Futsal et mains propres

Temps de lecture : 4 mn.

Chronique sociale et sportive, créée par la Compagnie Jolie Môme, où il est question de foot, de société et de dépassement voire de réappropriation d’un sport tendant à être confisqué par le système actuel, sous le mode théâtre satirique.

Quel est le contenu de votre dernière création ?

La ville de Champignoux, personne ne la connaissait avant la qualification de l’équipe féminine de futsal pour la coupe d’Europe. De belles valeurs sportives, l’esprit d’équipe, l’implication et l’enthousiasme de ces joueuses ont fait leur succès. Que se passe-t-il quand avec le succès arrivent UN nouveau président et UN nouveau sponsor ? Et quand l’actualité sociale s’invite dans le sport.

Avec le Futsal féminin d’un bled de la France profonde, on n’est pas encore dans le monde de la Champions League et du PSG, on pouvait donc faire une pièce d’anticipation sur le sport et la société en montrant que les ingrédients du libéralisme sont en germe et peuvent se développer avec le succès de l’équipe.

Dans cette pièce on balaye tour à tour toutes les dérives du foot qui s’entremêlent avec l’actualité sociale : racisme, drogue, dopage, handicap, corruption, précarité de l’emploi.
Une galerie de personnages, tels le supporter néo-nazi, la joueuse migrante, le président capitaliste véreux, les élus clientélistes, apparaissent autour et dans la vie de ce collectif de joueuses, qui lui même a une vie propre faite d’alliance et jalousie.
Bien que cette équipe soit composée de filles dans un sport et milieu très masculin on ne revendique pas un spectacle féministe, par contre on pointe le sexisme ordinaire à l’œuvre.

Ce spectacle fait référence indirectement au film Coup de tête de Annaud et à ceux de Ken Loach.

Comment est née l’idée de ce spectacle ?

À l’origine c’est un travail d’atelier Théâtre, et comme un peu partout la majorité de nos participants sont des filles. Nous travaillions sur les phénomènes d’actualité, à partir de revues de presse, et dans l’actualité tombe l’histoire de la sextape de Valbuena, histoire très « masculine » et qui contient toutes les dérives du foot actuel. On a donc voulu profiter de cette actualité pour développer un propos théâtral traité par des filles.

D’emblée plusieurs choses nous ont séduit en tant que troupe engagée politiquement. Le foot est un sujet intéressant à traiter, notamment dans ses rapports au capitalisme. Nous avions en tête le livre de François Ruffin Comment ils nous ont volé le football (Fakir Éditions, 2014).

Ensuite, c’est une activité populaire souvent méprisée par les intellectuels or, pour nous, le foot c’est de la culture comme l’art, nous combattons ce mépris de classe et nous nous inscrivons dans l’esprit de Gramsci qui « refuse à croire que l’intellectuel peut être un véritable intellectuel s’il est détaché et distinct du peuple-nation ».

« Le foot est une pratique sociale importante des habitants de Saint-Denis, le quartier où est implanté notre théâtre, en cohérence avec nos idées nous ne pouvions que traiter ce thème »

Le foot, c’est une pratique sociale importante des habitants de Saint-Denis, le quartier où est implanté notre théâtre, en cohérence avec nos idées nous ne pouvions que traiter ce thème. Simultanément à notre processus de création on est donc allé dans les clubs de notre quartier. Les filles de la troupe se sont entraînées avec les filles du club voisin pour maîtriser un peu de technique avec le ballon et des footballeuses chevronnées sont venues assister au spectacle et faire une démonstration de jonglage. C’est donc un échange mutuel, sans frontière entre art et sport.

Enfin, une équipe de foot c’est d’abord un collectif qui vient en écho avec ce que nous vivons ensemble dans la Troupe. Ces richesses de vies de groupes ont nourri aussi notre création.

Quel message porte le spectacle ?

Cette pièce est avant tout une satire, il y a de l’humour, du plaisir de jouer ensemble. On se marre malgré les situations affligeantes tellement elles sont grotesques et vulgaires.
Le monde du foot est si caricatural qu’il est nul besoin de forcer le trait.
Ce portrait du foot n’est certes pas très reluisant mais on voulait qu’il s’en dégage un espoir dans l’humain et le collectif, une fraternité qui enraille ce capitalisme échevelé à l’œuvre et vécu très durement au travers du foot. Ce jeu collectif produit aussi des valeurs autres que celle du monde qui l’envahit, la mise en abyme n’en est qu’accentuée. Camus nous a inspiré : « Pour moi je n’ai connu que le sport d’équipe au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagnent les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités ».
Notre espace scénique est réduit, c’est l’intérêt aussi du futsal et nous avons monté la pièce avec peu d’accessoires pour pouvoir la jouer sous les préaux, afin de rencontrer aisément et partout des spectateurs et de susciter avec le plus grand nombre l’échange autour du sport, du théâtre, de la politique. 

Entretien réalisé par Sébastien Molenat et paru dans le Contrepied hors-série N°22 –
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