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Contribution signée Robin CARRAYROU, Collège le Racinay Rambouillet


Tout est lié… en tant que microcosme de la société dans laquelle nous évoluons, les enjeux de l’EPS sont le miroir des enjeux sociaux où chaque enfant doit pouvoir construire la culture de demain au travers d’une éducation aussi complète et équilibrée que possible pour chacun mais surtout pour tous.
Dans un contexte contemporain d’individualisation des pratiques, il semble important de mettre en avant les bienfaits de la « confrontation réciproquement profitable » pour développer l’individu au travers du groupe.

Individualisation ou individualisme

« Ainsi contraint à une pédagogie de garçon de café, le professeur vit l’individualisation (…) c’est le triomphe des individus emportés dans leur logique pulsionnelle, exigeant tout et tout de suite » (P. Meirieu et M. Gauchet 2011, Contre l’idéologie de la compétence).
À travers cette métaphore, P. Meirieu alerte sur le glissement qu’il peut exister, de l’individualisation à outrance de ces dernières années, vers le danger d’un individualisme dévorant à l’école, reflet de notre société.

À travers cette métaphore, P. Meirieu alerte sur le glissement qu’il peut exister, de l’individualisation à outrance de ces dernières années, vers le danger d’un individualisme dévorant à l’école, reflet de notre société.

Un monde devenu peut-être plus rapide, plus stressant, avec des réseaux sociaux toujours plus développés, intrusifs, avec récemment les méfaits du confinement liés à la covid.
En Eps, la création récente du CA5 répond ainsi à plusieurs problématiques légitimes, dont la préoccupation d’un mobile tourné vers l’entrainement personnel.
Néanmoins P. Bordes fait remarquer en 2009 que « le terme personnel est ici confondu avec individuel. Pourquoi ne pas proposer une catégorie développement social ? ».
Ce qui est dénoncé ici, c’est encore le glissement possible et dangereux de l’individualisation vers l’individualisme qui peut se retrouver omniprésent dans nos activités aujourd’hui.

L’opposition maudite

Sous justification du bien-être des élèves en quête de « bienveillance », nous observons récemment une certaine « diabolisation » à l’école de la comparaison, de la performance, de la confrontation.
Création en 2005 puis 2015 du S4C sans notes, avec une baisse de l’importance des activités d’affrontement dans les Bulletins Officiels alors réservées au CA4 ne faisant que concourir à la validation du socle. Ce rôle participatif est louable et porteur de sens dans la mesure où toutes les disciplines servent une cause commune, mais témoigne dans le même temps du caractère dispensable des activités d’opposition puisqu’interchangeable. La place de l’affrontement semble donc devenue relative et son rôle partiel voir limité.
Le risque inhérent à évacuer les affrontements des activités pédagogiques en Eps est de vivre séparément. C’est-à-dire de développer des compétences déconnectées des réactions émotionnelles des autres.
Perspectives :
Ce qui a pu poser souci dans la confrontation en Eps et qui sert de fondement aux notions récentes de l’auto-référencement, c’est qu’il y a forcément un gagnant qui ressortirait grandi et un perdant forcément déçu. La nuance est ainsi ténue entre ce qui pourrait être la source d’une motivation, et le mobile d’une fuite face à cette échéance sèche et punitive.
Mais rien ne nous oblige à exiger une domination finale de l’un sur l’autre.

Rien ne nous oblige à exiger une domination finale de l’un sur l’autre.
Se confronter à l’autre, c’est apprendre à s’adapter à son comportement.


Se confronter à l’autre, c’est apprendre à s’adapter à son comportement. Cette interrelation est donc à la fois une possibilité qui est donnée d’analyser un adversaire comme l’occasion de connaître nos possibilités. Une occasion de se dépasser pour progresser ensemble.
L’hybridation notamment peut aider à faire se coordonner les protagonistes pour apprendre ensemble en s’éprouvant contre !
L’exemple en Judo des « Yaku-sokugeiko » illustre parfaitement mon propos. Il y a opposition mais pas recherche absolue de victoire, il y a désir de faire tomber mais pas de résister à une attaque adverse, il y a intention de marquer mais pas de blocage des initiatives adverses. Ce n’est pas un match à thème avec un attaquant et un défenseur, mais bien une véritable confrontation en souplesse où les deux adversaires doivent marquer. C’est une coopération compétitive, une « coopétition » (S. Testvuide, 2012, Apprendre ensemble ou s’aider à progresser en TT).
À partir de cette forme de travail, les défaites comme les victoires restent des expériences qui doivent se révéler constructives pour être éducatives. Ainsi chacun pourrait réussir et obtenir les meilleures notes et ce malgré une « défaite » devenue alors anecdotique et source d’enseignements.
L’enjeu est alors d’équilibrer le rapport ressources / efforts (G. Cogerino et H. Mnaffakh, 2008, Évaluation équitable) pour faire perdurer les bénéfices de la confrontation.
Dans les théories de la motivation, ceci est un accomplissement par la reconnaissance de l’autre (affiliation à un groupe, E. Deci et R. Ryan, 1985-2002, Théorie de l’autodétermination).

L’enjeu est alors d’équilibrer le rapport ressources / efforts pour faire perdurer les bénéfices de la confrontation.

Pour conclure, je dirais que j’ai tenté de faire ressortir à la fois l’importance et les conditions de réalisation des activités d’affrontement auprès de nos élèves en Eps pour une pédagogie riche et équilibrée.
Loin des méfaits de la domination et du classement, les activités d’opposition restent à mon sens une source indispensable pour « se construire » au travers d’autrui avec toutes les précautions nécessaires à envisager pour éviter des glissements néfastes.
La notion d’hybridation des activités par les différentes motivations comme les formes de travail de coopétition, peuvent se révéler particulièrement utile aux enjeux d’éducation de nos élèves.
Dans un monde qui se veut mouvant, avec une tendance à l’individualisation, il conviendrait de ne pas digresser vers l’individualisme, en gardant le regard de l’autre comme prisme indispensable vers un accomplissement personnel et collectif