EPS et Promotion de la santé

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Partant d’une méfiance historique consistant à réduire l’EPS à la santé il semble que le regain du thème soit accompagné de nouvelles ambiguités avec l’introduction de la référence aux APDP dans les programmes. Claire Perrin met en garde contre les tentatives d’opposition avec les APSA .

L’enjeu de santé est-il fondamental aujourd’hui en EPS ? Pourquoi ?

L’éducation physique est liée à des enjeux de santé depuis son origine. Son autonomie vis-à-vis de la médecine s’est construite à partir d’une mise à distance de l’approche biomédicale de la santé, par l’intégra­tion des activités physiques et sportives (APS) comme moyens et buts de l’intervention éducative. Depuis lors, la perspective de santé est souvent appréhendée avec une forme de méfiance comme si elle constituait un risque de détourne­ment : crainte d’un retour en arrière, défiance vis-à-vis du monde de la santé perçu comme dominateur, refus d’être instrumentalisée .

Un renouvellement des questions de la santé s’est cependant opéré au cours des deux dernières décennies qui trouve sa traduction en EPS par l’intégration officielle de « l’éducation à la santé » comme objectif de la dis­cipline. Initiée dès le début des années 90 par l’objectif d’apprendre à gérer sa vie physique à tous les âges de la vie [[C . Perrin (2004) L’éducation pour la santé en et par l’EPS : enjeux institution­nels et disciplinaires. in G . Carlier (Ed .) Si on parlait du plaisir d’enseigner, Afraps, 133-142]], cette intégration se précise et devient explicite dans les récents programmes du collège (2009) avec le second objectif « d’éducation à la santé et à la ges­tion de la vie physique et sociale ». Par ailleurs, les nouvelles politiques de santé publique1 qui font de la sédentarité et de la prévention des maladies chroniques des objets de lutte nationale, constituent un nouvel environnement social pour l’EPS que les nouveaux programmes du collège posent en préambule, en précisant que la discipline « favorise l’acquisition d’habitudes de pratiques » et « participe à la lutte contre la séden­tarité » .
Pour autant, ce préambule affirme également la spécificité du positionnement de la discipline en prenant d’emblée des distances avec l’approche nutritionnelle du PNNS qui réduit les activités physiques à un pur exercice de l’organisme destiné à lutter contre les méfaits de la séden­tarité [[bis C . Perrin (2007) L’activité Physique : une affaire de goûts? La santé de l’homme, 387 : 28-30]] et reste aveugle sur le sens et les significations des pratiques physiques et sportives. En précisant que les habitudes de pratiques nais­sent « souvent du plaisir éprouvé » et que l’activité physique est « source de bien être », le préambule des pro­grammes d’EPS réintroduit la ques­tion du sens et donne de la santé une définition extensive.

L’inévitable temps de latence entre l’évolution des programmes et leur mise en oeuvre est ici accentué par la difficulté d’identifier clairement l’ob­jectif. Le cadre conceptuel, méthodo­logique et éthique de l’éducation à la santé est mal connu des enseignants. Tout se passe comme si l’usage du vocable « santé » impliquait de se référer au cadre biomédical, l’éduca­tion à la santé consistant alors à don­ner informations et recommandations de santé, au risque de normaliser les pratiques culturelles des élèves au nom de leur santé. La démarche d’éducation pour la santé suppose, par exemple, la participation active des publics à la définition de leurs besoins et s’appuie sur une mise en projet des publics selon les principes définis par la charte d’Ottawa (1986). Construire avec les élèves des projets de santé via les APSA, à partir d’eux, de leurs propres questions, en leur permettant de développer des com­pétences psychosociales. La forma­tion des futurs enseignants d’EPS [[C . Perrin (2004) . Former les intervenants en activités physiques sportives et artis­tiques à l’université : entre culture com­mune et identité disciplinaire. In D. Jourdan (Dir.) La formation des acteurs de l’éducation à la santé en milieu scolaire, Editions universitaires du sud, Toulouse, 141-160]] à la promotion et l’éducation à la santé est nécessaire dès la formation ini­tiale.

Si l’on considère que la santé est une des finalités à poursuivre en EPS, penses-tu que les APDP soient les plus adaptées pour le faire ?
Je ne vois pas pourquoi… Pratiques sociales du plus grand nombre d’adultes français aujourd’hui, elles ont toute légitimité à être un des moyens de l’EPS et peuvent être un moyen de déclencher un réengage­ment dans des pratiques physiques avec certains publics. Elles n’ont cependant ni plus ni moins de valeur de santé que les autres APSA, avec lesquelles l’EPS ne se confond pas. Non seulement elles n’ont pas le monopole de la santé mais, comme toute pratique excessive, elles peu­vent être liées à des conduites néfastes pour la santé (contrôle obsessionnel du poids par exemple), ou à une soumission à des normes esthétiques contestables du point de vue de la beauté comme de la santé.

Une des raisons évoquées pour défendre les APDP est l’idée que les activités traditionnelles peuvent être associées à de l’échec et que donc les APDP seraient finalement une des voies de la réussite pour tous car elles répondraient aux attentes des élèves…

Sur le grand nombre, les pratiques « d’entretien » corporel sont davan­tage l’apanage des femmes adultes et des seniors. L’idée d’entretien de soi est très marquée culturellement et il s’agit d’éviter les effets de normali­sation culturelle qui renforceraient finalement les inégalités sociales. Au niveau moteur, les APDP sont acces­sibles au plus grand nombre mais leurs significations sont liées à une anticipation sur la lutte contre le vieil­lissement, ou en tous cas contre les méfaits d’une vie sédentaire liée à la montée en charge, au cours de la vie, des responsabilités professionnelles, familiales et sociales. Elles valorisent un travail sur l’enveloppe corporelle, la présentation de soi. Et là, il n’est pas évident d’obtenir les effets escomptés si les habitudes alimen­taires ne changent pas… d’où la pos­sibilité d’une autre forme d’échec qui devient d’autant plus cuisant que les attentes d’amaigrissement et de raffermissement ont été exacerbées par ces formes de pratique. La ques­tion de l’échec ou de la réussite ne se résout pas uniquement par le choix des APS et mes études [[C . Perrin (2003) Education pour la santé et Education Physique et Sportive : un pont à consolider in C . Perrin, B. Housseau, Jeunes et activités physiques et sportives : quelle place pour la santé ?, La Santé de l’Homme, 364 : 9-47]] ont mis en lumière des liens différenciés entre les pratiques physiques et sportives et les pratiques de santé.
Les liens des sports collectifs et des activités duelles avec la santé sont apparus très intéressants, surtout chez les jeunes et chez les garçons.

Par ailleurs les ASDEP, en tant qu’in­terventions transversales aux APSA, sont un excellent moyen de dévelop­per des compétences identiques, préparatoires aux pratiques sociales de l’âge adulte, en maintenant des objec­tifs de « performance » dans un cadre non prioritairement lié à la santé, mais à la logique interne de l’activité.

La santé est-elle dissociable de la notion de développement de la personne ?
Le renouvellement de la question de la santé est en lien avec l’évolution des valeurs sociales.
Aujourd’hui si le travail est désacralisé, sa sphère d’expression s’étend au travail sur soi. Il s’agit de produire sa vie, de devenir acteur de son propre parcours de formation, de soins, d’aide, ou plus globalement de « capacitations », d’où la mise en avant de toutes les pra­tiques de développement de la per­sonne.
Ce phénomène touche bien évidemment la santé, et plus parti­culièrement l’éducation à la santé. Le risque est alors d’en faire une finalité éducative alors qu’elle n’est à l’origine qu’un moyen de l’éducation. Les ASDEP répondent typiquement à cette perspective. Elles valorisent le travail sur soi et le développement de la personne, mais au service de la réalisation d’une forme de « travail » dans le cadre culturel des APSA.
C’est un apport essentiel de l’EPS à la promo­tion de la santé, éminemment social.

Cet article a été publié dans le Contrepied n°24 – octobre 2009