Temps de lecture : 10 mn.

Christophe Piantoni, enseignant EPS dans un lycée d’éducation prioritaire à Corbeil-Essonnes, ancien pongiste de haut niveau, permet à ses élèves de seconde générale et technologique de construire une trame commune d’attaque : vite, fort, avec effet. En jouant en permanence sur la dimension technico-tactique, il leur permet de construire leurs propres stratégies en fonction de leurs ressources qui évoluent grâce à leurs apprentissages et à ceux de leurs adversaires.

Des vidéos et des situations concrètes à exploiter sans limite!

Dès que les élèves sont capables de renvoyer une balle, tous et toutes peuvent s’engager dans des apprentissages tactico-techniques. Élaborer sa stratégie personnelle en fonction de ses points forts et de ses points faibles à décliner en fonction de ceux des adversaires est décisif pour vivre une expérience authentique de tennis de table, même à un niveau encore débutant.
Les deux premières séances sont pour moi cruciales, les ouvrant tous et toutes à ces possibles : d’une part découvrir et concevoir diverses façons d’attaquer et d’autre part établir son profil à travers le diagnostic de ses points forts et points faibles.
L’ensemble du cycle vise donc à donner les moyens à chaque élève de construire ses projets tactiques, sans cesse en évolution grâce à ses acquisitions techniques mais aussi celles des adversaires.

Une trame commune pour attaquer

J’explore d’emblée avec les élèves de cette classe de seconde, trois façons d’attaquer : vite, fort et avec effet.
Remarque : le jeu placé est communément intégré aux différentes façons d’attaquer. Or selon moi le jeu placé est toujours combiné à une façon d’agir sur la balle. Autant les actions techniques deviennent automatiques, autant le placement de la balle relève d’une intention et d’une prise de décision dans l’instant au regard d’un adversaire singulier.
– Pourquoi jouer vite ? Jouer la balle tôt ET avec une trajectoire basse laisse moins de temps à l’adversaire pour s’organiser. C’est un jeu sans prise de risque.
– Pourquoi jouer fort ? Cette frappe possible uniquement sur une balle favorable est un coup puissant censé être décisif.
– Pourquoi jouer avec effets ? Toute balle peut être « frottée ». Cela contraint l’adversaire à maîtriser lui, elle aussi les effets car la balle continue de tourner dans sa raquette. Pour contrarier cet effet, soit il faut reproduire le même effet, soit produire l’effet inverse.
Cette trame commune se décline tout le long du cycle de 10 séances de manière spécifique à chacun et chacune selon son niveau.

Identifier son niveau de jeu dans trois attaques différentes

Jouer tôt 
Je propose un test de vitesse, deux élèves partenaires par table.
But du jeu  : Réaliser le plus grand nombre de touches (pour éviter la confusion avec la frappe forte) de balles en 2 mn.
Critère de réussite : réaliser 100 à 120 frappes en 2 mn.
Dans un premier temps, je ne montre pas, j’en dis le moins possible.
Les partenaires doivent trouver des solutions communes.
Je procède à un bilan avec celles et ceux qui ont réussi et qui vont automatiquement avec celles et ceux qui n’ont pas réussi. Ainsi, en quatre séquences de 2 mn tout le monde atteint un minimum de 100 touches.
Conditions formulées par les élèves :
– Prendre la balle plus tôt sans la « porter ».
– Réaliser une trajectoire basse.
Cela nécessite pour une grande partie des élèves de se transformer car les débutant·es portent la balle, raquette ouverte, les élèves de niveau intermédiaire accompagnent la balle, leur raquette est plus verticale alors que les plus expert·es ferment leur raquette et accélèrent la balle.
– Jouer en coopération et éviter à son adversaire de trop se déplacer.
On peut décliner cette situation en RV, CD.
Le jeu en vitesse est plus facile en RV parce qu’on prend la balle devant soi.

Jouer fort 
Ici, il ne s’agit pas de match ou de record, mais de comprendre ce qu’est frapper fort pour augmenter la vitesse de la balle. On échange, je pose des questions et je montre en même temps.
– « Comment reconnaître une balle forte ? » Le renvoi fort est réussi si on entend ce bruit sec et si la balle rebondit sur la table adverse.
– « Sur quelle balle jouer fort ? » « Balle favorable en hauteur » répondent assez vite des élèves.
– « Est-ce qu’on joue fort plutôt en RV ou en CD ? » Le CD permet de jouer plus fort car il permet plus d’amplitude.
Je me mets lanceur et je demande à un élève d’essayer.
« A-t-il frappé ? » « Pourquoi ? » « Quel bruit ? » Je donne l’image de la gifle avec l’utilisation de l’avant-bras : les élèves doivent avoir visualisé ce qu’ils doivent faire pour réussir.
Les élèves sont par deux : l’un·e lance, l’autre doit frapper fort.
À un élève qui ne fait pas encore de bruit, je demande de frapper ma main avec sa main pour qu’il comprenne ce qu’est vraiment frapper. Ils et elles trouvent immédiatement !
Des élèves m’appellent, je reprécise : « Lors de la frappe, si ma raquette est sous la balle, la balle monte, si elle est verticale, la balle sort. Donc il faut fermer la raquette ! »
Ce qui est intéressant avec le « fort », c’est qu’en survitesse, tout est exagéré, donc dès le début on doit se comporter en expert et on est contraint d’apprendre.
En une séance, dans des conditions favorables, tout le monde frappe fort la balle même si ça sort.

Jouer avec effets 
L’objet de cette séquence est de confronter les élèves même de niveau débutant à ce qui est réservé d’habitude à des plus expert·es.
Le service est le moment privilégié pour le travailler.
Lors de cette première séance, travailler le service coupé (rotation arrière) est intéressant car il contraint de frapper la balle quand elle descend et ainsi précise la règle au service.
Je montre les différentes possibilités de rotations avant, arrière, forcément combinées à des rotations latérales.
Les élèves expérimentent, montrent beaucoup d’intérêt, et en peu de séances ils et elles seront nombreux à être capables de réaliser des services à effet.

Identifier son profil, ses points forts et ses faiblesses

Chaque élève devra déterminer trois indicateurs au cours des matchs :
– Comment je m’organise pour me déplacer et mettre en avant mes points forts ?
– Quelle est ma capacité à déplacer l’adversaire en particulier dès mes 2 premiers impacts ?
– Comment je sers : c’est l’arme de stratégie et tactique (on devrait inventer le mot stratique) massive puisque le service est le seul moment où le joueur ou la joueuse décide intégralement de ses actions.
Avec ces indicateurs, les élèves identifient ce qui leur est possible de faire dès maintenant. Par exemple : je ne suis pas forcément capable de frapper fort, mais je me déplace.
Et se rendre compte que, même de niveau débutant, on peut être super stratège dès qu’on maîtrise le jouer vite !

Car tout l’intérêt de cette activité, c’est l’analyse de ce que fait l’adversaire et de ce que je suis capable de faire pour le, la contrarier à un moment T.

Règlement et organisation des matchs
Matchs en une manche gagnante réglementaire.
Je préfère les matchs à score qui permettent aux élèves de prendre leur temps, ébaucher une stratégie et non au temps qui incitent à la précipitation.
5 matchs chacun·e.
Lors du premier match, je laisse les élèves défier l’adversaire de leur choix, même si je sais que le rapport de force n’est pas toujours équilibré. Puis il est interdit de rencontrer deux fois la même personne et on défie obligatoirement une personne qui a le même nombre de victoires que soi.

Les élèves identifient leur profil

Les caractéristiques sont explicitées avant d’aborder les matchs :
– Casserole : plutôt en CD, les balles sont hautes, pas latéralisé. Étape à dépasser au plus vite !
– Piston : la raquette va de l’AR vers l’AV, plus souvent en RV, mono-coup, sait jouer vite.
– Sécuritaire : latéralisé·e, possède RV et CD, sait jouer vite mais pas fort.
– Opportuniste : CD, RV, frappe sur des balles favorables uniquement.
– Constructeur et constructrice : se crée des situations pour frapper et commence à maîtriser les effets. C’est un vrai joueur, une vraie joueuse de tennis de table !

Lors de cette première séance, chaque élève peut se situer de manière objective. Ensemble, nous préciserons les stratégies personnelles et les acquisitions techniques nécessaires en attaque et au service.

Construire une première stratégie personnelle

Car tout l’intérêt de cette activité, c’est l’analyse de ce que fait l’adversaire et de ce que je suis capable de faire pour le, la contrarier à un moment T.

Des matchs en descendante/montante  
C’est le seul moment dans le cycle où je fais une montante descendante, mais à l‘envers : cela permet de « brasser » les élèves et favoriser l’entraide : après le gain rapide de son match, la ou le plus fort entraîne la ou le plus faible.

Des contraintes pour favoriser des acquisitions techniques 
Même dans le cadre de situations d’opposition, la limitation temporaire des coups associée à des contraintes spatiales qui réduisent l’incertitude, sont intéressantes à utiliser pour les acquisitions techniques.
Limitation des coups  : par exemple, pour apprendre à « jouer vite », toute balle « en cloche » est considérée comme faute, tout comme l’usage d’effet ou du jouer fort, ce qui donne un point à l’adversaire. Cela impose la répétition du coup, condition nécessaire à sa maîtrise. Cela n’interdit pas des remédiations : pour les élèves qui ont tendance à porter la balle et faire des trajectoires hautes, je propose de jouer en « tacotac » (renvoi avec un rebond dans son propre camp : comme au service) ce qui contraint de fait à la fermeture de raquette.
Contraintes spatiales comme jouer sur une moitié de table (diagonale de droite, ligne droite CD, etc.). Je peux aussi contraindre à l’alternance du placement et a fortiori du déplacement avec l’obligation du 8 : viser les diagonales (serveur) et les droites (receveur). Cela impose des conditions de réalisation spécifiques tout en limitant l’incertitude.

Construire sa stratégie de jeu avec des matchs point fort/point faible

Lors de ces matchs contraints, les élèves établissent des « J’aime », « J’aime pas », pour repérer leurs points forts et leurs points faibles.
Matchs « point fort » : je demande aux élèves de choisir leur point fort (type de coup) et de l’annoncer à leur adversaire.
Règle : si je contrains l’adversaire à ne pas jouer son point fort, je marque 2 pts même s’il a rattrapé la balle. Si l’adversaire ne touche pas la balle, je marque 3 pts.
Ce jeu est difficile et très exigeant physiquement, je ne le fais pas trop durer.
Variante : « le coup presque interdit » : j’ai le droit d’utiliser mon point faible une fois par échange ou point joué.
Pour construire un point, ils et elles doivent se demander comment s’organiser pour utiliser le plus possible leur point fort, tout en maîtrisant le plus possible un deuxième coup si leur adversaire les y contraint, ce qui crée assez vite le besoin de maîtriser le revers et le coup droit.
Mais aussi profiter le plus possible du point faible de leur adversaire.
Les intentions de placement du joueur ou joueuse sont particulièrement pertinentes sur ses deux premières touches de balle. Un premier niveau est de faire 2 impacts le plus éloignés possible. Toutes ces capacités de placement sont travaillées dans toutes les situations à contraintes spatiales. Lorsqu’on est capable de coopérer en plaçant la balle pour faciliter le renvoi de son adversaire, on peut transposer à l’inverse pour augmenter l’incertitude spatiale.

Matchs à bonus  : les élèves choisissent à tour de rôle parmi plusieurs possibilités un bonus et son montant de 3 à 5 pts.
Ex : service gagnant (3pts), balle non touchée par l’adversaire (5pts), la frappe en CD (4pts), top-spin (5pts).
Critère de bon choix tactique : je réussis un ou plusieurs bonus sur une même manche, je gagne avec davantage d’écart lors de mes propres choix que lors de ceux de mon adversaire.
On peut le combiner dans tous les sens.

Les dimensions stratégique et tactique (connaissance de ses points forts et prise
en compte des points faibles de l’adversaire) sont introduitesdès le début du cycle.

Technique et tactique indissociables

Les dimensions stratégique et tactique (connaissance de ses points forts et prise en compte des points faibles de l’adversaire) sont introduites dès le début du cycle à chaque confrontation équilibrée car j’impose aux élèves de se poser les questions suivantes :
– Qu’est-ce que je fais avec la balle (vite, fort, avec effet) ?
– Comment je m’organise (déplacement et posture) ?
– Où je place la balle ?
– Comment je sers, balle décisive tactiquement ?
Pour les élèves de niveau plus fort, je peux aller jusqu’à un début de programmation : chacun·e élabore des schémas de jeu et prévoit des enchainements de coups avec cette idée qu’on cherche à avoir des automatismes car les réponses des adversaires surpris·es ou dominé·es sont presque systématiquement en miroir et les diagonales sont privilégiées (plus de distance et donc plus sécuritaires).

Dans la suite du cycle, j’organise des ateliers en fonction des profils et chacun·e décide de l’atelier dont il, elle a besoin et des matchs à contrainte ou non.
Pour équilibrer les rapports d’opposition, je regroupe 4 à 6 élèves de même niveau. Les membres du groupe se connaissent bien et pour gagner, la différence se fera grâce à la dimension tactique.

L’enjeu d’un cycle de tennis de table est que les élèves deviennent des décideurs et des décideuses, trouvent du plaisir à faire des choix, à parier sur leur pertinence. À niveau sensiblement équivalent ces choix feront gagner ou perdre.
Un·e élève qui se contentera de renvoyer ou de ne pas faire de faute prendra peu de plaisir dans l’affrontement. Comme en sports collectifs, attaquer c’est un peu comme marquer un but. Gagner un point en ayant frappé la balle, en ayant mis un effet ou en ayant visé le point faible de son adversaire sera source de jubilation et de motivation pour s’engager pleinement dans l’activité.

Cet article est paru dans Contrepied Hors-série n°28 dédié au Tennis de table