Pour des raisons multiples l’acrosport s’est progressivement substitué à la gym, mais faute d’une référence sociale bien établie, le pragmatisme professionnel s’est imposé avec un usage quasi exclusif de « posters » qui suggèrent une vision statique de l’activité. Pour Claude Berthelot, formateur, « si le statique garde une place légitime, sa survalorisation est un cul-de-sac pédagogique et sécuritaire ».
Nous l’avons dit par ailleurs, l’acrosport scolaire émerge dans les années 90 sans analyse didactique préalable. Aujourd’hui, l’analyse instable de cette activité attire notre attention sur le pont particulier du rapport entre le statique et le dynamique. La culture scolaire de l’acrosport a démesurément enflé la part dédiée au statique. Il en résulte une approche pédagogique figée, qui peine à trouver du sens, et qui potentiellement expose élèves au risque. Cet article propose d’en étudier le mécanisme.
Une représentation sociale réduite
Il n’y a pas, en France, de pratique sportive préalable à l’introduction de l’acrosport en EPS. Les activités sociales, qui s’y apparentent le plus, sont celles du music-hall et du cirque, ainsi que certaines pratiques paramilitaires, pompiers principalement.
Cette représentation sociale des pyramides, du « mains à mains » est saturée d’exercices réalisés lentement, en force, et le plus souvent statiques. Les pratiques sportives actuellement présentes en France et en Europe occidentale naissent et évoluent à partir des années 90. Elles s’adossent à des pratiques sportives d’Asie et d’Europe centrale. Ce sont ces pratiques sportives qui vont largement proposer une approche dynamique et acrobatique.
Un désert didactique qui conduira à une impasse pédagogique.
Le désert didactique en question n’est de la faute ni de la responsabilité de quiconque. Il est un état de fait.
Il contraint lourdement toutefois les enseignant·e·s, qui à la fin du XXème siècle, se jettent très nombreux dans l’enseignement d’une discipline qu’ils/elles connaissent peu, voire pas. Ils/elles vont donc devoir composer avec leur propre culture, les attentes institutionnelles, les attentes des élèves, et les moyens disponibles pour enseigner dans leur établissement. À cet instant, les supports pédagogiques manquent cruellement.
Une dictature des posters?
Dans une perspective opérationnelle et très pragmatique, les enseignant·e·s d’EPS s’appuieront prioritairement, et souvent durablement, sur des glossaires, des taxonomies, des classement de pyramides. Nous les dénommerons ici : posters.
Ces posters ont le mérite de « figurer » un des éléments constitutifs de cette discipline sportive. Cette figuration vaudra tant pour les élèves que pour les enseignant·e-s. De prime abord donc, ce recours aux posters est parfaitement compréhensible et pertinent. Ce qu’il faut ici interroger, ce sont les conséquences, impropres et néfastes le plus souvent, de cet usage largement réparti.
À bien y réfléchir, ces posters réduisent l’acrosport aux seules pyramides statiques.
À bien y réfléchir, ces posters réduisent l’acrosport aux seules pyramides statiques. C’est bien entendu une erreur, aux implications plus lourdes qu’il n’y paraît. Corollairement, cette centration restreinte sur le statique se révèle incomplète. Montages et démontages restent secrets, inconnus, et d’une certaine façon présentés comme de peu d’intérêt. En tout cas pas suffisamment pour qu’on ne s’inquiète pas de les enseigner véritablement. Le démontage, grand absent de l’intention didactique en éducation physique génère l’occasion de descentes précipitées, d’instabilité, voire de chutes. Nombre d’accidents y trouvent des circonstances favorables.
Une survalorisation indue du statique sur le dynamique
Confondus, les éléments décrits plus haut conduisent la profession à se méprendre sur la part du dynamique en acrosport.
Présenté au travers des pyramides statiques l’acrosport est « conçu » comme une activité statique. La part du dynamique s’en trouve réduite, voire omise. À bien y réfléchir, cette activité sportive ne se construit que sur du mouvement.
« Ce qui est structurant est cet équilibre improbable en lui même et non son arrêt. Ainsi donc l’acrosport n’est que mouvement, qui ne s’arrête qu’en de rares occasions, lors de la stabilisation des statiques. »
Les déplacements entre les pyramides, les pyramides dynamiques, le montage et le démontage des statiques sont du mouvement, seules les trois secondes d’arrêt des pyramides statiques interrompent le mouvement. Cette portion, extrêmement congrue, de la pratique influence lourdement la vision déduite par nombre d’enseignant·e·s. Ces trois secondes d’arrêt ne constituent pas un élément structurant de l’activité. Elles témoignent de la maîtrise de l’équilibre instable ou improbable de la pyramide statique. Ce qui est structurant est cet équilibre improbable en lui même et non son arrêt. Ainsi donc l’acrosport n’est que mouvement, qui ne s’arrête qu’en de rares occasions, lors de la stabilisation des statiques.
Le dynamique règne donc en maître sur l’activité.
Une incompréhension du dynamique. Il n’expose pas à davantage de risque
Perçues parfois comme un niveau d’exposition accru au risque, les pyramides dynamiques sont reléguées à des apprentissages ultérieurs. Mais tel n’est nullement le cas. Statiques et dynamiques sont de natures différentes.
Le dynamique mérite cependant, au plan scolaire, une définition moins exigeante que celle retenue au plan fédéral.
On considérera comme dynamique tout élément collectif scolaire qui génère du mouvement pour un membre du groupe sur les seules ressources du groupe.
L’approche sportive de cette notion oriente le mouvement vers le vol et la rotation aérienne. Cette perspective est fort peu accessible milieu scolaire.
Ce cadre général du rapport statique-dynamique donne l’occasion d’affiner la définition du statique scolaire.
Une pyramide dite « statique » est un mouvement collectif d’association-maintien-dissociation d’un groupe.
Elle ne se limite en aucun cas à la présentation d’une photo, identique au poster. L’immobilité requise, de trois secondes, témoigne de son contrôle par les membres du groupe. Elle est achevée quand chacun a retrouvé son propre équilibre
Ainsi donc, l’apprentissage du statique et du dynamique se feront utilement en même temps, dès les apprentissages premiers avec des prises et des techniques spécifiquement dédiées.
Le statique ne prépare pas au dynamique
Dans la même veine, le statique est souvent présenté comme une propédeutique du dynamique. L’idée sous-jacente prolonge la représentation d’un statique moins complexe que le dynamique. Ces deux types de pyramides ne fondent pas un continuum. Parallèles plutôt que consécutives leurs natures différentes se complexifient diversement. On ne peut donc retarder l’approche du dynamique, et encore moins l’éluder. Le statique n’y prépare pas.
Les techniques du dynamique facilitent et sécurisent le statique
Enfin, et comme dernier point de ce paragraphe, inquiétons nous de la nature des démontages et des démontages. Ces phases, absolument cruciales de l’apprentissage de l’acrosport, concentrent majoritairement les enjeux sécuritaires. Dynamiques par nature, elles visent à fournir des possibilités de contrôles réciproques et d’appuis orientés. Elles requièrent donc une maîtrise des prises, des méthodologies de montage, et de la synchronisation des actions. Autrement formulé, les techniques du dynamique qui génèrent et contrôlent le mouvement du voltigeur·e, sont autant de moyens d’installer et de désinstaller les pyramides statiques. Le statique s’en trouve de fait assujetti au dynamique.
Pour conclure, si le statique garde une place légitime en acrosport, sa survalorisation est un cul-de-sac pédagogique et sécuritaire.
C’est bien le rapport statique/dynamique, où le dynamique prévaut, qui offre les bases d’une analyse féconde de l’activité.
Il interroge et rénove :
- Les approches pédagogiques (enseignement frontal et contrôlé des prises, à l’instar de l’assurage en escalade, statique et dynamique enseignés de front).
- Les fonctions dévolues aux prises.
- Les critères d’évaluations (fluidité des montage-démontage et des liaisons inter pyramides).
Article sgné Claude Berthelot paru dans la revue Contrepied Acrosport