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Article signé Christian Couturier

L’approche culturelle de l’EPS que le Centre EPS revendique impose de suivre chacune des activités de référence qui, à un moment ou un autre, entrent dans le milieu scolaire à des fins d’enseignement. La longue série, de 1996 des numéros de la revue « ContrePied » témoigne de ce travail que nous poursuivons ici, sous une autre forme, avec le Yoga. Une première discussion sur des problématiques les plus saillantes.

Fraîchement introduit dans la liste officielle des activités au lycée, le yoga pose des questions redoutables à l’école et bien sûr à l’EPS. Retenons-en quelques-unes : pourquoi une activité rentre (ou sort) à un moment donné dans la liste des activités scolaires ? Quel est l’argumentaire officiel permettant de justifier ce choix ? Au moment de l’introduction, quel est l’état du patrimoine didactique et pédagogique ? Quel est l’état de la formation initiale ? Y a-t-il des controverses importantes… ?

On pourrait allonger la liste mais le fait même de pouvoir poser ces questions montre en creux le manque impressionnant de réflexions de la part de l’institution, en amont et pendant la prise de décision. Et nous pouvons d’ores et déjà poser une autre question surplombante : y avait-il urgence, en 2019, à faire entrer le yoga dans la liste officielle, d’autant qu’il était déjà possible d’enseigner cette activité [[L’arrêté du 4 juilllet 2013 valide l’agrément à intervenir en milieu scolaire à l’Association Recherche Yoga. Par ailleurs au lycée, on pouvait avoir une APSA « locale » proposée par l’établissement et validée par le Rectorat.]]?

Le cas du Yoga est quasiment inverse à celui du badminton. Pour mémoire le badminton (voir le Contrepied Badminton) s’est développé massivement en milieu scolaire, sans aucune prescription officielle, parce qu’il présentait des caractéristiques qui intéressaient les enseignants d’EPS, pour devenir au fil du temps l’activité numéro 1. Le yoga rentre à l’école, par une décision institutionnelle, sans aucune « culture » ni demande professionnelle. Sans doute le travail sera-t-il fait a postériori. Par exemple, dans la foulée, le ministère a produit un document d’aide et d’accompagnement, qui ne répond d’ailleurs pas aux questions que nous posons. Mais qui a produit ce document, avec quel collectif ? Est-ce que tous les « experts » que l’on peut compter dans notre milieu ont été contactés et écoutés ? Est-ce que la profession a été sollicitée ? Encore des questions…

Regarder et analyser l’EPS à partir du filtre d’une activité physique est intéressant. Cela permet de mettre en évidence ce que l’EPS dit et fait de cette activité, et en même temps ce que cette activité dit de l’EPS. En d’autres termes, la rencontre de l’EPS et du Yoga n’est pas anodine. Simple effet de mode ? On pourrait spontanément le penser si l’on regarde son développement dans la société. Mais il convient d’aller plus loin et d’identifier les ressorts de cette institutionnalisation en proposant quelques pistes de réflexions.

la rencontre de l’EPS et du Yoga n’est pas anodine. Simple effet de mode ? On pourrait spontanément le penser si l’on regarde son développement dans la société. Mais il convient d’aller plus loin et d’identifier les ressorts de cette institutionnalisation en proposant quelques pistes de réflexions.

La « CP5isation » de l’EPS au lycée : un lieu d’accueil pour le Yoga.

Nous ne revenons pas ici sur le « CA5 » et les problèmes posés par cette politique institutionnelle depuis 2010. En tout cas, officiellement le Yoga est désormais une des activités de ce groupe. Que va-t-il devenir dans un tel contexte ? Difficile de prévoir mais compte tenu des observations faites sur les autres pratiques du CA5, on peut craindre le pire. Notamment, on peut craindre qu’il suive les mêmes travers, à savoir une dérive vers un pseudo-enseignement. Le problème en EPS n’est pas la capacité de quelques spécialistes à produire un enseignement de qualité (et il y en a toujours, quelle que soit l’activité), mais la façon dont la masse des enseignants s’empare de cet enseignement à grande échelle. Car nous voilà confronté à une activité multiple, ce dossier en parle évidemment (il n’y a pas un seul Yoga), à la définition par conséquent problématique, avec une formation initiale et continue des enseignant·es encore balbutiante et des productions didactiques ou pédagogiques peu stabilisées car peu mises en œuvre. Imaginons un seul instant ce cas de figure dans d’autres disciplines… impensable ! D’autant que, par rapport à ce qu’est l’École, sa fonction, nombre de problèmes surgissent, nous n’en citons ici que quelques-uns.

Spiritualité où es-tu ?

La dimension « spirituelle » du yoga est intimement liée à son engouement dans la société. Tous les prospectus qui fleurissent dans nos boites aux lettres pour nous attirer vers le yoga la mettent en avant, comme si le terme avait en soi une valeur positive, en tout cas dans les classes moyennes et supérieures.
Normal dès lors que l’on retrouve cette dimension à l’école. Comme le précise le dossier présent sur le site académique EPS de l’académie de Limoges : «  Le yoga est une pratique physique, mentale et spirituelle, née en Inde, faisant partie intégrante d’une vision globale de la santé prise en charge par la médecine traditionnelle indienne nommée AYURVEDA.
Cette activité vise à unir le corps (posture, équilibre, souplesse) et l’esprit, notamment par la respiration et la prise de conscience du corps. Le yoga est la pratique d’un ensemble de postures et d ’exercices de respiration qui vise à apporter un bien être physique et mental. Cet ancien art de vivre tel qu’il est expliqué dans les textes fondateurs se révèle comme un chemin initiatique qui transcende la discipline physique.
 »

On voit ici que l’institution présente aux enseignants le yoga comme inséparable d’une spiritualité assumée. On peut imaginer que ce paragraphe tend alors à en définir les contours. Le document insiste, et on en déduit que c’est ce qu’il y a derrière cette idée de spiritualité « union du corps et de l’esprit ». Ce qui n’est pas sans poser problème car partant d’un principe discutable, celui d’une dualité corps/esprit : « Le yoga doit rester avant tout une pratique qui libère, qui émancipe, en réalisant l’union du mental, du corps et de l’esprit. » Si union il doit y avoir, c’est qu’on postule qu’il existe des entités séparées.
Quelle sera donc la spiritualité, ou la « forme de spiritualité » pour reprendre des termes à la mode en EPS, qui sera retenue sans que ça nous pose un problème de laïcité ? Celle qui transparaît dans les documents nous interroge. D’autant qu’il est précisé (document ressource sur éducsol) que : « Il ne s’agit pas en EPS de transmettre un yoga « intégral », le Raja Yoga ancestral, mais bien plus « l’esprit du yoga » ». Notons au passage qu’on ne trouvera aucun trace dans les ressources de documents portant par exemple sur le hand ball, où serait écrit qu’en EPS il convient de transmettre « l’esprit du hand ». Deux poids, deux mesures ?

Un peu de douceur dans un monde de brutes

Un autre ressort de l’expansion du Yoga dans la sphère sociale, et du coup dans l’institution scolaire, tient à son classement apparent dans les gymnastiques dites « douces » (même s’il existe des yogas dits dynamiques…). En effet, les termes employés, en tapant yoga sur n’importe quel moteur de recherche, sont assez systématiques : équilibre, bien être, renforcement musculaire en douceur, régulation de l’énergie vitale, écoute de soi, voyage … Ces termes sont semblables à ceux que l’on trouve pour d’autres activités physiques comme le pilates, le tai-chi, le qi gong, le stretching, la soft gym…
On peut émettre l’hypothèse que la violence (on devrait dire les violences) qui s’exerce quotidiennement dans nos sociétés nous pousse vers tout ce qui est censé nous apporter un peu de douceur. Et, toujours dans notre monde, la dangerosité venant des autres, c’est en tout cas l’histoire qu’on nous vend, qui d’autre que soi même pour s’assurer que cette douceur est bel et bien prodiguée ? Mais n’y a-t-il pas aussi une recherche de pacification, notamment à l’école en tentant, par ces activités, de réguler les comportements des élèves ? Pour poursuivre la discussion sur cette thématique, relevons l’article « Normaliser les comportements des élèves par le yoga » de Marie-Carmen Garcia, Mélie Fraysse, Pierre Bataille

Un autre ressort de l’expansion du Yoga dans la sphère sociale, et du coup dans l’institution scolaire, tient à son classement apparent dans les gymnastiques dites « douces » (même s’il existe des yogas dits dynamiques…). En effet, les termes employés, en tapant yoga sur n’importe quel moteur de recherche, sont assez systématiques : équilibre, bien être, renforcement musculaire en douceur, régulation de l’énergie vitale, écoute de soi, voyage … Ces termes sont semblables à ceux que l’on trouve pour d’autres activités physiques comme le pilates, le tai-chi, le qi gong, le stretching, la soft gym…
On peut émettre l’hypothèse que la violence (on devrait dire les violences) qui s’exerce quotidiennement dans nos sociétés nous pousse vers tout ce qui est censé nous apporter un peu de douceur. Et, toujours dans notre monde, la dangerosité venant des autres, c’est en tout cas l’histoire qu’on nous vend, qui d’autre que soi même pour s’assurer que cette douceur est bel et bien prodiguée ? Mais n’y a-t-il pas aussi une recherche de pacification, notamment à l’école en tentant, par ces activités, de réguler les comportements des élèves ? Pour poursuivre la discussion sur cette thématique, relevons l’article « Normaliser les comportements des élèves par le yoga » de Marie-Carmen Garcia, Mélie Fraysse, Pierre Bataille [[https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03154443]]

Mais qu’en est-il réellement ? L’offre pléthorique avec comme partout son lot de charlatans tient-elle ses promesses ? Et in fine, les enseignants, dans leur grande majorité, non formés, non expérimentés, ne seront-ils pas des charlatans encore plus évidents, mais avec plus de responsabilité que les autres : celui d’éduquer tous et toutes pour préparer la société de demain. Il demeure de toute façon une question qui exige un travail : ce type d’activité est t-il vraiment une priorité pour des adolescents dans le cadre de l’EPS ? A un âge ou la tendance est plutôt à l’inactivité, au refus de l’effort physique pour une grande masse d’élèves, n’y a-t-il pas d’autres urgences ?

Une discipline qui révèle le manque de discipline de l’institution

Ce dossier va tenter de donner quelques pistes de réflexion et d’analyse. Si nous avons mis l’accent dans cette présentation sur quelques questions sans réponse ou avec des réponses selon nous trop hâtives, il ne s’agit pas dans notre esprit de simplement critiquer le yoga en tant qu’activité en expansion dans la société.

Le yoga est une activité humaine, chargée d’histoire et de techniques, dont la fonction explicite est le développement et le perfectionnement des pratiquant-es. A ce titre, et avec un certain nombre de réserves sur sa compatibilité avec le fonctionnement scolaire, elle nous intéresse nécessairement en tant que pratique culturelle, avec tout ce que ça regroupe de connaissances et de techniques humaines. Mais nous estimons à ce stade qu’il n’y avait aucune urgence à clore le débat avant qu’il ne soit ouvert : l’entrée dans la liste des APSA au lycée dans des conditions quelque peu ubuesques est révélatrice d’un manque de sérieux de la part du ministère.
Ce dossier est une invitation aux débats qu’on aurait dû avoir.

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