L’acrosport ? Et si, comme son nom l’indique, c’était une activité acrobatique !

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État des lieux

Une APSA très programmée

L’acrosport[[Désormais l’« acrosport » est une dénomination utilisée uniquement en EPS. Dans la pratique sociale, cette activité née « acrosport » a fait partie de la fédération internationale de sports acrobatiques avec le tumbling. Mais, en 2005, l’acrosport devient « Gymnastique Acrobatique », afin de répondre au souhait de la FIG de fédérer les pratiques gymniques et d’harmoniser les appellations. L’UNSS utilise aussi cette appellation au moins depuis 2008.]] est désormais une APSA largement programmée en EPS. Aux épreuves du bac général, selon les chiffres de l’inspection, entre 2004 et 2014, l’acrosport est passé de la 8e place à la 3e place (passant de 12,45% des élèves, filles et garçons, concernés à 28,7%). Au bac professionnel, en 2014, l’acrosport est la 3e APSA pour les filles (28,7% la choisissent) et la 8e APSA pour les garçons (11,94%). L’acrosport entre à l’UNSS en 2001.

Pourquoi l’acrosport s’est-il développé en EPS ?

À l’origine, une crise de l’enseignement de la gymnastique : apprentissages exigeants pour des résultats souvent décevants : il convient de s’y entraîner, s’exercer, réfléchir pour envisager des progrès, activité connotée plutôt pour les filles. Activité de prise de risque, l’éventuel accident fait peur, la crainte de ne pas maîtriser l’activité et son enseignement augmente, confortée par la diminution des horaires de formation spécifique aux APSA, tant en formation initiale qu’en FPC.
À cela s’ajoute l’achat de matériel coûteux, et une vigilance extrême dans la gestion des ateliers.

L’acrosport apparait donc comme un moyen de renouveler l’enseignement traditionnel de la gymnastique, avec une auto-organisation des groupes souvent affinitaires pour la réalisation de figures et une adhésion quasi immédiate des élèves.

Une multitude d’acrosports sont enseignés

Dans sa thèse en 2003, M. Musard[[Musard, M (2003). De la pratique sociale de référence acrosport à sa transposition didactique en EPS : définition des principes à respecter en milieu scolaire.]] faisait le constat suivant : dans 70 % des cas l’acrosport est pratiqué en musique, avec ou sans matériel, dans un endroit confortable restreint, sans tenue particulière et procure une réussite rapide sans efforts longs et répétitifs. Les enseignant·e·s se réfèrent peu à la pratique de haut niveau. Beaucoup d’enseignant·e·s s’inspirent des idées originales des élèves et plus de la moitié d’entre eux/elles combinent l’acrosport avec une autre APSA. La quasi totalité des enseignant·es évalue surtout la dimension artistique, une grande majorité la difficulté des figures.
Par ailleurs, l’aspect collectif de l’acrosport est mis en avant.
Les enseignant·e·s composent des pratiques scolaires « sous influences » des élèves, de leurs collègues, de la formation continue, de publications… C’est donc une pratique très éclectique, souvent auto-référencée, locale.

Une transposition didactique fragilisée, des représentations figées

L’apparition récente de l’acrosport dans les pratiques sociales en France et son très faible taux de pratiquant·es combinés à l’explosion empirique de l’enseignement de l’acrosport en EPS ont fragilisé le processus de transposition didactique. Ce qui a donné lieu à de nombreuses productions didactiques dans les années 80/90, dont à peine 20% des auteur·e·s étaient des spécialistes de l’activité; et a engendré de nombreuses définitions et conceptions de l’acrosport[[Beuzelin et Delannet – 1988, Huot-Monéta et Socié – 1988, T. Froissart – 2002, L. Amatte, C. Berthelot, JF Robin et M. Musard – 2005.]], les différences dans les propositions concrètes portant sur le rapport statique/dynamique, sur la valorisation d’une dimension expressive voire artistique[[Caty, D (2004) Des compétences gymniques aux compétences artistiques : vers une modélisation de l’acrosport scolaire.]], sans élément pour évaluer de manière objectivée cette dimension.
De plus, le code UNSS ne contenant en 2001 que des figures statiques, a contribué à donner de l’activité une représentation très figée.

« Définir l’acrosport comme une activité collégiale de prise de risque et de maîtrise du risque… »

Les textes officiels contribuent à des confusions.

En 1998 les programmes de 3e introduisent l’acrosport, mais entament une confusion qui ne cessera de croître en envisageant « deux modes d’entrée : les activités gymniques d’une part et les activités de spectacle qui peuvent s’inspirer des pratiques du cirque, de gala gymnique ou de toute autre création, y compris spécifiquement scolaire d’autre part ».
En 2000 et 2002, les programmes lycée regroupent les activités gymniques et artistiques.
En 2008 l’introduction des compétences propres et aujourd’hui nos nouveaux programmes poursuivent la même la confusion. Les textes eux-mêmes reflètent donc une conception peu établie de l’activité en raison d’une transposition didactique délicate amplifiée par la confusion entre activité sportive et activité artistique !

Où est le problème ?

En 2004, D. Caty, posait légitimement la question : « cette activité pourra-t-elle longtemps résister à une telle diversité si on ne détermine pas ce que les élèves apprennent ». Si l’acrosport a non seulement résisté mais s’est développé, a t-il pour autant tenu ses promesses ?
Du point de vue de l’éducation physique des élèves, le pari a-t-il été gagné ? Vise-t-on mieux des apprentissages gymniques ? Donne-t-on à tous et toutes la possibilité de vivre les émotions et de se transformer grâce à une activité acrobatique ? De même, l’introduction de musique voire d’éléments expressifs, clownesques, ne crée-t-elle pas une atmosphère synonyme plus de « détente » que d’étude ? L’enseignement de l’acrosport, sans remplacer celui de la gymnastique, ne vient-il pas remplacer celui de la danse ou des arts du cirque, sans pour autant faire vivre une démarche artistique ? Cet enseignement hybride demande à être bien mieux identifié. Dans sa visée habituelle, ce ContrePied souhaite interroger la pratique scolaire au regard des enjeux culturels.

L’acrosport : une activité sportive, une activité gymnique

Bien comprendre la pratique de référence nous semble déterminant pour éviter les malentendus et construire un enseignement porteur de ses enjeux.
L’acrosport est d’abord une activité sportive dans le sens où ce qui fonde l’activité est la confrontation médiée par un code à d’autres sportifs/tives.

L’acrosport est d’abord une activité sportive dans le sens où ce qui fonde l’activité est la confrontation médiée par un code à d’autres sportifs/tives.

Le but est de réaliser une performance la meilleure possible, mesurée par une note[[Voir l’article de P. Danino : Sports et arts corporels]].
C’est encore « une activité à vocation acrobatique de type gymnique[[Musard, M. L’acrosport en EPS : réalité(s) et problèmes – Revue Contre Pied n° 16, février 2005.]] » sa récente appellation le conforte ! Nous nous retrouvons dans la définition de C. Berthelot mettant en avant l’interdépendance de la confrontation au risque. Définir l’acrosport comme une activité collégiale de prise de risque et de maîtrise du risque s’inscrit dans « les règles du jeu essentielles et contradictoires des activités gymniques [[Robin, JF. La gymnastique : un jeu de règlesRevue ContrePied n°16, février 2005.]] ».
Dans des numéros acrobatiques ou de mains à mains, le jeu n’est plus le même ! On y cherche à impressionner les spectateurs/trices par la force, la souplesse, l’équilibre et l’agilité. L’effet spectaculaire est donc recherché, et puisqu’il s’agit de spectacle, aucun code écrit n’est à respecter, pas de hiérarchisation des figures, aucun·e juge n’évalue. En cirque contemporain, les numéros s’inscrivent dans un projet expressif[[ Voir l’article de Xavier Lavabre, Compagnie de Cirque XY et le site http://www.ciexy.com]] et cherchent à faire sens en présentant un propos. L’intérêt est dans la « mise en corps » de l’intention. La finalité est la production d’une émotion d’ordre esthétique, en particulier par une construction poétique du monde et de soi.
En acrosport, les performances, la compréhension du code, la valeur des figures sont déterminantes.
Pour les élèves cette clarification est cruciale, ce qui ne supprime pas l’éventuelle émotion d’un spectateur/trice d’acrosport engendrée par le risque pris dans la figure acrobatique, le risque de chute et la maitrise technique de la réalisation.
Certes une part de l’évaluation est réservée à la dimension « artistique » usant de critères esthétiques définis par le code. Dans une activité vue et jugée, le but est aussi de séduire, impressionner les juges par la réussite d’exploits ! La dimension esthétique, liée à l’excellence de la réalisation, la perfection des enchaînements, aux éléments dits chorégraphiques est donc présente dans le code pour départager, quand en danse ou en cirque, elle l’est pour émouvoir un public.

Une activité collégiale

Bien redéfinir l’acrosport permet de mettre l’accent sur son intérêt éducatif spécifique. Celui-ci porte sans aucun doute sur le fait qu’aucune figure ne peut être réalisée seul·e, le/la voltigeur·e ne peut rien faire sans les porteur·e·s et le/la voltigeur·e doit être attentif/ve à ses porteur·e·s. Ainsi par exemple, dans les figures dynamiques l’impulsion n’est pas prise par le/la gymnaste mais transmise par les porteur·e·s. Même dans des figures simples, le/la voltigeur·e doit garder un corps gainé pour favoriser sa rotation sans mettre en danger ses porteur·e·s.
Les responsabilités sont intimement partagées, la réussite dépend de la justesse des actions des porteurs/porteuses, voltigeurs/voltigeuses et pareurs/pareuses et de leur coordination… qu’il faut apprendre et comprendre.

Les responsabilités sont intimement partagées, la réussite dépend de la justesse des actions des porteurs/porteuses, voltigeurs/voltigeuses et pareurs/pareuses et de leur coordination… qu’il faut apprendre et comprendre.

En finir avec les savoirs cachés pour apprendre en sécurité

Il est impératif de dévoiler aux élèves ce qu’il faut apprendre. Les comptes rendus de pratique exposés rompent avec un enseignement programmé par fiches dans lesquelles les élèves ne savent pas ce qu’il faut apprendre pour réussir. Le guidage est très serré, l’ordre des figures à apprendre est imposé, les procédures de travail et les règles énoncées. Les actions à coordonner sont démontrées, expliquées et rappelées dans les fiches élèves, des vidéos sont disponibles. Les « Petits Riens » sont consacrés aux prises qu’il faut connaître, apprendre et utiliser à bon escient. Les « Pratiques » nous font faire un pas en avant pour permettre aux élèves de prendre des risques, de s’envoyer en l’air grâce aux autres en toute sécurité !

Le code

C’est évidemment le « nerf de la guerre ». Son élaboration est un enjeu crucial puisqu’à travers lui sont choisis les savoirs, les contenus, les techniques, les prises à apprendre et maîtriser.
L’ensemble des spécialistes de l’activité et les auteur·e·s de ce numéro sont tous et toutes partisan·e·s de construire et imposer un code resserré, évolutif dans la difficulté selon le niveau de pratique, dont la réalisation des figures contraint à des apprentissages déterminants. C. Berthelot explicite les éléments à prendre en compte pour juger de la difficulté de la figure. Ils et elles considèrent que la création d’un code par les élèves, même en précisant les positions des porteur·e·s et/ou voltigeur·e·s n’est pas pertinent dans la mesure où la réalisation de figures ne s’improvise pas mais s’apprend, passe par des étapes à valider. Ce serait pour eux, elles, dangereux pour les élèves. En revanche, que les élèves réinvestissent des apprentissages pour réaliser d’autres figures est possible, dans des conditions extrêmement précises et de manière très guidée. Enfin, la polémique statique/dynamique n’a pas lieu d’être puisque même les figures statiques sont dynamiques ! Le montage et le démontage en font partie, ils sont faits de mouvement et nécessitent la maîtrise de techniques, le maintien de la figure (qui ne dure que 3 secondes) témoignant de leur efficacité[[Voir la controverse de Claude Berthelot]].
D’autres propositions existent, singulières, avec un parti pris dynamique exclusif.

Quelle articulation entre gymnastique et acrosport ?

Toutes les propositions montrent combien ces deux activités se complètent, chacune ayant pour objet l’acrobatie. Pratiquer l’acrosport à un certain niveau de difficulté impose de maîtriser certaines actions gymniques. Tandis que l’acrosport permet d’apprendre grâce aux autres et aux actions combinées voltigeur/porteur, la gymnastique permet d’apprendre dans des situations et conditions diverses qu’offrent les agrès.

Porteuse/voltigeur, filles et garçons

Dans les pratiques fédérales de haut niveau, si les rôles ne sont pas réversibles (les gymnastes que nous avons interrogées le disent dans la rubrique « Résonance » : on ne peut plus être voltigeuse quand on grandit trop ou quand on prend du poids), les groupes mixtes n’échappent pas aux stéréotypes : le rôle de porteur·e est quasi toujours tenu par un garçon et le garçon ne voltige pas bien que le règlement ne l’impose pas.

« les porteurs ne sont pas obligatoirement les garçons, la voltige n’est pas réservée aux filles.

Les auteur·e·s de ce numéro insistent pour que dans un premier temps, suffisamment long, tous et toutes les élèves apprennent les actions et comprennent les principes spécifiques à tous les rôles. Se confronter aux exigences de chaque rôle, c’est aussi contribuer à changer les représentations des élèves : les porteurs ne sont pas obligatoirement les garçons, la voltige n’est pas réservée aux filles. à nous, enseignant·e·s d’être vigilant·e·s pour solliciter par exemple des porteuses et des voltigeurs lors de démonstrations.
Autre question concernant “garçons” et “filles” : construire la mixité des groupes et, au sein de chaque groupe, des rôles, est un processus qui demande sans aucun doute du temps. Profitons de toutes les occasions (dès l’échauffement et avec des formes ludiques si nécessaire) pour solliciter nos élèves à travailler avec l’autre sexe afin de mettre un « coin » dans des présentations stéréotypées sur lesquels Cécile Ottogalli revient.

Article de Sylvaine Duboz paru dans le Contrepied Acrosport

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