L’EPS de demain : vitalité de notre profession face aux enjeux politiques des réformes

Temps de lecture : 6 mn.

Contribution signée Nathalie Monnier, professeure EPS lycée Jules Guesde Montpellier, docteure en didactique

Il y a l’EPS dispensée par les enseignants dans les établissements scolaires et il y a les injonctions gouvernementales qui pilotent les disciplines enseignées et façonnent institutionnellement le métier en même temps que l’École (via les lieux de formations initiales et continue, via les corps d’inspection).
Les pratiques ne changent pas à la vitesse où s’enchaînent les textes officiels ni les courants de pensée qui prennent momentanément – ou plus durablement – le devant le scène pédagogique. Cette coexistence de différentes conceptions de l’EPS, au sein de notre profession d’abord et jusqu’à l’échelon des équipes pédagogiques, peut constituer une source d’inertie ou de résistance selon le point de vue adopté. Je pense que se loge là le terreau – à fertiliser – des débats et des luttes à mener pour le métier.

D’hier à aujourd’hui

Les années 80, marquées par le passage de l’EPS du ministère des Sports au MEN furent une période foisonnante pour notre discipline :
Les STAPS se développent et circonscrivent un objet d’étude distinct de l’EPS, tout près d’être désignée discipline d’enseignement et quasiment dans le même temps, le plus souvent au sein des sciences de l’éducation, la didactique de l’EPS se développe.
Les didactiques, en tant que disciplines de recherche et de formation, prolongent l’objet de la psychopédagogie (« comment enseigner ? ») en associant de façon paradigmatique à ce questionnement la spécification des éléments de réponses au regard de ce qui a été choisi pour être enseigné, ce qui déplace la question vers « quel contenu enseigner et comment enseigner ce contenu ? ».

En EPS deux axes importants ont contribué à faire évoluer les pratiques de terrain :

  • Explorer comment garantir le passage des pratiques sociales de référence depuis leurs institutions d’origine à l’EPS en conservant la densité des savoirs dont elles sont porteuses (transposition didactique ; analyse épistémologique et technologique des savoirs).
  • Mettre au jour les conditions et les outils pour que le travail du professeur (de l’élaboration des tâches à leur gestion dans le vif de la séance à partir de l’activité déployée par l’Élève) puisse permettre la construction d’une référence commune et l’accès aux savoirs visés pour l’ensemble des élèves.

A la même période débute une tourmente qui va minorer institutionnellement – voire parfois balayer – d’abord les enseignements didactiques de la formation universitaire (le passage des UER EPS au UFRSTAPS), puis la dimension universitaire de la formation initiale et continue des enseignants d’EPS (passage des IUFM aux ESPE, devenus récemment INSPE). De mon point de vue, les conséquences majeures de ces changements ont été de créer les conditions d’un affaiblissement de l’outillage conceptuel nécessaire à notre corporation pour faire face aux enjeux masqués des discours émanant de la sphère dirigeante qui ne dévoile pas ses intentions. Je m’explique :
Au cours de leurs carrières les enseignants ont pu voir se succéder dans le lexique professionnel, entre autres : la PPO, la pédagogie du contrat, les notions d’objectif-obstacle, de décalage optimal, la distinction performance/maîtrise, ou savoirs/savoir-faire/savoir-être, plus récemment les notions de « compétences propres », « compétences méthodologiques et sociales »… Autant de traductions institutionnelles ou de tentatives d’opérationnalisation à destination des praticiens, plus ou moins robustes au regard des concepts qui les sous-tendent, et dont la présence dans la culture professionnelle de longue date banalise la réalité de leur portée ! Vu depuis les salles de professeurs que je côtoie : « Être compétent » ça ne paraît pas si loin de « savoir faire », « être capable de » … que la profession connaît bien. Et pourtant…
Les IUFM n’ont pas eu le temps de devenir l’institution d’interface nécessaire entre la sphère de la recherche et celle de la pratique enseignante. Dans cette fracture posée par l’institution à dessein, les changements apparaissant au fil des prescriptions officielles finissent par être perçus par les enseignants comme une complication « jargonneuse » des universitaires, mais surtout des technocrates.

D’aujourd’hui à demain : l’estocade ou le rebond ?

Avec la réforme Blanquer du Lycée dans la continuité de celle du Collège, apparaissent les « champs d’apprentissage », les « Attendus de Fin de Lycée » (AFL), « les formes de pratique scolaire », et le fait que les APSA sont positionnées (stricto-sensu) à la marge, en tant qu’exemples. De quoi ces nouveaux termes sont-ils les signes ? S’agit-il juste pour le ministre de faire la place, en EPS, aux pratiques dites de bien-être comme le yoga, le step ou la musculation ? S’agit-il – en attribuant 8 points sur 20 aux dimensions méthodologiques (AFL2) et aux savoir-faire sociaux (AFL3) – de régler les problèmes récurrents des élèves sérieux qui ne réussissent pas et/ou des absentéistes qui performent le jour J ? S’agit-il, enfin, de donner les moyens aux enseignants d’éviter nombre de contestations des parents ou des élèves, d’une mauvaise note en EPS qui baisse la moyenne générale et complique les vœux sur Parcoursup ?
Ce qui sous tend pour partie, l’orientation de ces textes officiels est porté par le courant de recherche de « l’action située ». Ce cadre théorique, pour le dire vite, considère que les sujets (les élèves et les enseignants) développent une « activité autonome » (du champ culturel) dans le contexte (dispositif) proposé. Ce qui « émerge » au cours de l’interaction en classe dans la subjectivité des sujets agissant, constitue le matériau duquel est tiré, hors de toute référence extérieure, le « contenu » de ce moment vécu. Dans ce cadre, tout ce qui advient dans les cours d’EPS est légitimé comme « forme de pratique scolaire » dès qu’un sens lui est donné par les acteurs.
Il me paraît intéressant de pointer que dans le courant de l’action située, la notion d’interaction (ou de co-détermination) est circonscrite dans l’unité de temps et de sens, au système constitué des élèves, de l’enseignant et des objets présents. On voit là que le local, le subjectif et l’éphémère priment.
A l’inverse, l’outillage conceptuel didactique s’adosse aux courants des SHS qui fondent la conception du développement de l’individu en terme de co-construction dans un partage de responsabilités entre adultes et enfants : aux adultes la charge de définir les savoirs à enseigner à même d’inscrire les enfants dans le processus historique de construction de ces savoirs en tant qu’œuvres, spécificité anthropologique de l’activité humaine ; aux enfants la charge, en ayant appris, de contribuer à leur tour à l’évolution de ce processus de développement des savoirs qui fonde l’individu en tant qu’Humain. C’est cette conception de la culture, objet et enjeux de la socialisation scolaire (bien au-delà « du respect de l’arbitre » !!) qui soutient une vision de l’EPS dont les contenus d’enseignement trouvent leur source dans l’analyse épistémologique des savoirs en référence aux pratiques sociales.
Il semble alors que la nature des actuels textes officiels soit moins une réponse à de réelles problématiques de terrain que la captation, par la sphère politique, d’une théorisation compatible avec un projet plus large, inscrit dans le long terme, celui de la transformation de l’École publique qui – dans une vision libérale de la société – rompt idéologiquement le lien entre le destin de l’individu et le destin collectif. On comprend en même temps combien, à brève échéance, la désignation comme « contenu » de ce qui se développe dans le présent auto-référencé de la classe, est idoine à la visée de cette réforme, celle de ramener à l’échelle de l’établissement la définition des contenus d’enseignement et les épreuves de certification du Baccalauréat.
L’EPS de demain, censée se déployer selon les canons de ces récents textes réglementaires est aux antipodes de tout ce que notre profession a porté jusqu’alors. Notre discipline est probablement la mieux armée pour saisir les enjeux de la période qui s’ouvre et nourrir les débats nécessaires. Pour moi, l’EPS de demain sera celle de la résistance que nous aurons été capable collectivement, d’organiser, de développer, et de maintenir vive !

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