Qui a peur du pouvoir médical ?

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Supplément électronique à l’entretien réalisé par Alain Becker et paru intégralement dans Contre Pied HS N°16 – « L’EPS est santé ».

Cet entretien concernait le texte « Qui a peur du pouvoir médical ? »
« A propos du mythe de la médicalisation de l’éducation physique et de la mission d’Éducation pour la santé ».
paru dans Movement sport Sciences-Sciences et motricité 80, 5-13 (2013) C ACAPS, EDP Sciences en 2013.

Dans votre article, tu évoques les années 1930 et la montée d’une hostilité à l’égard du monde médical, peux-tu revenir sur cette histoire là ?

Par exemple dans les années 30 le professeur Chailley -Bert directeur de l’ENSEP fait les frais de cette hostilité.
Pour comprendre cette histoire il faut revenir aux texte d’Hébert à celui, célèbre, en particulier qui introduit l’idée d’une « EP contre le sport ».
En fait à partir de 1927 Hébert prend simultanément position contre le sport et contre les médecins. Il clarifie et forge sa pensée en affirmant que ce ne sont pas les médecins qui doivent déterminer les plans de formation des profs d’EPS, l’initiative pour lui doit en revenir aux enseignants eux-mêmes ; ceci alors que les IREP naissent à peine. En fait dans les rapports enseignants/médecins, la création des IREP est un moment clé. En fait depuis la seconde moitié du XIXe, il y a un projet d’école normale civile d’EP face à Joinville la militaire. A cette époque personne n’évoque l’idée qu’elle doit être dirigée par des médecins. C’est entre la guerre de 14 et 1927 que cette perspective apparaît. Ce qui est étonnant c’est le silence et l’indifférence des autres pouvoirs durant cette période comme si les médecins se retrouvaient là finalement par défaut.

En 1927 l’EP jusque là rattachée au ministère de la guerre passe au ministère de l’instruction.
Or dans le même temps ce ministère ne revendique le pouvoir ni sur l’EP ni sur la formation des professeurs alors que les médecins paradoxalement eux sont attentifs à ces questions. Plus près du « corps » sans doute que les pédagogues de ce ministère, ils manifestent leur intérêt pour l’EP. Dans un colloque à Bordeaux en 1923 ils proposent la création d’IuniversitaireREP. Dans la même période, les militaires se taisent. Pourtant en 1914, ils portaient un projet de loi d’extension des pratiques physiques, de l’EP et de la préparation militaire, projet rejeté par l’assemblée nationale en 1916.

L’article évoque et toujours contrairement « aux idées reçues », qu’il y aurait eu , qu’il il y aurait une faible diffusion des savoirs médicaux dans les cursus. Laissant penser peut-être que d’autres savoirs y seraient bien plus présents… Cette faiblesse peut-elle expliquer la faible attractivité des savoirs médicaux en EP(S) ?Peux-tu développer sur ce point ?

Au contraire, mais cela a été sans doute mal formulé dans l’article cité, l’impact des enseignements médicaux sur les « cursus » a pu être important.

Le problème soulevé est ailleurs ; il est le fruit d’un simple constat empirique, à savoir le décalage entre un état nouveau des savoirs médicaux, c’est-à-dire réactualisé, et un état antérieur, au sens de dépassé, d’un corps de connaissances ou de découvertes médicales.
Les grilles de lecture savante qui sont à un moment donné mobilisées en EP ne se sont pas actualisées.

Ce qui est frappant, en France, c’est dans ce qu’on nomme les « méthodes », suédoise, naturelle, éclectique, sportive, de voir à quel point les principes qui les organisent, la façon dont ils sont exposés dans les manuels, sont fixés dès le début du XX e siècle et ne bougent pas malgré l’évolution des savoirs et leur progrès dans la même période.
C’est caractéristique chez Tissié et sa méthode suédoise, ça l’est chez Hébert.
Ces pédagogues montrent une extrême rigidité, une résistance à la connaissance. Seul Seurin se montrera plus ouvert.

Pour notre part nous avons fait un travail sur l’évolution des contenus en EP rapportés à l’évolution des connaissances scientifiques, en particulier à propos de la tuberculose.
Alors que les médecins savent l’origine microbienne de la maladie dès le début du XXe siècle, les promoteurs ou les théoriciens de l’EP continueront à proposer des exercices respiratoires pour lutter contre le fléau jusqu’aux années 50/60. Et plus généralement encore les médecins sont d’avantage favorables au jeu, au jeu sportif, au dynamisme que les pédagogues. Le corps enseignant construit ses savoirs ( bien que nourrit de savoirs médicaux) en ignorant trop souvent les nouveaux savoirs.-

Question complémentaire et de même nature. Il y a aussi dans le texte une définition implicite de la santé qui coure mais qui n’est pas livrée au lecteur. C’est assez courant dans la littérature spécialisée sur le sujet.
On évoque beaucoup la santé mais rares sont celles, ceux qui s’avancent même avec prudence sur le terrain des définitions. Pourquoi selon toi ?

Dans ce texte on observe les pratiques de santé, les définitions que divers groupes sociaux donnent à la santé.
Nous on n’a pas à dire par dessus tout le monde qu’elle est la bonne définition de la santé.
L’objet n’est donc pas de donner notre avis sur ces choses mais d’observer les gens qui font de l’EP(S) et qu’est-ce qui transparaît de ce point de ce qu’ils font.

Dans le même temps s’engager dans une définition de la santé est une chose difficile, pas évidente. On a du mal dans le temps à dire ce que c’est. Pourtant l’on voit bien sur le terrain que le manque de rigueur sur la chose et donc sur les pratiques en découlant constitue une véritable difficulté pour les collègues.
Il y a un côté désarmant entre l’injonction santé et les moyens qui sont donnés aux enseignants pour la satisfaire. On ne sait pas quoi faire. Parfois tu as une classe dont les élèves sont très majoritairement en bonne santé. Ensuite il a la questions des critères permettant d’évaluer l’état de santé des élèves mais c’est le boulot du « toubib »

Pour conclure, en page 12, il y est indiqué que certaines organisation professionnelles, je cite : « font obstruction à l’organisation d’une éducation à la santé ». Pourras-tu m’en dire un peu plus sur la question ?

j’avais lu, eu des échos sur ce que vous aviez proposé sur la santé, en 96 je crois, sur la hiérarchie des grands objectifs de l’EP(S) sur la place que vous vouliez donner à la santé dans les programmes
Je suis d’accord avec toi c’est maladroit. Vous vous étiez opposés à la définition en 96 des domaines. L’EP(S) est intrinsèquement lié à la santé qu’on le veuille ou non.

Le sport est-il antagoniste de la santé ? Le débat reste ouvert.
Quel sport, quelle santé ?