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Forts d’une pratique personnelle qui leur confère une solide maîtrise technique de l’escalade, Marie-Agnès et Hervé Dizien, enseignants d’EPS, ont développé depuis longtemps cette activité au lycée-EREA Toulouse Lautrec, à Vaucresson, en partant d’une pratique de gymkhana pour « handi » en fauteuil roulant. L’originalité de leur enseignement tient notamment aux caractéristiques des élèves auxquels ils s’adressent. Une majorité d’entre eux présentent une déficience motrice, parfois très invalidante, tandis que d’autres sont valides. C’est une part de leur expérience de l’escalade partagée par des élèves aussi différents qu’ils nous livrent.

Comment est né votre intérêt pour l’escalade en direction de personnes en situation de handicap

Depuis toujours, à travers les parcours pour handi debout (type Yamakasi, en exploitant les agrès de gym…), le gymkhana pour handi en fauteuil (parcours en fauteuil en utilisant des modules en bois plus ou moins hauts, inclinés et espacés), et surtout depuis la création du mur d’escalade extérieur à la fin des années 80. À ce propos, c’est là que les plus « grands » de l’époque venaient grimper sur une SAE extérieure : Destivelle, Le Ménestrel… Hervé y a organisé la première compétition de dimension européenne pour grimpeurs valides de niveau international.

Notre intérêt pour l’escalade en direction de personnes en situation de handicap se fonde sur un intérêt personnel ancien pour ce sport et une longue expérience. Il a toujours eu une part importante dans notre histoire familiale respective. Pour Marie-Agnès avec tous les week-ends consacrés à l’escalade à Fontainebleau et les vacances au Saussois, à Chamonix ou Ailefroide. Pour Hervé, au-delà de sa pratique propre, avec un frère jumeau qui a créé la première compagnie de danse escalade, appelée Roc in lichen, et une performance, ‘ Le creux poplité ‘, en 1987 dans le Verdon. Par ailleurs, nous sommes formateurs MAFPEN en escalade, depuis les années 90 pour Hervé, depuis 2013 pour Marie-Agnès.

Depuis quand avez-vous intégré l’escalade dans l’EPS des élèves en situation de handicap ?

Avec la construction du gymnase, dans les années 90, l’équipe des enseignants d’EPS du lycée a monté un dossier pour une SAE intérieure. Dès lors, l’escalade a pris son envol au sein de la programmation de l’EPS et au niveau de l’accueil de l’élève en situation de handicap. C’est pourquoi Hervé a souhaité un pan inclinable afin d’en faciliter l’ascension par les plus dépendants.

Quelles sont les constantes que l’on retrouve en escalade, quelles que soient les caractéristiques des élèves ?

Les qualités d’un grimpeur peuvent se résumer à quelques constantes fondamentales que l’on retrouve avec nos élèves : la lecture de l’environnement, l’engagement, le placement corporel, les connaissances sécuritaires, la culture de l’APSA, la diététique (pour un rapport optimal poids-puissance), et la mise en œuvre d’un programme d’entraînement en fonction des types et des dates des compétitions.

Quelles sont les principales adaptations et innovations induites par la prise en compte des élèves en situation de handicap ?

Au niveau sécuritaire : utilisation du gri-gri pour l’assurage, exploitation du rôle de contre-assureur, valorisation du rôle de l’assureur, mise en place de la tête contre-assurée pour un élève handi en terminale, et le double-assurage pour un élève en surcharge pondérale.

Plus largement, intervenir auprès d’élèves avec une déficience motrice nous a conduit à approfondir notre réflexion, à prévoir un matériel adapté, à développer certaines activités, à enrichir notre démarche didactique et pédagogique afin de prendre en compte la diversité de nos élèves :

– réflexion pour créer des voies à partir d’un cahier des charges complexe. On a en effet des élèves de la sixième à la terminale, plus l’AS pour des élèves valides et handis, et l’obligation d’épreuves certificatives ;

– mise en œuvre d’une escalade artificielle (échelle mobile, échelle fixe, via-corda, via-ferrata… + accrobranche) ;

– installation d’une corde fixe verticale, pour utiliser les poignées jumars, et d’une sellette de parapente pour les paraplégiques ;

– installation de gymlastic au plafond pour permettre aux plus dépendants de vivre la verticalité et les acrobaties gymniques ;

– développement d’une école de vol sans obstacle depuis une échelle déversante ;

– initiation au rappel pour les élèves handis debout, mais aussi pour ceux en fauteuil depuis une pente peu inclinée ou très inclinée depuis un mur d’une hauteur de 20 mètres en surplomb ;

– utilisation des techniques de moufflage ;

– réflexion autour de l’accessibilité, de la complexité (variables didactiques), de l’évolution (d’un niveau 1 à un niveau 5)…

– réflexion sur l’escalade du handi debout mais aussi du jeune en fauteuil, avec le gymkhana et la création des fiches pédagogiques pour le projet pédagogique d’EPS.

Plus précisément, à quelles adaptations avez-vous procédé pour les élèves « handis debout » et pour ceux qui sont en fauteuil roulant ?

Observant les différents modes de motricité de l’élève (bipédie totale ou partielle, quadripédie totale ou partielle sur un mur vertical, déplacement en fauteuil roulant à propulsion manuelle ou électrique), nous avons créé des adaptations propices à l’apprentissage et qui respectent un juste équilibre entre le possible et le contre-indiqué.

Pour l’élève handicapé debout ou en fauteuil (avec motricité manuelle) :

– L’utilisation de l’échelle favorise une meilleure résistance à la pesanteur en procurant des appuis stables. Elle peut être plus ou moins inclinée, fixe ou mobile. On peut en faire l’ascension par au-dessus ou par en-dessous ; et la descente en désescalade en moulinette ou suspendu dans le vide ;

– La pratique de la moulinette avec un assurage sec permet à certains d’évoluer vers des plans inclinés équipés de nombreuses prises crochetantes. On peut faciliter également l’ascension avec un double-assurage ou un contre-poids (l’assureur monte derrière le grimpeur avec un gri-gri) ;

– Au niveau de l’assurage, l’utilisation d’un gri-gri ou la mise en place de montages avec des points fixes sûrs (par la base d’une barre asymétrique, par exemple) permet à des élèves handicapés (hémiplégique, infirme moteur cérébral, myopathe…) d’assurer en toute sécurité leur camarade avec un minimum de force et d’équilibre ;

– Il faut également éviter, entre l’assureur et le grimpeur, des différences de poids trop importantes et préférer des baudriers confortables avec de larges sangles afin de limiter les douleurs et les risques d’escarres.

Pour l’élève en fauteuil (avec peu de motricité manuelle) :

– L’élève peut pratiquer de la désescalade avec son fauteuil en descendant des talus plus ou moins inclinés. Un double ancrage solide assure une sécurité optimale au dispositif de descente. Le descendeur est solidement mousquetonné sur deux parties fixes du fauteuil à l’aide de deux anneaux de sangle. Le « huit » est orienté de manière à ce que le jeune utilise sa main la plus opérationnelle ;

– Un élève debout ou en fauteuil peut aussi assumer le rôle de contre-assureur ;

– Un élève en fauteuil électrique peut tout aussi bien descendre ces pentes inclinées, soit par sa propre action, soit par le contrôle d’un autre élève. Les quatre roues doivent rester au sol ; L’élève doit limiter les déséquilibres latéraux et les bascules antéro-postérieures du fauteuil ;

– En dehors des pentes inclinées, on peut proposer à l’élève en fauteuil des parcours plus ou moins complexes, déséquilibrants, voire incertains en milieu naturel ou dans le gymnase avec des supports spécifiques : marches de différentes hauteurs, rampe, plan incliné court ou long, tapis, plot, poteau, latte, corde…

Avez-vous organisé avec vos élèves des sorties ou des stages en milieu naturel ?

Nous avons organisé 3 stages de 15 jours au Mont-Blanc avec une population mixte, et aussi des sorties à la journée pour de l’escalade à Fontainebleau et au Viaduc des Fauvettes, ainsi que pour une pratique de l’accrobranche.

Quels sont les bénéfices de l’escalade pour vos élèves en situation de handicap, mais aussi pour leurs pairs valides, voire pour les familles ?

Schématiquement, les bénéfices peuvent être décrits en termes physiques (gain d’équilibre, de force, de souplesse), psychologiques (confiance et valorisation, d’où une meilleure estime de soi ; communications et relations avec les pairs, notamment les membres de la cordée, et aussi communication au sein de la famille sur ce qui a été vécu) .

À noter aussi le transfert des connaissances acquises dans la vie extra-scolaire et future ; par exemple, en voyage pour une meilleure accessibilité (estimation du pourcentage de pentes que l’on peut franchir, utilisation des nœuds pour se vacher, exploitation du mobilier urbain pour se déplacer, capacité à trouver des solutions…).

Quel intérêt voyez-vous à des pratiques partagées dans un contexte associatif ?

L’intérêt se situe essentiellement au niveau sécuritaire et humain. Le partage et l’entraide subliment les relations ; ils s’expriment dans des cordées qui sont souvent mixtes : un valide autonome fort, un valide peu autonome, un élève en situation de handicap pour occuper les 3 rôles (grimpeur/assureur/contre-assureur). Le valide peut aider l’élève en situation de handicap, mais l’inverse arrive aussi.

Parfois, on constitue des cordées de niveau pour un travail spécifique, par exemple sur ‘ le en tête à N+1’, ‘ la force’, ‘ le placement corporel particulier’. Dans ce cas-là, les handis travaillent sur un support plus accessible, tel que l’échelle fixe, le pan inclinable…

Il faut souligner aussi l’effet stimulant des pratiques partagées. Voici le genre de réflexion que l’on peut entendre : « s’il arrive à passer ce mouvement alors qu’il est hémiplégique, je dois aussi pouvoir le faire ! » ; « si elle atteint le sommet, je devrais aussi en être capable ! »

Dans quel cas est-il souhaitable de privilégier des pratiques partagées ou des pratiques spécifiques ?

On retient les pratiques spécifiques pour le passage des épreuves certificatives et des compétitions, et on privilégie les pratiques partagées en EPS, à l’AS, en sortie ou en stage.

Certains de vos élèves ont-ils poursuivi leur engagement en escalade au-delà du lycée ?

Avec l’avènement des compétitions de paraclimbing (escalade pour sportif handi), un de nos élèves, Louis-Gabriel Perez, qui présente une infirmité motrice cérébrale, a souhaité rebondir. Il appartenait au club Aggripine de Boulogne-Billancourt depuis l’âge de 6 ans et il a beaucoup grimpé en EPS et à l’AS. Il souhaitait même être guide
de haute montagne. On l’a emmené en stage au Mont-Blanc. Dans le même temps, il était sélectionné pour la première fois en équipe de France de paraclimbing. Il s’est rendu compte que le métier de guide était peu compatible avec son handicap. En revanche, il s’est épanoui en équipe de France et il a participé au premier championnat du monde organisé à Bercy en octobre 2013. Depuis, il continue à progresser et passe désormais du 6B en s’entraînant 6 fois par semaine.

Entretien réalisé par Yves Renoux et Jean-Pierre Garel

Cet article est un supplément électronique au Contrepied HS N°12 – EPS, Sport et handicap – avril 2015