Une formation initiale en déliquescence

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Laurent GRÜN, historien STAPS, Université de Lorraine (Metz)


Désabusé… Désenchanté plutôt ? Tel est mon état d’esprit face au délitement de la formation initiale en STAPS. N’importe quel observateur neutre serait bien en peine de trouver une cohérence supérieure à celle d’il y a quarante années (ou plus) en matière de préparation au métier. En effet, au fil du temps, les savoirs disciplinaires (en gros, la pratique et la théorie des APSA) occupent une part de moins en moins importante dans les maquettes d’enseignement. La situation est telle que parfois, les nouveaux enseignants nouvellement lauréats du CAPEPS se retrouvent en situation d’enseigner des activités qu’ils n’ont auparavant eux-mêmes jamais pratiquées.

De la démocratisation quantitative à la dégradation qualitative.

Les pratiques

L’inéluctable démocratisation de la formation initiale a engendré des difficultés tangibles. La nécessaire suppression du concours d’entrée corollaire à l’accès aux études universitaires, effective dans tous les STAPS de France à partir des années 1990, s’est accompagnée d’un afflux d’étudiants dans les formations STAPS. Cependant, cette croissance n’a pas été adossée à des réformes structurelles : les créations de postes d’enseignants en STAPS ont été insuffisantes pour encadrer efficacement tous les étudiants. La pénurie d’installations sportives à l’usage des STAPS n’a plus permis à tous les étudiants de bénéficier d’un volume de pratique aussi important que ce qu’il était jusqu’aux années 1980. Mécaniquement, le volume de TP (la pratique) a décru et ce mouvement enclenché depuis le milieu des années 1990 n’a cessé de s’accentuer.
Cette restriction culturelle, qui conduit les étudiants à n’accéder qu’à un champ limité de pratiques, les condamne à une désincarnation de leur corporéité : ils n’ont plus assez d’occasions de vivre des expériences corporelles variées.

Depuis les années 2000, des étudiants « subissent » l’épreuve professionnelle d’oral 1 dans des APSA souvent programmées en milieu scolaire, alors qu’ils n’ont jamais vécu le moindre cycle de basket, badminton, danse… que ce soit dans le secondaire ou au cours de leurs études STAPS. La dégradation qualitative de la formation initiale est ici une réalité tangible.

Les savoirs et les moyens

Avec un déficit d’encadrement avéré, la plupart des STAPS recourt à un nombre considérable d’intervenants extérieurs, qui malgré leurs incontestables compétences, contribuent à une dispersion des enseignements et souvent à un manque de cohérence entre eux aux yeux des étudiants. Et les quelques moyens supplémentaires octroyés par la loi ORE à partir de 2017 ont davantage fait office de pansements sur des jambes de bois que de remèdes véritables. De nombreux STAPS voient leurs enseignants titulaires s’épuiser parfois jusqu’au burnout. Paul Irlinger et Georges Vigarello dénonçaient déjà en 1975 une préparation au professorat d’EPS qui se résumait à des connaissances à une « accumulation de techniques sportives toujours plus nombreuses, et des connaissances fondamentales souvent formelles et sans liaison approfondie avec la pédagogie des APS »[[Paul Irlinger, Georges Vigarello. La formation des enseignants. Revue Esprit n° 5, 1975.]]. Actuellement, les apports des connaissances fondamentales (sciences dures, humaines et sociales) ne sont pas encore toujours assez connectés avec la pédagogie des APS, en raison parfois d’une méconnaissance des usages du corps (sportif ou artistique) de certains intervenants qui ne sont pas issus du champ STAPS, ni de celui de l’intervention. En revanche, notamment en Master, les connaissances théoriques identifient de mieux en mieux les comportements des élèves dans différentes APSA, conformément aux orientations du CAPEPS externe depuis les années 2010. Ce qui pose problème, c’est le faible volume de pratique offert à nos étudiants, qui les condamne à imaginer à destination de leurs élèves des remédiations corporelles qu’ils n’ont pas vécues.

Ce qui pose problème, c’est le faible volume de pratique offert à nos étudiants, qui les condamne à imaginer à destination de leurs élèves des remédiations corporelles qu’ils n’ont pas vécues.


Fossoyeurs de la formation initiale

En accord avec Antoine Prost[[Antoine Prost. Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours. Paris, Seuil 2013.]], je déplore « l’inconstance gouvernementale » qui engendre des problèmes de gouvernance dans toute réforme de l’enseignement. Avec des ministres désireux de laisser leur marque malgré les bouleversements gouvernementaux, certaines réformes sont rapidement abandonnées au profit d’autres sans concertation préalable des différents acteurs concernés. La formation des enseignants d’EPS n’échappe pas à ces usages regrettables. Faire passer un CAPEPS en fin de Master 2 est une aberration, le temps perdu à bachoter pendant cinq années se passant au détriment de l’acquisition de savoirs fondamentaux relatifs à l’intervention. Même les stages souvent programmés dès la deuxième ou troisième année de Licence, qui permettent encore aux étudiants d’accumuler de l’expérience par rapport à leurs futurs collègues des autres disciplines, ont subi des orientations affligeantes en Master MEEF : discrimination entre les statuts des étudiants (rémunérés ou non), imposition de modalités d’intervention discutables, délitement de l’efficacité du tutorat…
Face aux mesures successives prises par ces fossoyeurs de la formation initiale, désenchanté et désabusé, oui, je le deviens. Mais en dépit des restrictions subies depuis plusieurs décennies, les formations initiales STAPS demeurent performantes grâce au dynamisme des étudiants, à l’investissement des tuteurs de stage, à l’engagement des enseignants et responsables pédagogiques qui font « tourner » la filière EM ou MEEF EPS et même aux liens avec des IA IPR des IG EPS en prise avec la réalité du terrain.

Pour combien de temps encore ?

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