimoine et en l’occurrence un objet original, spécifique et bien identifié et que la transformation de pratiques sociales en pratiques scolaires ne peut se faire au prix d’un reniement du sens culturel de l’APSA. Et le terme « divulgation » place bien l’école dans sa fonction première : démocratiser l’accès à la culture. Des principes auxquels nous adhérons ainsi qu’une large partie de la profession.
Curieuse posture alors qu’il n’y a pas si longtemps (2016) la Doyenne de l’Inspection de l’époque nous invitait à faire le deuil des APSA.
Pointons deux explications possibles :
- La première serait liée à l’inquiétude de la réaction de la profession face à l’introduction forcée de cette activité dans la liste officielle des APSA au lycée. En venant sur le terrain du SNEP et du Centre EPS, on limite quelques risques de critique.
- La seconde est plus évidente et c’est celle que nous retenons : lorsqu’il s’agit de justifier une activité en milieu scolaire, l’argument culturel reste le meilleur et le plus convaincant. De fait, que dire face à une activité qui présente cette histoire et cette assise culturelle ?
Lorsqu’il s’agit de justifier une activité en milieu scolaire, l’argument culturel reste le meilleur et le plus convaincant.
Rapport aux objectifs généraux de l’EPS
Le second sujet d’étonnement, qui intervient dans l’ordre de lecture du document Eduscol, arrive avec l’intitulé du second chapitre : « Contribution du yoga aux objectifs généraux de l’EPS » !
Pour quelqu’un qui ne suit pas de près l’histoire de la discipline, des passages obligés dans les concours par exemple, le titre ne présente aucun problème. Il s’agit d’expliquer en quoi le yoga participe, avec ses « vertus » et perspectives d’apprentissage, aux objectifs de la discipline. Ce qui est véritablement étonnant, c’est que le yoga ne suive pas le renversement épistémologique que l’on tente de faire passer en EPS.
Depuis quelques années, certains essaient d’installer la discipline sur une logique descendante : l’identité de la discipline ce sont ses finalités (citoyenneté, santé…) et l’on doit structurer l’enseignement pour que ce soient ces finalités qui se transforment en objet d’enseignement. Les APSA ne sont même plus un moyen, ce sont des « contextes », et même dans certains documents académiques des « prétextes ». Or là on propose une autre démarche : à partir d’objectifs généraux identifiés (nous ne discutons pas ici de leur pertinence) et une activité culturelle elle aussi identifiée, on repère comment cette dernière « contribue » à l’atteinte des visées. Schéma qui paraît classique et raisonnable, mais qui vient percuter là-aussi une certaine doxa soi-disant moderne. Et ça valide une des propositions portées par le SNEP et le Centre dans ce qu’ils ont porté dans le cadre des débats sur les programmes. Ce qui fonde la discipline c’est le croisement » entre des objectifs assignés à l’École en tant que service public et un champ culturel qui porte lui aussi ses propres objectifs de développement.
Quelle certification au Bac ?
Le troisième et dernier sujet d’étonnement porte sur la grande souplesse de l’institution capable de faire le grand écart entre ce qu’elle peut prôner dans ce document pour mettre en évidence la « matière » du Yoga et les propositions de certification au Bac. Indéniablement à la lecture du document ressource on perçoit que l’intérêt du Yoga repose sur sa pratique (sinon il n’y aurait pas autant de pratiquants dans le monde et il ne servirait à rien d’en divulguer la culture…), notamment les postures, la respiration, la concentration qui doit procurer bien-être, apaisement, équilibre avec la nature etc.
Or il est troublant de s’apercevoir que pour son évaluation au diplôme du Bac, qui certifie ce qui a été enseigné, la pratique est très loin d’en constituer le cœur. Nous avons largement critiqué ce phénomène qui ramène à 12 pts seulement la prestation « physique » des candidat-es. Mais là, ça va plus loin car ce qui se nomme « AFL1 » (attendu de fin de lycée n°1) est scindé en 2 items : produire et analyser. Le premier est effectivement basé sur le physique (gestuelle, technique…) et proposé sur 8 points et le second sur 4. Autrement dit la partie strictement liée à la prestation corporelle est notée sur 8 points soit, on le voit, moins de la moitié de la note.
Et encore, le document ressource fait un choix « ambitieux », car le cadrage national, le texte de référence permet d’aller encore plus loin si l’on peut dire puisque le BO du 03/10/2019 (note de service) précise pour l’AFL1 : « L’AFL1 est noté sur 12 points (chacun des éléments est noté au moins sur 4 points) ». Dans le cas présent l’AFL 1 étant composé de 2 items produire et analyser, on pourrait tout à fait concevoir que c’est le « analyser » qui aura 8 points et non l’inverse.
Quelle démocratisation ?
Personne ne peut savoir ce que deviendra le Yoga en milieu scolaire. Il est probable dans l’immédiat qu’il concernera peu d’enseignant·es et donc d’élèves. Mais ce dont il faut s’inquiéter, comme pour toutes les autres APSA, c’est son devenir en tant qu’objet d’étude pratique en EPS.
Il est probable que la formation initiale actuelle, appauvrie par les réformes successives, n’aura pas les moyens sauf exception de dispenser une culture professionnelle solide en la matière. La formation continue quant à elle, devenue la plupart du temps une formation institutionnelle pour faire passer les réformes et centrer les enseignant·es d’EPS sur la périphérie de leur métier ne pourra non plus afficher une formation ad hoc pour tous. En effet, la formation sur les APSA étant déclarée hors sujet dans la majorité des académies, on ne voit pas comment en proposer en Yoga tout en refusant d’en proposer dans d’autres APSA.
Ce qui nous intéresse, c’est la perspective d’une éducation plus démocratique au sens où elle doit devenir plus démocratisante. Le texte du ministère, comme nous l’avons souligné, affiche cette perspective, sans le dire ouvertement. Notre système scolaire actuel est l’un des plus inégalitaires, il y a donc du pain sur la planche pour inverser la tendance. Dans cette perspective, à rapporter avec l’avènement du yoga, deux questions nous interrogent.
La première repose sur le fondement culturel du yoga et son assise revendiquée (au moins dans le document du ministère) sur spiritualité et méditation. Il nous semble qu’une massification (démocratisation ?) mal négociée peut être source de multiples dérives. Nous renvoyons aux articles d’A. Broudissou et B. Hilton dans ce dossier pour pointer toutes les problématiques, ainsi que la façon dont les collègues « traitent » cette APSA en milieu scolaire (article « Des pratiques malgré tout »)
La seconde est liée au positionnement du Yoga dans le CA5 et des contraintes qui vont peser sur lui. Nous savons aujourd’hui que le CA5 favorise les bons élèves dans les disciplines intellectuelles. Le Yoga tel que décrit par les propositions de certification va probablement renforcer cette tendance au vu des items proposés.
Par conséquent un des problèmes et non des moindres que nous posons est celui d’une réelle démocratisation et donc de l’accès des classes défavorisées, concentrées dans les REP et les lycées professionnels à cet « esprit du Yoga » que le texte institutionnel met en avant.