L’enseignement de l’acrosport est-il devenu mature en 2016?
Claude Berthelot, enseignant en Staps à Paris, revient ici sur ce qui fonde cette activité malmenée qu’est l’acrosport. Il renverse les idées reçues et propose une approche didactique de l’acrosport respectueuse de la pratique sociale tout en prenant en compte les contraintes scolaires.
Voici bien une question singulière à propos d’une activité sportive qui figure aujourd’hui massivement dans le corpus des contenus proposés aux élèves en éducation physique et sportive. On peut bien sûr imaginer que les 25 années de présence en éducation physique ont modifié considérablement la façon d’aborder cette discipline sportive. Incontestablement, nombre d’incertitudes qui ont marqué les années 1990 laissent place à une analyse plus pertinente. Particulièrement, la prépondérance de la perspective acrobatique apparaît majoritairement admise.
Nombre de problèmes subsistent toutefois. Ils s’ancrent dans le fait qu’il manque toujours, aujourd’hui, une vision globale et cohérente de la nature de cette activité physique autant que de son bien-fondé en EPS. La place de cette APS n’est plus guère contestée. Elle est programmée, enseignée, évaluée. Elle a également donné lieu à une floraison pléthorique de comptes-rendus d’expériences réalisés par des collègues. Internet en a été le vecteur. Cela participe à l’échange d’idées, de procédures, sans pour autant organiser d’authentiques débats sur la place de l’acrosport en EPS.
Tout fonctionne alors comme si la centration sur les procédures avait occulté, au mieux remisé, le débat sur les contenus.
Une vraie difficulté à cerner la pratique sociale de référence
Quelques milliers de licencié·e·s à peine, une médiatisation quasi nulle, des équipes de France produisant un travail de qualité et quelques médailles internationales. Celles ci restent insuffisantes toutefois pour faire de la France un pays leader de cette discipline. Les enseignant·e·s d’EPS se trouvent donc assez dépourvu·e·s de références, d’images et de compréhension fine de cette activité. Le plus souvent ils, elles n’en glanent que quelques reflets, éparpillées sur le net. Sans moyen de les décoder finement, ils/elles induisent souvent une survalorisation d’une prétendue visée artistique ou chorégraphique. Si cette dernière est présente dans les conditions de passation des épreuves de compétition, elle ne constitue pas un élément structurant des apprentissages premiers. Les costumes des gymnastes, une expressivité appuyée, une relation soutenue au support musical semble fonder cette analyse erronée. Particulièrement, l’ignorance d’une note essentiellement construite sur la valeur de difficulté des pyramides conduit nombre de collègues à ne pas en mesurer la primauté absolue. Sans analyse, le seul constat des épreuves de compétition n’éclaire que très incomplètement la nature profonde de l’activité. En conséquence de quoi l’élucidation de la structuration des apprentissages de débutants reste obscure.
La référence à l’esthétique davantage encombrante que productrice de sens
La préoccupation esthétique ne semble faire de doute pour personne. Ce point là n’apparaît pas discutable a priori. Toutefois à bien y regarder un lourd contresens se fait jour ici
Nous insistons sur le fait qu’il n’y a pas d’intention esthétique a priori dans la réalisation d’une pyramide. Il faut, dans l’ordre, régler les problèmes d’organisation, de montage, de prise, de sécurisation et, de façon essentielle, de démontage. L’ensemble de ces étapes et techniques, in fine, dégage une impression esthétique, elle-même dépendante du niveau de maîtrise. L’idée ici défendue est que l’esthétique n’est pas là pour elle-même, mais quelle témoigne, en conséquence, du niveau de maîtrise du groupe. Ce point est absolument essentiel puisqu’il modifie autant l’analyse de l’enseignant, que la représentation des élèves et leurs intentions d’action.
Quand, plus avant dans les apprentissages, se pose la question de la création d’un enchaînement qui dépasse la simple juxtaposition des pyramides, on retrouve la préoccupation esthétique. C’est à nouveau la maîtrise de la motricité engagée dans les démontages, déplacements, remontages, et translations réalisés par le groupe qu’une esthétique de conséquence émergera. Pour être assez radical sur cette analyse nous croyons qu’il faut débarrasser les élèves et les enseignants de toute intention esthétique dans l’approche de cette activité en éducation physique. Cette intention ne deviendra signifiante qu’à la condition de s’appuyer sur des éléments dont la réalisation motrice est maîtrisée. C’est à dire tard, voire jamais, en EPS.
On débarrasse aussi la préoccupation esthétique du souci qu’elle existe pour elle-même. Elle se trouve assujettie, en acrosport, à des apprentissages moteur, collectifs.
Une approche encombrante de la chorégraphie
Comme on peut le regretter pour l’esthétique, et de façon relativement corrélée, la compréhension de la chorégraphie mérite des éclaircissements. En effet, la chorégraphie semble être requise en vue d’apporter un supplément d’âme et « d’esthétique » à la somme des pyramides. Souvent présentée ainsi par les enseignant·e·s, les élèves la perçoivent comme une injonction formelle.
Ce qu’une chorégraphie permet en premier lieu, c’est l’écriture du mouvement. Non pas sur le papier comme c’était le xviie siècle, mais l’inscrire dans le temps l’espace et le groupe. Savoir ce que chacun·e fait (quel rôle, quelle fonction, quelles actions). Ce que chacun·e fait, à quel moment il/elle le fait et à quel endroit, structure l’intention chorégraphique.
« Pour être assez radical sur cette analyse nous croyons qu’il faut débarrasser les élèves et les enseignants de toute intention esthétique dans l’approche de cette activité en éducation physique. »
Particulièrement, la fluidité des actions c’est-à-dire un enchaînement quasi ininterrompu sera un indicateur pertinent du niveau d’organisation du groupe ainsi que des contenus techniques. à terme, et au delà de cette première étape, les enchaînements pourront s’enrichir de tout élément moteur dont la maitrise apparaisse comme une authentique plus value.
Une vraie difficulté à repérer les éléments de complexification de la motricité
La complexité motrice, entendue comme l’ensemble des critères dont il faut tenir compte dans la même action, ne se laisse pas approcher aisément en acrosport. Sa nature multifactorielle, ses implications interdépendantes entre les membres du groupe, compliquent l’analyse.
L’enjeu majeur, en EPS, consiste bien à séparer ce qui relève de la nature de ce qui est fait, du niveau de maîtrise dont témoigne la réalisation. Le classique distinguo entre difficulté et exécution y prend sa source.
L’absence de clarification de ce débat maintient les enseignant·e·s et les élèves dans une zone sémantique où difficulté et complexité se distinguent avec peine. Or, la difficulté s’entend comme le rapport existant entre les exigences de la tâche et les possibilités du sujet. C’est donc une notion relative. La complexification consiste à objectiver la motricité, autorisant une connaissance, une organisation et un classement possible des pyramides. Organisé·e-s par leur vécu, les élèves se cantonnent à l’approche de la difficulté. Comprendre que la motricité de l’acrosport s’organise en dehors de leurs possibilités d’agir, qu’elle témoigne d’une structure qui lui est propre, accompagne les élèves vers une meilleure connaissance du monde. Il en va de même pour les voies d’escalade dont la cotation ne varie pas selon l’élève qui s’y confronte.
Le monde sportif, lui, s’appuie sur un collège de spécialistes pour classifier les pyramides entre elles. Leur expertise assure la cohérence du code de pointage. Scolairement, la réduction du nombre de critères pertinents de complexification s’impose. La moindre étendue des possibilités techniques des élèves autorise cette réduction.
À la réflexion, quatre critères retiennent l’attention pour le statique :
– la hauteur globale de la pyramide (plus elle est haute, moins elle est stable)
– le nombre d’élèves renversé·e·s dans la pyramide (plus il y en a, moins elle est stable)
– le nombre d’élèves occupant des postures inter dépendantes.
– La réduction de la surface d’appui au sol (plus cette surface est réduite moins l’équilibre global de la pyramide est assuré)
Ces quatre critères, combinés entre eux, rendent compte de l’essentiel des productions motrices scolaires. On note cependant que ces perspectives ne peuvent être saturées toutes en même temps. Ainsi, des stratégies de construction de pyramides s’ouvrent-elles aux élèves. Certain·e·s, en fonction de la valorisation des critères mise en place par l’enseignant, auront des stratégies tantôt sur la hauteur, tantôt sur le renversement tantôt sur l’interdépendance…
Concernant les dynamiques deux critères apparaissent pertinents : la quantité de rotation appliquée au voltigeur-e par le groupe (1/4, 1/2, 3/4, 1), et la hauteur de cette rotation (sur le sol, en dessous du niveau des épaules des porteur-e-s, au niveau et au dessus des épaules des porteur·e·s, éventuellement avec une phase aérienne).
On n’oublie pas que toute simplification trahit quelque peu l’objet de référence. Toutefois, le peu de critères retenus, autant que leur constance sur l’ensemble du curriculum, autorise d’envisager un accès authentique à la culture des disciplines acrobatiques.
Les vertus d’une création contrainte, l’activité combinatoire de l’acrosport
Disons le clairement, l’acrosport n’offre pas de base à la formation à la création artistique. Ce n’est pas sa nature d’activité sportive, codifiée, objectivée. Bien que chorégraphiée, et en musique la proposition de cette APS se fonde sur une créativité restreinte. Cette affirmation ne limite en rien sa portée éducative, elle la spécifie, elle l’oriente, elle lui donne du sens.
Le « jeu » de l’acrosport consiste à construire une motricité extra–ordinaire, collégiale et acrobatique. Elle ne peut se soustraire à l’exigence première de sécurité de ses membres. Ce faisant, les prises et leurs fonctions, les fonctions et actions inhérentes à chacun des rôles du groupe, la compréhension des enjeux relatifs au démontage constituent un ensemble curriculaire réclamant d’avoir été enseigné et acquis par les élèves. Une compétence se fait jour, tant motrice que méthodologique, conduisant les élèves à une possibilité d’agir sans hypothéquer la sécurité de chacun-e. Dès lors on peut envisager de ne pas standardiser les productions d’élèves autour de glossaires ou posters de pyramides. Varier les montages et démontages, particulièrement sur les statiques, asservir les démontages aux exigences « chorégraphiques » de l’enchaînement, comprendre les prises comme des moyens d’agir au sein du groupe enrichissent et diversifient les productions d’élèves. Une activité combinatoire s’amorce ici, à partir d’éléments techniques préalablement maîtrisés. La double perspective d’une innocuité pour tous et toutes et de productions différenciées trouvent ici un développement crédible. On n’envisage donc pas une création ex nihilo mais bien une créativité combinatoire et contrainte associant, pour chaque groupe, des éléments techniques préalablement maîtrisés.
La perspective créative se trouve ici circonscrite dans les enjeux sécuritaires, techniques, et moteurs. Cela en fonde la vertu éducative. L’originalité, la singularité, l’appropriation de l’enchaînement, trouveront ici à s’épanouir au profit des élèves.
Le rôle ultra dominant du porteur·e
Massivement la compréhension de l’acrosport intègre deux rôles principaux, porteur-e et voltigeur-e. Accessoirement le rôle de pareur-e est adjoint. En soi, ces deux termes semblent impliquer que le poids de l’un-e, le voltigeur-e, sera pris en charge par l’autre, le porteur-e. Sans être totalement erronée, cette analyse limite les fonctions assignées à chacun des deux rôles. Elle conduit également à survaloriser l’importance du voltigeur-e sur le porteur-e. Or, disons le clairement, le rôle ultradominant est celui du/de la porteur-e.
C’est bien celui, celle qui organise et sécurise les montages en offrant des appuis solides et dynamiques. Il/elle stabilise les phases de maintien en verrouillant les contacts avec les voltigeur-e-s. Il/elle offre également des appuis de contrôle à des fins de démontage et de stabilisation des réceptions.
À l’initiative des mouvements, le porteur-e est lourdement investi-e de la responsabilité de la sécurité du voltigeur·e.
« Ces prises constituent le véritable lieu où s’instrumentalise l’intérêt éducatif de l’acrosport en EPS. Elles sont le moyen d’agir collectivement en direction d’une motricité extra–ordinaire, acrobatique et maîtrisée. »
Ce dernier recherchera des appuis sur le porteur·e, en attendra les commandements, et se montrera le plus indéformable possible de sorte à subir les régulations posturales venues du porteur·e.
Le porteur·e décide. Le porteur·e fait monter. Le porteur·e stabilise. Le porteur·e fait descendre. Le porteur·e équilibre à la réception.
Le voltigeur·e attend les commandements du porteur·e, se déforme le moins possible, et fait confiance. L’asymétrie des deux fonctions est énorme. L’essentiel des manquements, autant que des réussites, dépend de l’activité du porteur·e. Le pédagogue éclairé s’inquiétera toujours en premier lieu d’observer le comportement du, ou des, porteur·e·s.
On comprend de ce qui vient d’être dit que l’élucidation préalable des actions des porteur·es conditionne très largement la réussite de la pyramide autant que son innocuité.
Enseigner l’acrosport nécessite de clarifier ce que sont les rôles, quelles sont les fonctions qu’ils engagent, et quelles sont les actions qui les rendent efficaces.
Les pauvres déshéritées : les prises et leurs fonctions
Au rang des actions organisatrices, les prises sont souvent les grandes oubliées, au mieux les grandes incomprises. La fonction qui leur est assignée se limite le plus souvent à celle d’un contact.
Or elles doivent viser, le plus souvent possible, à la possibilité d’interactions réciproques. En effet elles doivent jouer le rôle d’appui orienté, dynamique, stable et sécurisant. Leur définition rigoureuse conditionne tant la réussite des mouvements que la sécurité de l’enseignement. Scolairement parlant, ces prises ne sont pas aussi nombreuses que celles que l’on trouve dans le monde de la compétition. On en trouve partout des glossaires suffisants. Leur lecture requiert l’attention du professeur·e sur des prises les plus larges possibles sur le voltigeur·e visant un contrôle du porteur·e sur l’équilibration du voltigeur·e.
Ces prises constituent le véritable lieu où s’instrumentalise l’intérêt éducatif de l’acrosport en EPS. Elles sont le moyen d’agir collectivement en direction d’une motricité extra–ordinaire, acrobatique et maîtrisée. Sans elles, l’acrosport reste un arrangement de la motricité usuelle. Les interdépendances posturales, les interdépendances sociales, les interdépendances sécuritaires ne peuvent prendre corps sans un recours éclairé à des prises efficaces.
Une approche de la sécurité restreinte à des prescriptions et des interdictions et déportant le problème hors le groupe là où celui-ci possède les moyens d’y faire face
L’accidentologie de l’acrosport renvoie le plus souvent à des circonstances mal maîtrisées de démontage, voire d’écroulement. Cette situation, regrettable, répond au fait que l’anticipation sur les actions de démontage est insuffisante, ou inexistante, ainsi que la maîtrise des prises les rendant possibles.
S’il est bien une modalité de sécurité qu’illustre cette pratique sportive c’est bien celle d’une sécurité active.
On entend par là, cette sécurité qui dépend strictement des actions concertées et maîtrisées des membres du groupe. L’attention du/de la pédagogue, ne manquera donc pas de se centrer sur l’enseignement des prises et techniques de montages-démontages, sur l’éducation sociale de la responsabilité des porteur·e-s vis-à-vis des voltigeur·e·s. À terme, l’enseignant·e vise une compétence à réduire collectivement l’occurrence des situations dangereuses, tout autant que de maîtriser les moyens d’y faire face lorsqu’elles surviennent.
Les dispositifs usuels de sécurisation, tapis et parades, gardent toute leur pertinence.
Cette sécurité passive présente toutefois l’inconvénient de concentrer les préoccupations sécuritaires des élèves et des professeur·e·s, au détriment d’une analyse fonctionnelle des actions du groupe.
La maîtrise des prises, l’anticipation sur les actions, le souci d’un démontage contrôlé, fonde le creuset d’une véritable autonomie de la sécurité par le groupe, et pour le groupe.
On le voit, l’EPS avance de façon pragmatique et inductive sur son approche didactique de l’acrosport. L’enjeu d’une éducation sociale, d’une motricité interdépendante de confrontation au risque, constitue le point central de l’intérêt de cette discipline au sein de l’école. Cerner les enjeux moteurs, les techniques et leur maîtrise, fondent un creuset de réflexion ouvert pour les années qui viennent.
Article de Claude Berthelot, enseignant en Staps à Paris, paru dans la revue Contrepied Acrosport