Vers une « EPS des émotions » ancrée dans la culture des APSA

Temps de lecture : 4 mn.

Contribution signée Jérôme Visioli & Oriane Petiot, Docteur et Docteure à l’UFRSTAPS Rennes 2

Les émotions des élèves : moyen et fin de l’EPS

Envisager une « EPS des émotions » revient à considérer les émotions comme le fondement de l’activité de l’élève, même si elles font système avec d’autres composantes (motrices, énergétiques, cognitives, perceptives…). Selon Spinoza, l’homme est guidé par le « conatus » (sa puissance d’agir). Dans chaque situation, les éléments extérieurs (physiques ou humains) entrent en consonance (joie) ou en dissonance (tristesse). L’enjeu devient d’orienter sa vie (et l’enseignement) en fonction de la compréhension des processus émotionnels[[Visioli, J. (2022). Bien-être et émotions à l’école : et si Spinoza avait raison ? Les cahiers pédagogiques.]]. En EPS, les émotions apparaissent non seulement comme des moyens à exploiter, mais aussi comme une véritable finalité à travers l’émergence du plaisir de pratiquer, de la joie d’apprendre et d’une passion pour les APSA[[Delignières, D. (2021). On peut toujours penser autrement… L’école, l’université, l’éducation physique et sportive. Paris : Revue EP&S.]]. Les émotions sont également au cœur du progrès dans la pratique des APSA et de la formation du futur citoyen.

1er principe : Adopter une « pédagogie des émotions » en EPS

La problématique des émotions vient interroger l’enseignant en termes de relation pédagogique. La posture du professeur influence très fortement les émotions ressenties par les élèves en EPS. C’est tout l’enjeu d’un développement professionnel susceptible de permettre l’émergence d’une confiance ancrée dans l’enrichissement des connaissances sur les APSA, les élèves et ses propres valeurs. Ce processus permet ensuite à l’enseignant de porter son attention à l’expression des émotions des élèves, aux processus de coordination émotionnelle en classe, afin de tenter d’orienter ces dynamiques en faveur de l’engagement et des apprentissages. L’enjeu devient d’accompagner les élèves vers le progrès dans les APSA, en articulant bienveillance et exigence.

2ème principe : Opter pour une « didactique des émotions » en EPS

Les APSA ne sont pas des objets sans résonances affectives, symboliques et imaginaires. Il s’agit de réinterroger les programmations en EPS et certaines problématiques classiques concernant les choix culturels (activités traditionnelles / nouvelles ; culture historiquement masculine / féminine ; diversification / spécialisation, etc.), mais avec le filtre des émotions suscitées chez les élèves.
Le traitement didactique de chaque APSA est aussi essentiel afin d’exploiter la richesse des émotions (ludique, affiliation, accomplissement, etc.). Puis la démarche consiste à lire l’activité de l’élève avec le prisme des émotions ressenties, afin de choisir avec vigilance et progressivité les situations et l’adaptation des variables didactiques.

3ème principe : Proposer des « environnements émotionnels » aux élèves

La question du rôle des émotions dans notre relation à la matérialité et aux objets est intéressante, puisque les émotions ressenties par les élèves dans le cadre de la pratique des APSA sont fortement influencées par la qualité des installations et du matériel à disposition. L’enseignant gagne à concevoir des environnements de pratique à forte résonance émotionnelle, susceptibles de faire vivre des expériences collectives signifiantes. Ces dispositifs peuvent alors être associés à une démarche d’exploitation des émotions éprouvées et partagées par les élèves en EPS. Au-delà de la problématique fondamentale des moyens financiers, cela invite donc les enseignants à penser comme des ergonomes ou des « designers » de l’environnement.

4ème principe : Favoriser les « apprentissages émotionnels » en EPS

Prendre en compte les émotions des élèves suggère également de viser des acquisitions méthodologiques et sociales essentielles à la vie en société, notamment en termes d’intelligence émotionnelle. Les émotions constituent ainsi un moyen de susciter l’engagement et l’apprentissage, mais aussi une fin en soi. L’intelligence émotionnelle renvoie à un ensemble de compétences permettant de comprendre et de gérer ses émotions, de reconnaître les émotions d’autrui et de s’y adapter en situation. Néanmoins, son développement ne peut prendre sens dans l’enseignement de l’EPS que dans le cadre de projets collectifs visant le progrès dans les APSA, qui permettent un véritable engagement et un partage émotionnel.

Une EPS des émotions ancrée dans la culture des APSA

Envisager une « EPS des émotions » est une voie prometteuse, qui nécessite pour l’enseignant une approche systémique. Cela implique de rechercher une pertinence dans les modalités d’évaluation qui se traduisent par des sentiments allant de l’humiliation à la fierté. La question des émotions des enseignants apparaît également comme incontournable, et leur place toujours restreinte dans les formations ne peut qu’interroger. Enfin, nous considérons que la maîtrise des APSA enseignées est un point central pour accompagner les élèves vers l’émotion du progrès technique, la découverte de nouveaux possibles et l’élévation de la puissance d’agir. Selon Georges Snyders, « la question de la joie à l’école, d’apprendre avec confiance et allégresse, est fondamentalement une question politique, puisque c’est celle de la possibilité même d’éduquer les citoyens »

Retrouvez l’interview des auteurs, menée par Bruno Cremonesi pour le SNEP.

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