Le foot à l’école Simple brouille ou divorce consommé ?

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 Pour Alain Becker, membre du bureau du Centre EPS et Société, une part essentielle de l’EPS (les savoirs disciplinaires en jeu, la réussite, l’échec…) se confond avec ce qu’elle enseigne (ou n’enseigne pas…), avec les matières et les sujets qu’elle met (ou non) à l’étude des élèves. Cet article constitue l’introduction du numéro de la revue Contre Pied consacré au football.


Christian Couturier dans le précédent numéro explore cette question en montrant que le phénomène « badminton » scolaire nous parle plus du réel de l’EPS, que nombre de discours noosphèriques, ou institutionnels. Tout aussi révélateur et a contrario du cas précédent, est la quasi disparition du foot des programmations d’établissement, des évaluations et examens nationaux.

C’est le sujet de ce numéro, avec d’emblée un parti pris, nous voulons réhabiliter le football à l’école, comme mode possible d’éducation pour toutes et tous. C’est un pari. Jusqu’où est-il d’ailleurs tenable ? D’abord parce la quasi disparition du foot à l’école est une histoire ancienne [[Emmanuel Martinez interpelait déjà la profession dans les années 70
sur le sujet dans le bulletin du Snep.]]. Mais plus, il est « victime » d’une culture professionnelle du « no foot », propre à l’éducation nationale. Facteur d’émotions, d’engouements, de passions parfois non contrôlées, de désordres, populaire, il pose des problèmes à l’EPS.

L’école peut-elle donc s’y reconnaître ? Peut-elle encore y reconnaître des buts, des valeurs qui auraient leur place dans une institution qui continue de hiérarchiser les savoirs et plus rompue, c’est un fait, à la promotion d’un certain ordre scolaire, des élites qu’à celle des plus défavorisés ? Avec comme type d’explication encore, que le foot, que la culture foot, que le footeux constitueraient des sortes d’archétypes des dérives d’un certain sport, du sportif voire, qu’il serait (le foot), à lui seul, le sport qu’on n’aime plus ou qu’on n’a jamais aimé. Le système foot le plus médiatisé a une part de responsabilité dans le désamour qui s’exprime.
Enfin pour revenir au rapport de l’école au football, qu’a-t-il donc d’intéressant, ce sport, à offrir à l’EPS, que promet-il à chacun et chacune du point de vue de leur développement et donc de leur émancipation?
En quoi son incontestable universalité, lui attribue-t-elle d’office un visa pour l’école ?
Enfin s’il se révèle apte pour éduquer, comment fait-on pour qu’il soit « rendu » à toutes et à tous ?

« Qu’a-t-il donc d’intéressant, ce sport, à offrir à l’EPS, que promet-il à chacun et chacune du point de vue de leur développement et donc de leur émancipation?

Un jeu malade du sport ?

La qualification de l’équipe de France pour les mondiaux sud-africains (la main d’Henry), a suscité de nombreuses controverses. Elles ont opposé, les partenaires du « simple fait de jeu », du « pas vu pas pris » [[Déclaration publique de madame Bruni Sarkozy.]], minoritaires dans l’opinion publique, au camp d’une certaine éthique dans le sport. Les enquêtes l’ont exprimé, pour une majorité de citoyen(ne)s, l’essentiel n’est pas de gagner et tous les coups ne sont pas permis. Le foot ce n’est pas la vraie vie, celle des plans sociaux, de la concurrence sociale, des discriminations, de la triche, de l’injustice. Il ne peut être le miroir de cette société-là. « Il doit continuer à faire rêver les enfants ».
Préfigurant sans doute la triste aventure de l’équipe nationale, ils disaient même se désintéresser de la compétition. Véritable épine dans le talon des instances nationales et internationales du football, cette réaction morale ne fait que symboliser une lente dégradation du rapport qu’entretiennent les populations avec les excès du foot/système actuel.
Financiarisation et gigantisme, indécence salariale et environnementale, marchandisation, voire « traite » des joueurs, violences, tricheries, dopage, discriminations, sexisme, tout le monde a cela en tête et sait justement les problèmes que pose cette réalité à l’école.
Ce foot-là porte en lui les germes de son auto destruction. Ses dirigeants semblent en avoir conscience mais… On comprend dès lors l’exigence, chez certains de ceux qui restent attachés au jeu de football, de rupture avec ce football, avec ce sport-là.
Cela s’est exprimé au 7e colloque international « football et recherche » de mai 2013. D’autres encore accusent le football médiatique et financier d’empêcher la créativité, de tuer le jeu… mais aussi de se « dépopulariser ». Mais c’est un autre point de vue que développe ici Pierre Arrighi. Il plaide, lui, pour le caractère unitaire et créatif de tous les « foots » qu’il décrit comme des jeux populaires et non des sports… Voilà donc un bon sujet de discussion. Et les controverses sont nombreuses. Ses règles seraient, simples pour d’autres, complexes, fondamentales, ou pas (le hors-jeu) et leur utilisation, leur respect, leur arbitrage arrivés ou non au bout de leur histoire… Quid encore de ses valeurs, supposées ou bien réelles ?
Pour une part cela se transpose au plan scientifique, (histoire, anthropologie, technologie, didactique, pédagogie) mais aussi professionnel : interrogations sur l’objet même, sur la façon de le formaliser, de l’analyser, de le transmettre et de l’apprendre. Précisément sur le plan anthropologique, la rupture entre jeu et sport, tient-elle ? Du moins peut-on la poser comme hypothèse sans préalablement revenir sur la définition même du sport ? Entre celle qui le réduit à une simple activité physique et celle qui ne voit d’existence possible pour lui, qu’hyper institutionnelle et sélective, il y a place, nous semble-t-il pour des pratiques qui articulent, en l’occurrence, la dimension ludique du foot (comme jeu de règles) et une compétition éducative aux formes renouvelées ; place aussi pour des pratiques de haut niveau investies de responsabilités sociales et culturelles nouvelles, bref citoyennes au sens fort du terme. C’est du moins le pari que nous voulons faire. Il peut advenir, selon nous un sport football doublement émancipateur, d’abord par les savoirs, les pouvoirs nouveaux, qu’il propose, ensuite, tel que nous le concevons, par la possibilité qu’il offrirait d’échapper aux formes réductrices, aliénantes, qu’il peut prendre aujourd’hui.

Il peut advenir, selon nous un sport football doublement émancipateur, […] nous voulons que les acteurs du foot (apprentis-joueurs, joueurs, arbitres, spectateurs, formateurs) en reprennent possession.

Le foot est un bien public, il est à nous et nous en sommes responsables. D’une certaine manière son avenir est entre nos mains. Ne confondant pas cause et conséquence, nous voulons que les acteurs du foot (apprentis-joueurs, joueurs, arbitres, spectateurs, formateurs) en reprennent possession. L’EPS, le sport scolaire ont une partition à jouer dans ce « match », en faisant de chaque élève, un acteur « cultivé, lucide et critique » de l’évolution même du football. C’est le sens de notre projet culturel et social.

Le Football, une éducation physique et sportive ?

S’il y a bien ici volonté de provoquer, elle ne tient pas à la question du football à l’école (quoique), elle tient à l’idée toute simple, banale qu’il puisse (le foot), comme toute autre Apsa, être une éducation physique et sportive. Assertion qui, s’agissant de nos disputes professionnelles sur la nature exacte de notre discipline, a le mérite de renverser leurs cadres habituels et convenus, d’y introduire un peu de dialectique. Le foot, comme culture, comme création et activité humaines, œuvre, n’est-il pas une promesse d’éducation physique et sportive  ? Entrer dans cette logique suppose d’accepter, au moins provisoirement, de dissocier l’activité football, compétitive et ludique, la diversité des pratiques sociales qu’elle génère, du système foot dominant. Et donc de ne plus le penser comme simple « support », mais indissociablement comme sujet et objet, but et moyen d’éducation !
On sait la place qu’occupe la main et son usage dans l’hominisation. Or paradoxalement surgit de l’histoire, ce jeu où l’organisation de l’appareil locomoteur, est fondamentalement remise en cause. Plus, cet appareil est mobilisé pour se déplacer, balle aux pieds, intelligemment, dans un espace gorgé d’incertitudes. Mais il est encore utilisé pour manipuler, attraper, passer, et finalement projeter un objet capricieux dans une cible… mettant ainsi les pieds à l’honneur. C’est sûrement dans ce « cul par-dessus tête » anthropologique que se joue en partie la potentialité éducative du football, que s’explique sans doute aussi une partie du désir, du plaisir, de l’émotion qu’il suscite, de l’imaginaire qu’il met en branle. Car apprendre à jouer au foot, délibérément, consciemment, c’est quitter un certain soi-même, rompre avec un état pré existant et entrer dans un autre univers, un nouveau rapport à son environnement physique et humain, celui du « monde/foot ». Bref devenir le temps d’une partie mais en fait pour toujours, un autre soi-même. C’est cela aussi, s’éduquer. Et derrière la technicité (d’ordre tactico/technique) footballistique, comme mode, toujours personnel, de résoudre des problèmes, trop souvent ramenée au seul ordre performatif, incontournable par ailleurs, sachons voir des pouvoirs à conquérir, une source de développement infini. Ce numéro de Contre Pied veut nous aider à mieux repérer et identifier les savoirs propres au football et « déposés », parfois cachés dans ses règles, ses pratiques. Exigence qui ne peut se satisfaire de ce qu’on croit savoir ou voir spontanément du jeu et suppose un formidable travail de mise à distance, de modélisation du jeu, de production de savoirs sur les savoirs du foot. Et il n’y a pas accord sur l’essentiel de ce qu’il faudrait retenir du foot, sur le rapport règles/savoirs, sur la nature et le contenu concret des savoirs à retenir pour l’école (tactiques, techniques, tactico/techniques, technico/tactiques ?).

Ce numéro doit être l’occasion de revenir sur la question fondamentale des règles dans un jeu particulièrement réglé, travail engagé dans le numéro sur le Rugby, poursuivi à propos du Handball. Pour ne prendre que cet exemple, une certaine critique de la didactique observe que des propositions de contenus en foot sont faites qui ignorent la règle du hors-jeu, alors qu’elle en serait constitutive. Le reproche s’entend. Pierre Arrighi, lui, nous rappelle que le football sud- américain repose d’abord et toujours sur un foot de rue dont les règles se négocient sur place, suivant le « contexte » et dont personne là-bas n’oserait prétendre qu’il n’est pas du vrai foot. Que cette possibilité offerte par le jeu lui-même, de jouer, dans l’esprit du jeu, avec la règle est au cœur de la singularité du foot.

Le « foot », les « footeux » et l’école

Dans le titre nous évoquions la nature des rapports entre le foot, les footeux et l’école, « brouille ou divorce ? » Il n’y a pas d’ambiguïté nous plaidons pour des retrouvailles. Mais il y a des conditions à ce retour. Que les footeux acceptent de faire du foot à l’école, dans les conditions de l’école qui sont celles de l’étude, de la coopération car ce sont souvent eux qui font que l’école n’enseigne plus ou pas le football. Mais a contrario, étrange discipline, l’EPS, qui souffrirait d’avoir en face d’elle des élèves détenteurs d’authentiques savoirs… acquis c’est vrai, ailleurs qu’à l’école et qui ne chercherait pas du point de vue de ses finalités à en tirer parti. Qui n’arrive pas ou peu à proposer un football scolaire savoureux [[Allusion faite au livre de JP Astolfi : «La saveur des savoirs ».]] et à la fois accessible à tous(tes). Surprenante situation scolaire qui fait de la première pratique institutionnelle sportive des jeunes français(es) une indésirable, au mieux une inconnue à l’école. Ceci au titre qu’elle serait déjà présente dans la société. Cette logique n’est pas tenable pour une institution telle que l’école et l’EPS n’a rien à gagner à cette situation. La formation, carante aujourd’hui, devrait pouvoir aider, se mobiliser tant le sujet focalise de problèmes généraux de l’enseignement actuel, EPS comprise, en particulier celui du rapport que l’école entretient avec les élèves des milieux populaires; celui aussi que ces mêmes élèves entretiennent avec elle, avec le savoir scolaire et ses exigences. Bref il y aurait tout à gagner en EPS, si demain chaque(e) professeur(e) n’hésitait plus, voire même s’enthousiasmait à l’idée d’avoir à mettre le foot à l’étude de toutes et tous les élèves, y compris ceux, celles qui le pratiquent déjà. D’autant que les footeux(ses), à ce qu’on nous rapporte aussi, sont assez bon(ne)s en EPS… du primaire au baccalauréat. Elles, ils auraient certaines facilités à apprendre dans d’autres APSA et à s’y distinguer. Mais d’autres auraient l’impression, victimes en quelque sorte de leur culture foot, de n’être pas reconnu(e)s par l’EPS à hauteur de leurs mérites… Comprenant parfois mal que « bons(nes) » en foot, elles, ils soient jugé(e)s « mauvais » en EPS. Ce numéro n’apporte pas de solution clef en main à la question du foot à l’école. Il donne à voir et à comprendre laissant le soin aux enseignant(e)s car c’est d’abord à eux que la tâche incombe, de réfléchir collectivement à la situation, d’apporter des solutions, s’ils le décident, aux difficultés évoquées.

Cet article est paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football